«Cette fois, nous nous sommes demandés si n’allions pas trop loin.» De la part d’un représentant de la Solidéo, l’aveu a de quoi étonner tant cet établissement public a, en sept ans, réussi à faire surgir des quartiers entiers, pour les athlètes ou les représentants des médias, des équipements sportifs ou non, des espaces publics… toutes infrastructures nécessaires à la bonne tenue des Jeux de Paris 2024, à partir du 26 juillet prochain.
Toutefois, lorsqu’il s’est agi de réaliser en structure bois une passerelle dédiée aux mobilités douces, longue de 100 m pour franchir l'autoroute A1, en Seine-Saint-Denis, le pari a paru osé, ainsi que le souligne donc Régis Bourguignon, chef de projets à la Solidéo. Si l’organisation prônait partout la décarbonation, et notamment le recours aux matériaux biosourcés, cette option n’avait pas été envisagée pour cet ouvrage à réaliser dans le cadre de la ZAC du cluster des Médias. Dans ce vaste projet d’aménagement d’un territoire de 70 ha, la passerelle était en tout cas un élément-clé pour relier les communes de Dugny, La Courneuve et le Bourget.
Yves Pagès, architecte associé de l’agence Explorations, raconte à l’inverse avoir pensé «d’emblée» que le bois était la bonne réponse. «Ce matériau est très performant et de tout temps, on l’a utilisé pour construire des ouvrages avant de l’abandonner», rappelle-t-il.
«Contrainte rare»
Deux éléments ont joué en faveur de cette idée peu commune. La réalisation de la passerelle s’est d’abord vue imposer «une contrainte, rare pour un tel ouvrage, de résistance au feu. Or il se trouve qu’avec un tablier en bois, celle-ci s’avérait meilleure qu’avec une structure métallique», explique Yves Pagès.

© Drone Press/Solidéo
Ensuite, la Solidéo, soucieuse de laisser des réalisations durables en héritage, une fois les Jeux achevés, a pu s’appuyer sur une analyse de l’institut technologique FCBA. «Ce travail a permis de lever le doute : cet ouvrage ne demanderait pas beaucoup plus d’entretien qu’un autre et donc n’allait pas devenir "un éléphant blanc"», assure Régis Bourguignon.
Réalisée dans le cadre d’une procédure de conception-réalisation par l’entreprise Colas Génie civil, mandataire du groupement, la passerelle s’élève à présent depuis deux talus, se perche sur deux piles de béton blanc en forme d’épingle à cheveux qui s’inclinent de part et d’autre de l’autoroute et monte à 10 m au-dessus des voies.
«Effet Kapla»
Le tablier est le résultat d’une superposition de blocs en lamellé-collé de Douglas, issu de forêts du Morvan. Ces grandes pièces ont été assemblées en encorbellement gradiné. Avec son «effet Kapla qui lui donne une dimension ludique» selon Yves Pagès, le franchissement est constitué de trois travées, dont la plus longue, au centre, surplombe l’autoroute d’un seul tenant de 50 m.
Par un drôle de retournement de situation, le béton employé sur le tablier n’a, non seulement, aucun rôle structurel, mais est employé comme platelage. Grâce à des débords de part et d’autre de la passerelle, il joue le rôle essentiel de parapluie : grâce à lui et à la disposition en pyramide inversée des lames porteuses, le bois n’est quasiment jamais exposé à l’eau. C’était là, une condition pour que l’ouvrage résiste au passage du temps.
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : Solidéo.
Groupement de maîtrise d’œuvre : Colas Génie Civil (entreprise, mandataire), AIA ingénierie (BET ingénierie), Explorations Architecture (architecte), D’Ici Là Paysage (paysagiste), Sémofi (BET sol), IB-Miebach (BET bois), Simonin (réalisation structure bois).
Calendrier : octobre 2022 : début des travaux ; mars 2024 : livraison de l’ouvrage.
Coût des travaux : 14 M€ HT.