Altération de la biodiversité, îlots de chaleur, inondations… les effets de l'artificialisation des sols sont désormais bien documentés et ne souffrent plus de contestations crédibles. L'objectif de zéro artificialisation nette, qui vise à réduire la consommation d'espaces par des restaurations à l'état naturel ou semi-naturel d'écosystèmes dégradés en compensation des constructions neuves, a ainsi été inscrit dans la loi Climat et résilience du 22 août 2021. Simple à expliquer, le mécanisme s'avère bien plus compliqué à mettre en œuvre. « S'il est crucial de retirer les revêtements imperméables que sont le béton et les enrobés, cela ne suffit pas pour rendre aux sols leurs fonctions essentielles, que ce soit leur capacité d'infiltration des eaux de pluie, de rafraîchissement, de stockage du carbone, d'amélioration de la qualité de l'air ou d'accueil de la biodiversité », prévient Robin Dagois, chargé de mission agronomie, sols et végétalisation urbaine à Plante & Cité.
C'est d'ailleurs pour établir les meilleures recettes de revitalisation que l'association participe au projet de recherche Dessert (1) soutenu par l'Ademe. D'un budget de 478 000 euros, il est coordonné par l'Université de Lorraine / Inrae (Laboratoire Sols et environnement) et s'étend sur la période 2021-2024. « Nous voulons analyser le comportement des sols descellés de façon à leur redonner une nature écosystémique », décrit l'expert, conscient que la qualité des diagnostics de l'état des sols est un préalable indispensable à tous travaux de renaturation. Et d'ajouter : « Certaines sous-couches artificielles, comme les graves ou les granulats, peuvent en effet être présentes et potentiellement polluées ou trop argileuses, ce qui empêche la faune et la flore de se réinstaller. »
60 projets passés au crible. Le premier volet de cette initiative a consisté à passer au crible une soixantaine de projets de désimperméabilisation. Il a permis d'analyser leur fonctionnement et leur ambition. « Si ces projets concernent prioritairement la gestion des eaux pluviales, ils sont aussi motivés par la création d'aménités paysagères multifonctionnelles », observe Robin Dagois, qui constate aussi que « près d'un tiers d'entre eux cherche à réutiliser les matériaux sur place ».
Le second temps du projet laisse, lui, place à l'expérimentation. Trois sites pilotes de 150 m² chacun et exposés à trois climats différents, à Angers (Maine-et-Loire), Cannes (Alpes-Maritimes) et Nancy (Meurthe-et-Moselle), sont éprouvés. « Après descellement des enrobés, nous testons différentes techniques de réutilisation des sols minéraux avec mélange ou non de substrats fertiles, semés d'un couvert végétal identique adaptable aux trois climats », détaille le chargé de mission. Lors du suivi, seront mesurés l'infiltration de l'eau, la température des couches du sol, leur texture, leur pH et teneur en carbone, leur activité microbienne et leur capacité de biodégradation, de développement de la faune et de la flore. « Nous espérons aussi démontrer que la construction de technosols à partir de déchets urbains plutôt que de terres excavées importées est possible », projette-t-il.
Identifier les zones prioritaires. Une fois les bonnes pratiques listées et confirmées, reste à identifier les terrains où elles offriront les gains écologiques les plus importants. Si le déploiement d'une cartographie à l'échelle nationale s'avère complexe, des initiatives locales parviennent à appréhender le sujet. C'est le cas en Ile-de-France où l'agence régionale de la biodiversité (ARB) participe au projet européen Regreen qui s'achèvera en août 2023. Par accumulation de données et superposition de cartographies sur les effets des îlots de chaleur, la pollution de l'air, l'exposition au risque d'inondation ou encore le couvert végétal, elle est en mesure de créer un maillage pour identifier les zones de renaturation prioritaires, puis localiser les sites minéralisés potentiellement renaturables, comme les trottoirs bitumés, les parkings inutilisés ou les terrains de sport bétonnés. Dans la région, le potentiel est ainsi estimé à 30 535 ha, soit 2,54 % de la surface de la région.
Mais plusieurs freins persistent et empêchent de désartificialiser nos villes à grande échelle. Outre le manque d'expérience en la matière, les maîtres d'ouvrage cherchent encore à anticiper et à modéliser le rapport coûts/bénéfices. A ce jour, la seule désimperméabilisation est estimée entre 60 et 270 euros/m² par l'institution gouvernementale France Stratégie. Un montant qu'il faut mettre en balance avec les multiples services rendus par la nature. Sans compter que, si ces opérations engendrent des dépenses d'entretien plus importantes au début, celles-ci décroissent au fil du temps. Tout l'inverse des solutions grises à base de béton ou d'asphalte qui ont tendance à se détériorer. Là encore, le retour sur investissement doit être évalué dans la durée.