Parler du « Stroumpfeur de pluie », de Greta Thunberg et de transition énergétique désirable dans la même conversation relève en général de la gageure. Pas pour François Gemenne, politologue et chercheur belge, l’un des co-auteurs principaux du sixième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec), qui prenait la parole dans le cadre du Campus Setec devant un auditoire composé d’ingénieurs du groupe.
Le sujet : en matière d’ingénierie, de résilience et d’adaptation, existe-t-il une voie de développement vertueux pour nos territoires ? L’expert a joué le jeu en rappelant des vérités trop souvent oubliées comme la durée de vie du CO2 de plusieurs centaines d’années ou l’accord de la COP 28 en 2023 pour atteindre la neutralité en 2050. « Cela signifie que nous allons passer les 25 prochaines années à décarboner l’économie et nos activités sans voir les températures baisser. Dans le meilleur des cas, nous assisterons à une stabilisation en 2050. Nous ne toucherons pas de dividendes climatiques avant 25 ans », indiquait le politologue.
Réussir à rendre la transition désirable
« Dans ce contexte, comment rendre la transition énergétique désirable ? Et quels seraient les « quick wins » pour aider les donneurs d’ordre à s’engager dans une telle démarche », demandait Michel Kahan, président du groupe Setec. Pour François Gemenne, les ingénieurs doivent « réussir à faire toucher et à rendre perceptible la transition ». Une opération qu’il compare à l’état d’esprit des Parisiens avant les Jeux olympiques et paralympiques de l’été dernier. « Les premières minutes de la cérémonie d’ouverture ont suffi à faire comprendre que ces JOP seraient une réussite », rappelle-t-il. Transposée à l’ingénierie, la métaphore concerne des infrastructures fiables, des bâtiments confortables et des factures énergétiques moins élevées, par exemple.
Développement massif des EnR au Texas en 2024
Quant aux quick wins, le plus évident concerne les bénéfices sanitaires liés aux mesures d’atténuation ou d’adaptation. « Les personnes qui se rendent au travail en vélo ne pensent pas d’abord à leur empreinte carbone, mais visent à faire de l’exercice, éviter les bouchons, toucher une prime de leur employeur ou juste à impressionner leurs collègues, plaisante le politologue. Si ça marche au niveau individuel, faisons en sorte que ça fonctionne au niveau macro. » Autre exemple, le Texas est l’état américain qui a connu le plus gros déploiement d’énergies renouvelables en 2024. Pourquoi ? « Parce que les EnR deviennent à la fois plus rentables et moins coûteuses », rappelait-il. A l’inverse, les bénéfices sanitaires des zones à faibles émissions (ZFE) n’ont pas été mis en avant « alors que la santé constitue la première préoccupation des Français dans les sondages, loin devant les autres thématiques ».

De gauche à droite : Michel Kahan, président du groupe Setec, François Gemenne, politologue belge et auteur principal du dernier rapport du Giec, Laurent Guérin, directeur général de Setec Organisation et Stéphanie Blanc, directrice de projet chez Setec.
Baisser les taux d’intérêt des projets favorables au climat
« Pour autant, nous nous heurtons toujours à un problème de financement », constatait Michel Kahan. Quelles solutions mettre en œuvre pour débloquer les budgets ? Le politologue propose des plans alternatifs en particulier pour rendre les infrastructures résilientes au changement climatique. « Il faudrait que les départements puissent lever des obligations ou des souscriptions publiques ». Autre idée, qui commence à faire son chemin parmi les banques : moduler les taux d’intérêt en fonction du type d’investissement. Le taux baisserait quand l’investissement serait favorable à l’atténuation ou à l’adaptation et augmenterait dans le cas où les travaux aggravent les phénomènes. « Ce qui était l’objectif initial des Green bonds européens », soulignait Michel Kahan, « Dans tous les cas, il est certain que ne considérer que la rentabilité à court terme sera un calcul perdant sur le long terme », rappelle l’expert du Giec.
Considérer la croissance comme une conséquence des décisions politiques
« On voit se dessiner deux scénarios opposés pour l’avenir avec d’une part les tenants de la sobriété, où moins consommer devient synonyme de décroissance et d’autre part des techno-optimistes qui prônent la technologie comme solution. Où se trouve la croissance vertueuse ? » interrogeait Michel Kahan à l’expert du Giec ? Si le débat est devenu extrêmement polarisé en France sur cette question, François Gemenne propose lui de changer la façon d’envisager le sujet et « d’abandonner la croissance économique comme un objectif politique pour en faire une conséquence de l’activité économique ».
Il invite également à s’interroger sur le type de croissance souhaitée. « En général, nous imaginons la croissance comme un « plus », avec plus de chiffre d’affaires pour une entreprise, ou plus de PIB pour un état, mais il n’y a pas de corrélation entre le PIB et le bien-être. Il est donc nécessaire de mettre en place des indicateurs pour analyser la « qualité » de la croissance. Ce qui est d’ailleurs l’objectif de la CSRD. La Chine regarde ce sujet et commence à introduire de nouveaux indicateurs pour qualifier sa croissance. »
Trois questions fondamentales de la géo-ingénierie
Quant au « Schtroumpfeur de pluie », c’est la réponse de François Gemenne à une question sur la géo-ingénierie. « Cette nouvelle frontière de l’ingénierie pose trois questions fondamentales : Maitrisons-nous ces techniques ? Quelle gouvernance mettre en place sur le sujet ? Quid de l’éthique de ces méthodes pour accroitre la captation du CO2 ou modifier les cycles solaires ? L’album de Peyo mettait déjà en évidence l’importance de ces enjeux en 1970.