Recrutement : des besoins toujours importants… pour le moment

Malgré une conjoncture morose, les employeurs du BTP poursuivent des politiques d'embauches dynamiques, et restent même confrontés à une pénurie de candidats.

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Le marché de l'emploi dans le BTP reste concurrentiel : nous nous battons plus que jamais pour attirer des candidats ! Pas seulement sur les postes d'ingénieurs, mais également, dorénavant, sur les fonctions support et celles de compagnons, ou encore pour embaucher des intérimaires. Nos besoins en compétences, liés au renouvellement des générations et à un niveau d'activité satisfaisant en France, n'ont pas diminué, constate Jérôme Pavillard, DRH de Razel-Bec (3 000 salariés). Sans compter un turn-over en hausse de 4 points (le taux lui-même n'est pas communiqué), « avec notamment de plus en plus de collaborateurs qui choisissent de quitter les travaux. Un phénomène qui, depuis la crise sanitaire, touche désormais toutes les générations », poursuit le responsable.

Malgré un contexte économique difficile, le groupe de travaux publics accueillera ainsi cette année 500 nouveaux collaborateurs au total, soit autant qu'en 2022. Un cas loin d'être isolé dans le secteur. « L'activité de recrutement des entreprises comme des bureaux d'études reste à ce jour soutenue dans l'ensemble, portée notamment par de grands projets un peu partout en France », pose Emilie Martin, consultante senior en recrutement chez Fed Construction, qui note toutefois, crise du logement oblige, « une demande plus importante sur la partie VRD et infrastructures ».

Moins de neuf, plus de rénovation. Sans surprise, les structures positionnées sur le créneau de la rénovation tirent leur épingle du jeu. A l'image de la PME francilienne Edile Construction (50 salariés), dont la part d'activité en réhabilitation d'équipements publics et privés atteint aujourd'hui 70 %, contre 30 % pour le neuf. « Le doublement de notre chiffre d'affaires en trois ans - il est estimé à 20 M€ au titre de 2023 - nécessite de faire évoluer notre organisation, notamment de renforcer les équipes dans les fonctions support et techniques », estime Gino Stassi, son P-DG. Il se murmure par ailleurs que la filiale bâtiment d'une major du BTP a entrepris une démarche de mobilité interne de son pôle « neuf » vers celui dédié à la réhabilitation.

Côté ingénierie, « les carnets de commandes de l'ensemble de la profession sont pleins, et la pénurie de candidats plus importante encore que l'an dernier ! » lance Jacques-Olivier Durand, DRH d'Ingérop (2 700 salariés). Pour répondre à des besoins en région parisienne dans le cadre du Grand Paris Express et des Jeux olympiques de 2024, mais aussi, entre autres, en région Auvergne-Rhône-Alpes et sur l'arc méditerranéen, quelque 300 recrues auront rejoint le groupe en 2023. Un niveau identique à l'an passé. « En cas de lancement d'opérations, de réduction des délais ou de nouveaux éléments demandés par le client, ce sont parfois 100 voire 150 personnes qu'il faut mobiliser en l'espace de quelques semaines. Nous avons constamment besoin de ressources supplémentaires », illustre le DRH.

S'agissant des profils, l'essor du marché de la rénovation conduit les entreprises à rechercher des conducteurs de travaux spécialisés dans le domaine. « Des professionnels qui se font rares, d'où la nécessité de recourir également à la formation en interne pour faire monter nos collaborateurs en compétences », pointe Sondos Hanini, DRH au sein de Demathieu Bard (3 855 salariés), qui embauchera environ 500 personnes cette année, soit autant qu'en 2022. Autres métiers de plus en plus cotés, « ceux d'ingénieurs en efficience énergétique et en construction durable ainsi que les energy managers, dont la part dans nos recrutements est appelée à croître dans le cadre de notre démarche RSE », poursuit la professionnelle des RH. C'est également le cas des préventeurs et des responsables qualité sécurité environnement (QSE), « compte tenu de la complexité de nos opérations ».

