Depuis la présentation, il y a quatre mois, de ses quatre scénarios prospectifs pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l’Ademe décline pour chaque filière les différentes voies possibles pour contribuer à l’effort national. Ce 22 mars, l’agence en charge de la transition écologique a publié le document relatif à la construction neuve. La filière bâtiment doit se préparer : parmi les différents scénarios envisagés, tous impliquent une baisse des volumes de la construction neuve.
Parmi les quatre scénarios prospectifs qui sous-tendent toutes ses analyses thématiques, l’Ademe n’en a retenu que deux pour la construction neuve, avec des évolutions bien différenciées. Il s’agit du scénario 2 (S2) « Coopérations territoriales » qui table sur une évolution graduelle des pratiques dans une contraction plus marquée des marchés, et du scénario 3 (S3) « Technologies vertes » misant sur des solutions techniques plus efficaces et des programmes de transformation volontaristes du parc existant.
Baisse de 60 % des volumes de construction neuve
Le S2 est celui qui bouleverserait le plus les pratiques du marché. Il implique une baisse de l’ordre de 60 % du volume de construction neuve, ramenée aux alentours des 150 000 logements par an d’ici à 2050, dont les deux tiers en collectif. La part des maisons individuelles serait ainsi limitée à 15 % des nouveaux projets, contre 45% en 2015, l’année de référence. Pour répondre aux besoins de logements, ce scénario privilégie une « occupation optimisée du parc existant » par la transformation de bureaux en logements, le réinvestissement des logements vacants et la réduction du parc de résidences secondaires dans une optique de rééquilibrage territorial.
La réduction du marché neuf entraînerait une bascule franche des entreprises de travaux vers la rénovation, amenée à peser 92 % du CA contre 54 % pour l’année de référence. L’Ademe détaille les impacts possible dans l’organisation de la filière : constitution de groupements multi-métiers pour les TPE/PME, avec une transformation plus profonde pour les entreprises travaillant exclusivement pour des CMIstes, et nouveaux rôles pour les entreprises générales invitées à développer un nouveau métier de « regroupeur » et de « coordinateur » de compétences sur les chantiers.
Même tendance pour les équipes de maîtrise d’oeuvre, pour qui la rénovation ne pèse aujourd’hui que 35 % de l’activité des architectes et 49 % des bureaux d’études : le besoin d’interdisciplinarité et de garantie de résultats pourraient les aider à se positionner au coeur des projets.
Les perspectives seraient moins encourageantes pour les promoteurs et surtout les CMIstes, avec une diminution attendue du nombre d’acteurs. Pour faire face au rétrécissement du marché neuf, la solution serait de se positionner sur la restructuration du parc existant et d’élargir l’offre de services - par exemple sur la gestion des immeubles pour les promoteurs.
Le scénario 3 limite la baisse des constructions neuves à 7 %
Privilégiant l’émergence de technologies de rupture et de nouvelles organisations du chantier, le S3 « Technologies vertes » limite à 7 % la baisse de la construction neuve. La part de la maison individuelle serait réduite moins drastiquement, de 45 à 25 %, mais les efforts porteraient surtout sur le logement collectif. Dans une approche résolument métropolitaine, l’Ademe imagine dans ce scénario un « nouvel esprit hausmannien » consistant à déconstruire des bâtiments obsolètes pour rebâtir des quartiers optimisés. « Le bâtiment neuf serait monofonctionnel (dédié à un seul usage pour en améliorer le confort), intégré dans un quartier reconstruit, déconstructible, chauffé majoritairement par des réseaux de chaleur ou pompes à chaleur, et climatisé », résume l’agence.
Pour les entreprises de travaux, la part du neuf serait divisée par deux : 23 % contre 46 % actuellement. La montée en puissance des approches industrielles auraient des impacts forts sur la filière : évolution des performances à atteindre, réduction des délais de livraison des chantiers, montée en puissance de la préfabrication, évolution des compétences et des profils d’emploi…
Les entreprises générales s’imposeraient comme « un maillon majeur pour atteindre la neutralité carbone » grâce à leur capacité à mobiliser des compétences et des solutions techniques variées, notamment la préfabrication.
Massification du réemploi et du recyclage
Le scénario est plus ambivalent pour la maîtrise d’oeuvre. Portés par sa capacité à faire du sur-mesure sur le neuf et la multiplication des grands projets d’aménagements territoriaux ou de quartiers, ces acteurs pourraient se retrouver en concurrence encore plus frontale avec promoteurs, entreprises générales, et industriels de la construction hors-site.
L’Ademe envisage quatre leviers pour faire réussir ce scénario. Deux concernent la déconstruction, avec une demande d’accélération de renouvellement du parc ciblée sur les bâtiments obsolètes et la massification du réemploi et du recyclage. Les deux autres portent sur une optimisation de l’offre en neuf, via l’industrialisation et la conception sur mesure des projets pour mieux répondre à l’évolution des besoins des usagers et des exigences environnementales.