Nucléaire : pourquoi les bétons de l'EPR2 de Penly ne sont pas défectueux

Les granulats employés par Eiffage ont suscité des interrogations. Mais la formulation choisie par le constructeur permet bien d'atteindre la conformité à la norme.

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Les futurs EPR2 seront construits à proximité des deux réacteurs existants du site de Penly. Les bétons en cours de fabrication par Eiffage sont destinés à la carapace qui viendra protéger le prolongement de la digue de la houle.

Des articles publiée mi-mars selon lesquels les granulats du béton de certains éléments du site nucléaire EPR2 de Penly (Seine-Maritime) ne respecteraient pas le cahier des charges ont fait grand bruit. En charge des travaux, Eiffage a réfuté toute anomalie de ses bétons, affirmant dans un communiqué que leur formulation « est conforme aux normes en vigueur et correspond aux spécifications du marché attribué au groupe Eiffage par EDF ». Ce contrat de plus de 4 Mds € inclut de très nombreux ouvrages, depuis l'extension de la digue jusqu'à l'enceinte des deux réacteurs. Il mobilisera 1,2 million de mètres cubes de béton. Pour les opérations en cours, la fabrication de ce dernier a été confiée à l'entreprise BSM qui se fournit en granulats auprès de Graves de Mer (Eurovia), dont les carrières sont toutes proches du chantier. Or ses granulats sont classés potentiellement réactifs à effet de pessimum (PRP), c'est-à-dire qu'ils sont susceptibles, si leur mise en œuvre ne respecte pas certaines conditions, de produire une alcali-réaction.

Silice mal cristallisée. « C'est une réaction chimique connue depuis les années 1940 et avérée en France depuis les années 1970 qui concerne certains granulats contenant de la silice mal cristallisée, ce qui la rend réactive et donc attaquable par les alcalins de la pâte de ciment », explique François Toutlemonde, directeur du département Matériaux et Structures (MAST) à l'université Gustave-Eiffel. Résultat : « Le produit gonfle et mène à une fissuration des bétons. » Des effets qui, en France métropolitaine, se déclenchent habituellement entre dix et vingt-cinq ans après la construction. « Ils sont accélérés par la température - plus elle est élevée, plus la réaction est susceptible de se produire et d'avoir lieu rapidement - et par les apports d'eau, précise le spécialiste. De plus, certains granulats peuvent également relarguer des alcalins, ce qui alimente la réaction. » Une véritable catastrophe, donc, mais dont les moyens de prévention sont aujourd'hui bien connus et précisément cadrés par une norme (1).

L'une des possibilités offertes par celle-ci pour employer les granulats PRP de Graves de Mer sans risque de désordre est une proportion de silex supérieure à 70 %. Mais « une contre-analyse d'un échantillon, faite pour EDF, a montré un non-respect de cette teneur minimale », indique l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Le gendarme du nucléaire ajoute toutefois : « L'impact réel est nul pour les bétons en cours de fabrication, car il existe d'autres paramètres qui permettent d'éviter l'alcali-réaction. » En effet, l'une des autres conditions possibles pour atteindre le niveau de prévention nécessaire concerne le bilan des alcalins du béton. « Lorsque le taux de silex des granulats n'atteint pas la proportion requise, la norme demande qu'il soit démontré que le ciment et les additions apportent des alcalins en quantité suffisamment limitée pour ne pas déclencher la réaction », indique François Toutlemonde. C'est donc finalement cette option qu'a choisie Eiffage qui assure que la surveillance du bilan alcalin n'impactera ni le calendrier du projet ni les moyens à mettre en œuvre.

« Près de 1 100 occurrences de contrôle ». Les bétons en question sont principalement destinés aux blocs cubiques rainurés (BCR) qui constituent la première protection de la digue contre la houle. Leur formulation a été validée début mars et la préfabrication des BCR a commencé dans la foulée sur le site. Une opération qui sera surveillée de près puisque les inspecteurs de l'ASNR constatent qu'EDF a fixé un objectif de « près de 1 100 occurrences de contrôle ». « Durant tout le processus de mise en œuvre des bétons, des contrôles qualité sont effectués selon des dispositions normalisées », processus qui sera « réitéré pour chacune des formulations de bétons nécessaires aux différents ouvrages de l'EPR2 de Penly », ajoute Eiffage.

(1) FD P18-464 « Béton - Dispositions pour prévenir les phénomènes d'alcali-réaction ».

 « Nous aurons plus d'une vingtaine de formules à élaborer sur l'ensemble du chantier », Xavier Mony, directeur général France chez Eiffage Génie civil

Où en est le chantier des deux EPR2 de Penly que vous menez pour EDF ?

Les opérations ont démarré en juillet 2024, et le projet se déroule en deux phases : d'abord des travaux préparatoires conséquents visant à mettre en place la plateforme qui accueillera les bâtiments des futurs réacteurs. Ils comprennent notamment le prolongement d'une digue qui sera recouverte d'une double carapace constituée de blocs cubiques rainurés (BCR) en béton d'environ 20 t chacun pour la protéger des effets de la houle.

Les 14 000 blocs sont en cours de préfabrication sur le site. Ils nécessiteront un peu plus de 120 000 m3 de béton, soit 10 % des volumes que nous aurons à réaliser pour l'ensemble de notre contrat. Le démarrage de la construction de la digue en mars 2025 était un jalon important, nous l'avons respecté. Nous sommes à l'heure sur ces travaux préparatoires. La deuxième phase du projet consistera à réaliser quelque 70 ouvrages dans le cadre des travaux de génie civil des deux tranches.

Comment avez-vous formulé les bétons des BCR ?

Notre objectif est de fabriquer des bétons conformes à la norme, durables et qui ne sont pas assujettis à une réaction alcaline. Des articles parus dans la presse ont évoqué une remise en cause de leur qualité en raison du pourcentage de silex des granulats. Or ce n'est pas la condition de la norme que nous avons retenue : nous avons validé la formulation des bétons sur la base du taux alcalin de la formule complète. Selon la norme, le matériau est réputé conforme et non soumis à une réaction en-deçà de 3 kg/m3 . Or le taux alcalin de notre formule est deux fois inférieur à ce chiffre, ce qui nous assure une marge confortable.

Allez-vous utiliser les mêmes granulats pour l'ensemble du chantier ?

Tous les bétons ne seront pas les mêmes : nous aurons plus d'une vingtaine de formules à élaborer. Les Graves de Mer de Dieppe employés pour les BCR sont issus de quatre gisements. Cela est de nature à faire varier certains composants des granulats.

Dans nos choix définitifs, il nous importera d'assurer la stabilité de certaines caractéristiques de performance sur la durée du projet, essentielle pour industrialiser notre processus de construction.

Aujourd'hui, nous pourrions nous orienter vers une autre provenance de matériaux pour les bétons les plus exigeants de notre contrat, comme ceux qui seront destinés à l'îlot nucléaire.

Mais ce choix n'est pas encore fait. Les études et les process de mise au point des bétons, réalisés sous le contrôle d'EDF, seront finalisés à l'horizon d'ici fin 2026 ou début 2027.

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