Des thermiciens convoités. De son côté, Ingérop est en quête d'ingénieurs d'affaires aussi bien en environnement que dans le bâtiment, la ville et la mobilité ou encore les infrastructures, mais également d'ingénieurs structures et fluides (CVC et électricité), ainsi que de chefs de projets - « une denrée rare toutes activités confondues », relève Jacques-Olivier Durand. « Les profils les plus convoités par les bureaux d'études sont avant tout les thermiciens, en raison de la montée en charge de la RE 2020. On observe aussi, depuis deux ans, une demande sur des postes de chargés d'affaires en construction durable, appelés à intervenir sur la partie du projet liée aux labels environnementaux », complète Emilie Martin. D'autre part, la pénurie de dessinateurs projeteurs ne se dément pas.

Concernant les rémunérations à l'embauche, « l'inflation et la grande volatilité des talents nous contraignent à rester compétitifs », rappelle Jérôme Pavillard, qui ne constate pas de véritable tassement à ce niveau, « même si cette question s'appréhende au cas par cas. Nous avons en tout cas revalorisé nos grilles “cadres” de 5 % cette année, et les rémunérations des compagnons se situent bien au-dessus des minima. » Il ajoute que « compte tenu de prétentions salariales parfois très élevées, mieux vaut, afin d'éviter de perdre un temps précieux, discuter du sujet oralement avec le candidat avant de lui envoyer une proposition d'embauche ». Actuellement, en entreprise générale, « un ingénieur travaux disposant de trois ans d'expérience peut obtenir des propositions entre 50 et 55 K€ », chiffre Anaïs Mathy, directrice du cabinet Saint Louis Executive.

Autre exemple : le salaire d'un ingénieur ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) confirmé, avec sept à dix ans d'expérience, se situe entre 60 et 65 K€. Céline Morinière, DRH Groupe adjointe chez Ingérop, note de son côté une hausse du salaire des jeunes diplômés depuis la crise sanitaire. « Alors que la fourchette de rémunération oscillait il y a quelques années entre 35 et 37 K€, elle est désormais comprise entre 37 et 40 K€ », remarque-t-elle. Mais les attentes des candidats sont à tous les niveaux : « L'équilibre entre vies professionnelle et privée et notamment le télétravail, l'intérêt des missions, la politique RSE et l'engagement écologique ».

Des candidats volatils. Le contexte économique ne semble ainsi pas inquiéter outre mesure les candidats, qui se savent toujours en position de force. Comme l'observe Emilie Martin, « ils se font désirer. Phénomène nouveau, ils attendent d'avoir reçu plusieurs propositions d'embauche pour comparer les rémunérations et les conditions de travail, quitte à faire patienter les employeurs ». Une attitude qui n'est pas du goût de Gino Stassi. Le dirigeant d'Edile Construction se sent parfois « comme un vêtement sur un porte-manteau dans une vitrine ! Les fortes exigences sur le salaire ou encore le véhicule de fonction nous font douter de la pérennité de la relation de travail une fois la personne intégrée : ne risque-t-elle pas de nous faire rapidement faux bond si l'herbe est plus verte ailleurs ? » Un conducteur de travaux, sur les trois à recruter depuis le début de l'année dans l'entreprise, manque d'ailleurs encore à l'appel. Stève Noël, DRH de Rabot Dutilleul (600 salariés, environ 80 embauches espérées cette année), qui recherche en majorité des conducteurs de travaux avec cinq ans d'expérience, déplore quant à lui, ces derniers temps, « des abandons qu'on ne s'explique pas. Certains candidats ne vont ainsi pas au bout des process, et cessent de donner des nouvelles du jour au lendemain ».

