Dans la création du village des athlètes, sur la rive sud-est de la Seine, à Saint-Denis et Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), il y a eu la règle et ses variations. La première reposait sur le plan urbain de Dominique Perrault et l’idée que ce nouveau morceau de ville, dont l’aménagement était confié à la Solidéo, pouvait prendre l’allure d’un port. Chaque secteur s’accrocherait donc perpendiculairement au fleuve comme autant de navires au radoub. D’ailleurs, un gros paquebot y était déjà bien ancré puisque le cœur du site est occupé par l’ancienne usine électrique de Saint-Denis transformée en Cité du cinéma.
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Pour héberger d'abord les sportifs engagés dans la course aux médailles de Paris 2024 et constituer ensuite un nouveau morceau de ville, chaque groupement de promotion désigné avait donc son bateau à construire : Vinci avec Universeine au nord, le trio Nexity, Eiffage Immobilier et CDC Habitat au sud avec Les Belvédères. Entre les deux, le périmètre encadré par la Cité du cinéma et le grand mail public Finot (lire ci-dessous) a été dévolu à la société civile de construction vente (SCCV) montée par Icade Promotion, la Caisse des Dépôts et CDC Habitat. L'ensemble de 12 immeubles de logements et un édifice de bureaux réalisés depuis est baptisé Les Quinconces.
«A la densité du village, il fallait répondre par la densité du paysage», Henri Bava, paysagiste, Agence TER
«Une ambition, quand nous sommes arrivés sur le projet, puis en tant que maître d'œuvre des espaces publics du village de la Solidéo, a été d’amplifier la présence de la Seine. En effet, le village se développe sur Saint-Ouen et Saint-Denis, à partir d’une ligne de crête, située entre le quartier Pleyel et le fleuve. Depuis ce point haut jusqu’au quai, le nouveau jardin du mail Finot présente un dénivelé de 12 m. Il était essentiel de marquer le coup en prévoyant de faire de la place haute, la place Ampère, un belvédère offrant une vue sur l'eau. La terrasse construite au bas du mail Finot en forme un deuxième. Quant à la départementale, large et quasiment dépourvu de trottoirs, qui longeait le quai, nous en avons réduit la voirie pour ménager une plus grande place aux piétons et aux vélos. Désormais une promenade se déploie sous les arbres préexistants, en encorbellement sur le fleuve. Le mail Finot lui-même est comme un grand escalier piétonnier. Il forme aussi un escalier végétal. En effet, comme le nouveau quartier est très densément construit, il fallait végétaliser fortement, aussi bien les espaces publics que les îlots privés. Dans son effort pour gagner du sol pour le vivant, le village est exemplaire.»
En effet, le plan urbain dessiné par Dominique Perrault imposait la construction d’immeubles-plots en deux rangs, mais décalés les uns par rapport aux autres. «Cette implantation ne doit rien au hasard, elle était la plus pertinente en matière d’aéraulique», explique Henri Specht, directeur du projet du village olympique à la Solidéo. Alors que la société d’aménagement avait fixé des objectifs stricts en matière de température intérieure pour les logements, la position des bâtiments par rapport à la Seine doit en effet garantir la meilleure circulation possible de l’air.
«Ligne de flottaison»
Autre prescription urbaine, alors que le terrain présente un important dénivelé, de 12 mètres depuis le haut de la parcelle jusqu’au quai de Seine, les plots de logements devaient reposer sur un socle commun rattrapant cette pente. Désignée pour assurer la coordination architecturale sur ce secteur, Anne Mie Depuydt, cofondatrice de l’agence uapS, constate : «nous avions donc un dénominateur commun : ce socle qui, tel que je connais Dominique Perrault, avait été pensé comme une ligne de flottaison et devait donc être le plus continu possible. L’agence qui, en plus de quatre des immeubles avait la maîtrise d’œuvre de ce socle, a d’ailleurs réussi tenir cette ligne en ne créant qu’une seule rupture.» Ce décroché intervient juste avant les deux derniers immeubles qui se dressent en balcon en front de Seine.

© uapS - Coupe du secteur des Quinconces
A partir de cette partition générale, l’architecte-urbaniste a proposé sa propre interprétation. Alors que le secteur totalise 643 logements, «il ne fallait pas faire un effet "grand ensemble". En même temps, il est si dense qu’il ne fallait pas trop le chahuter», estime Anne Mie Depuydt. Pour donner une identité qui soit à la fois forte sur la totalité des Quinconces mais propre à chaque immeuble, un travail a été mené sur les façades et d’abord sur les dispositions variées des balcons. Filants ou en loggias, situés de part et d’autre ou aux angles des plots quand ils ne les ceinturent pas complètement, ces espaces extérieurs ont été pensés pour donner une dimension domestique aux réalisations.

©Géraldine Millo - Dressé au-dessus du socle général du secteur, cet immeuble conçu par l'agence uapS se distingue de ses voisins par la disposition de ses balcons mais aussi par son revêtement en céramique bleue.
Par ailleurs, dans ce village des athlètes où la décarbonation du bâti était une ambition majeure, la matérialité a été également un sujet de réflexion. Alors que les immeubles en structure bois ou béton bas carbone étaient dotés de façades à ossature bois, il fallait trouver l'élément qui serait suffisamment léger pour les revêtir, capable d'introduire des différences mais sans plomber le bilan écologique. Le choix a été fait de généraliser la terre cuite. Et de jouer sur ses couleurs.
Visibilité garantie
«Je souhaitais constituer un paysage qui ne soit pas terne. J’avais analysé la colorimétrie des environs et notamment de la Cité du cinéma qui est d’un rose brun. L’artiste Philippe Fangeaux m’a alors parlé de l’œuvre Evidence du peintre américain Philip Guston», raconte Anne Mie Depuydt. Dès lors, chaque immeuble est devenu comme une pièce de ce tableau. Cette combinaison de rose et de vert, d'ocre, blanc et bleu contrebalance la rigueur formelle du plan et garantit une visibilité au secteur des Quinconces. Qui en devient matière à discussion.
Fiche technique du secteur des Quinconces
Maîtrise d'ouvrage : SCCV Quinconces (Caisse des dépôts, CDC Habitat, Icade Promotion).
Maîtrise d’œuvre : uapS (architecte coordonnateur et architecte du socle et de quatre bâtiments), Brenac & Gonzalez, Atelier Pascal Gontier, NP2F, Fagart et Fontana et ECDM (architectes associés), TN+ (paysagiste).
BET : Egis (structure), Elioth (façade), Oasiis (environnement), Berim (technique et VRD), R-use (réemploi).
Surface : 51 875 m² SP.
Coût de construction : 135 M€ HT.