Mais jusqu'à quand le marché leur sera-t-il favorable ? Si des employeurs comme Ingérop ou Demathieu Bard envisagent une politique de recrutement aussi dynamique l'an prochain, « certains se posent des questions sur les mois à venir, notamment les bureaux d'études positionnés en grande partie sur les projets de construction de logements », reconnaît Emilie Martin. Certaines sociétés, toutefois très peu nombreuses à ce jour, commencent à mettre les recrutements sur pause. « Un certain nombre d'acteurs du secteur ne se projettent pas au-delà de douze ou dix-huit mois, d'autant que, concernant la région parisienne, les JO seront passés, renchérit Anaïs Mathy. A plus court terme, on craint une inertie avec le freinage des mises en chantier dans le cadre de cet événement : la prudence en matière d'embauches sera donc de mise, afin d'éviter des équipes surdimensionnées. » A la FFB, on tire la sonnette d'alarme : 150 000 emplois pourraient disparaître à l'horizon 2025 si rien n'est fait pour remédier à la crise du neuf. Chez Demathieu Bard, Sondos Hanini se veut pour sa part résolument optimiste. « Les besoins en recrutement dans le BTP et l'immobilier ne devraient pas diminuer, tout au plus se stabiliser. Même en cas de baisse d'activité, il s'agira de continuer à embaucher, intégrer et former nos collaborateurs, mais aussi de leur permettre d'évoluer et de les fidéliser au sein du groupe. » Et du secteur.

« De nouveaux profils d'ingénieurs alliant data science et conception », Stéphane Huguet, DRH de Fondasol, ingénierie, 850 salariés, Vaucluse

« Ingénieurs en géotechnique, structures, environnement, hydrogéologie, mais aussi opérateurs de chantiers, data scientists ou encore commerciaux… Une centaine de nouvelles recrues devraient avoir intégré le groupe d'ici fin décembre. Les outils numériques que nous développons depuis plusieurs années ont transformé le métier, et fait évoluer le quotidien des salariés. La géostatistique associée à l'intelligence artificielle leur offre un accès plus rapide à de l'information fiable, et leur permet de se concentrer sur l'essence de leur activité : la conception et le conseil au client. Nos recherches s'axent ainsi sur ces nouveaux profils d'ingénieurs désireux d'allier la data science et l'ingénierie de la construction. Pour nous démarquer de nos concurrents auprès des candidats, nous valorisons l'autonomie qui pourra leur être accordée dans l'exercice de leurs fonctions, mais également des parcours qui peuvent amener, quel que soit le poste initial, à des responsabilités dans l'entreprise. Nous mettons aussi en avant notre dispositif d'actionnariat salarié, dont bénéficient 97 % de nos collaborateurs. »

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« Ne crions pas avant d'avoir mal ! », Francis Dubrac, P-DG de Dubrac TP, 400 salariés, Seine-Saint-Denis

« Dépendants à 95 % de la commande publique, nous avons connu un premier semestre 2023 en demi-teinte. Malgré un carnet de commandes bien garni, nous attendions, de la part des mairies, des décisions de démarrage des travaux qui ont été retardées de plusieurs mois. Pendant cette période, nos embauches ont marqué le pas, et nous avons fait l'économie du recours à l'intérim. La situation s'étant débloquée en juin, nous menons à présent une démarche de recrutements agressive - chasse, politique de cooptation généreuse - pour réaliser nos travaux de voirie réseaux divers (VRD) en région parisienne, notamment dans le cadre du chantier du village olympique de l'Ile-Saint-Denis. Nos recherches portent actuellement sur une vingtaine de postes d'ouvriers, et une dizaine de cadres et d'Etam (chefs de chantier, techniciens en bureaux d'études). Mais alors que nous sommes débordés, les CV de candidats se font désirer. Nous avons conscience de la gravité de la crise que traverse l'immobilier, mais même si nous manquons encore de visibilité au-delà du déroulement des JO, nous demeurons confiants sur nos perspectives d'activité. Ne crions pas avant d'avoir mal ! »

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« Il faut être transparent en entretien », Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec

« La volumétrie d'offres d'emploi de cadres publiées dans la construction demeure à un niveau élevé - environ 26 000 entre août 2022 et août 2023 -, même si elle accuse une baisse de 2 % sur un an. Mais les intentions d'embauches reculent, elles, de 7 % (12 900 en 2023, contre 13 800 l'an passé), dans un contexte économique moins favorable pour le BTP. La conduite de travaux figure en tête du top 5 des familles de métiers où on embauche le plus dans le secteur.

Suivent l'ingénierie de travaux (méthodes…) et celle d'affaires (études de prix…). Puis les fonctions de commerciaux et d'économiste de la construction. Avec l'informatique, le BTP fait partie des secteurs où les difficultés de recrutement sont les plus grandes. Ce phénomène est multifactoriel : au-delà du secteur lui-même et de la pénurie de professionnels sur le marché, on note l'inadéquation entre la candidature et les profils recherchés, l'implantation géographique de la structure concernée ou le salaire proposé. En entretien avec un candidat cadre, il faut être transparent. Car en cas de hiatus entre le discours tenu lors de l'embauche et la réalité, l'intéressé risque fort de quitter l'entreprise. A l'instar de la marque employeur en matière d'attractivité, la promesse employeur joue un rôle clé dans la fidélisation des nouvelles recrues. »

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Menaces sur l'emploi dans la promotion immobilière

«Nous sommes confrontés à un marché du travail à plusieurs vitesses, observe Anaïs Mathy, directrice du cabinet Saint Louis Executive. Alors que les entreprises de construction et les sociétés d'ingénierie continuent à recruter, les promoteurs immobiliers, touchés par la crise du logement neuf, ont gelé les embauches. » Avec d'importantes réorganisations en cours, et notamment des stratégies adoptées dans les grands groupes pour donner la priorité à la mobilité interne. Pis : les rumeurs de plans sociaux qui circulent depuis quelques mois au sein de la profession devraient bientôt être confirmées. A l'alerte lancée par la FFB sur le risque de destructions de 150 000 postes dans le bâtiment d'ici 2025 est venue s'ajouter, mi-septembre, celle de la Fédération des promoteurs immobiliers. Quelque 150 000 emplois supplémentaires pourraient être perdus au même horizon, si rien n'est fait pour relancer la construction, « dans les métiers qui gravitent autour : promoteurs, architectes, assureurs, bureaux d'études et fabricants », prévient Pascal Boulanger, président de l'organisation professionnelle.

« Nous ne créons plus de postes, mais nous ne sommes pas dans l'optique de réduire les effectifs, témoigne, pour sa part, Norbert Fanchon, président du directoire de Gambetta (160 salariés). Nous nous bornons à ne pas remplacer certains salariés en cas de départ, notamment dans l'encadrement intermédiaire, comme sur les fonctions de directeur de développement. » En revanche, plusieurs postes de développeurs et de responsables de programmes vacants à la suite de démissions sont à pourvoir au sein du groupe. « Après une année 2023 mauvaise sur le plan de l'activité, nous nous attendons à une conjoncture dégradée pendant plusieurs années, reprend le dirigeant. Mais nous disposons de suffisamment de fonds propres pour ne pas avoir besoin de nous refinancer. Un atout qui nous permettra d'affronter 2024 sans envisager de plan de sauvegarde de l'emploi. »

« La semaine de quatre jours pour attirer de nouveaux talents », Maxime Gourlet, DRH d’Acorus, rénovation, 1 600 salariés, Seine-et-Marne

« Spécialistes de la rénovation en site occupé, nous misons sur l'intégration de 1 000 personnes au titre de 2023 pour soutenir notre croissance. Des postes d'ouvriers et de techniciens (plombiers, électriciens, peintres, maçons…), qui concentrent 80 % de nos besoins, mais aussi de conducteurs de travaux, de chefs de projets ou encore d'ingénieurs études de prix, sont à pourvoir sur tout le territoire, en particulier en Ile-de-France. Mais la pénurie de candidats sévit avec plus d'intensité encore qu'avant la crise sanitaire. Nous recourons ainsi à la formation pour initier des jeunes en situation de reconversion professionnelle aux métiers de plombier et de peintre ravaleur dans nos centres de Nantes et d'Orléans. Et la semaine de quatre jours que nous expérimentons actuellement dans notre agence nantaise constitue pour nous, entre autres, un levier d'attractivité. Plus qu'une expérience dans la réhabilitation, nous attendons des conducteurs de travaux que nous accueillons un état d'esprit qui leur permettra d'être des manageurs “facilitateurs”, autrement dit au service de leur équipe et capables de faire grandir leurs collaborateurs. Nous n'imaginons pas 2024 autrement que placée sous le signe du développement, et à ce titre, poursuivrons sur notre lancée en matière de recrutement. »

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