Entre la montée en puissance du développement durable et la numérisation des projets, le virage pris ces dernières années par le BTP a fait évoluer de nombreux métiers, quand il n'en a pas engendré de nouveaux. A l'instar du maître d'œuvre en génie civil écologique, dont la mission est de préserver la biodiversité au sein des opérations d'aménagement. Il intervient sur la séquence « éviter-réduire-compenser » des projets, dans le dossier de consultation des entreprises et des collectivités, ainsi que sur les travaux dans les espaces protégés. « Dans le domaine du génie écologique, un titre professionnel d'ouvrier, un certificat de spécialisation de chef d'équipe et un diplôme de technicien ont été créés récemment. Mais pour le maître d'œuvre, nous partons de zéro, et les besoins sont importants », pointe Thomas Redoulez, délégué général de l'Union professionnelle du génie écologique (UPGE), dont les majors et plusieurs autres entreprises du secteur sont venues grossir les rangs ces derniers temps.
L'ESTP lancera en 2022 un mastère spécialisé avec l'UPGE et AgroParisTech, auquel Egis et Eiffage se sont associés, ainsi qu'une chaire sur le sujet. « Le mastère comprendra deux filières d'admission, le génie civil et le génie écologique, et sera ouvert aux étudiants et aux salariés des entreprises. Les diplômés acquerront une double compétence : la compréhension du vivant et celle de l'ouvrage », indique Joël Cuny, directeur de l'ESTP. Le métier de maître d'œuvre en génie écologique étant nouveau, aucune fourchette de salaire n'a encore pu être établie.
Toutes les nouvelles recrues ne sont pas hyperspécialisées, mais un minimum de connaissances est demandé. « Il n'est aujourd'hui plus possible, pour une grande société d'ingénierie, de faire peu de cas de l'écologie », rappelle Jacques-Olivier Durand, DRH d'Ingérop, qui embauche des ingénieurs « capables d'apporter une vision environnementale aux projets de développement urbain et de mobilité, ainsi que des chefs de projets pluridisciplinaires avec une dominante “développement durable” ».
« Enjeu concurrentiel ». Même tendance dans l'immobilier. « Des postes nouveaux apparaissent dans les annonces, comme “responsable développement durable de pôle immobilier”, “responsable de programmes durables”, ou encore “directeur développement durable et innovation”. Des fonctions transverses qui requièrent de bonnes connaissances dans plusieurs sujets comme la RE 2020, le décret tertiaire ou encore la végétalisation. Compter ces compétences au sein de leurs effectifs représente un enjeu concurrentiel pour les entreprises », observe Gaëlle Audrain, enseignante-chercheuse à l'Ecole supérieure des professions immobilières (groupe ESPI).
Autre grand enjeu pour le secteur : la réduction de la consommation énergétique des bâtiments. L'energy manager, dont le métier a récemment émergé et qui est chargé du pilotage des consommations d'une entreprise ou d'un site, est de plus en plus recherché. « Cette activité relève d'une discipline systémique, qui nécessite une réponse globale pour, tout à la fois, réduire la demande, optimiser la distribution et produire avec des ressources renouvelables. Avec la crise sanitaire, de nouvelles compétences sont en outre apparues concernant la ventilation et la qualité de l'air intérieur », indique Andrea Kindinis, enseignant-chercheur, responsable du laboratoire d'efficacité énergétique à l'ESTP.
L'energy manager, chargé du pilotage des consommations d'une entreprise ou d'un site, est de plus en plus recherché
Licence de pilote d'ULM. Et bien que la meilleure énergie soit celle qui n'est pas consommée, quand elle doit l'être, autant faire appel au renouvelable. Et à de nouveaux profils pour assurer la maintenance des installations, comme les pilotes de drone. Chez Dynae (Eiffage Energie Systèmes), Julien Mocq est chargé de contrôler le bon fonctionnement des stations photovoltaïques pendant les mois les plus ensoleillés de l'année. « Je cartographie les panneaux endommagés (connectiques fondues, encrassements, problèmes de diode…) pour les services de maintenance et de réparation », explique-t-il. Le professionnel contrôle une dizaine de sites par thermographie infrarouge dans le Sud-Ouest, dont l'immense centrale - un million de panneaux -de Cestas (Gironde). En dehors de cette activité, pour laquelle il a obtenu une licence de pilote d'ULM, cet ingénieur en système mécanique de formation, spécialiste de l'analyse vibratoire, fait de la maintenance préventive sur les machines tournantes, comme les centrales hydroélectriques.
Enfin, le secteur de l'efficacité énergétique n'échappera pas à la data, comme le remarque Olivier Daval, responsable efficacité énergétique chez Spie Facilities : « Nous mettons en place des outils de pilotage et de suivi de nos activités, ce qui implique de savoir modéliser, interpréter et mettre en adéquation les données pour aboutir à une baisse réelle de la consommation du bâtiment. » Autant de nouvelles compétences demandées aux ingénieurs…
« Imaginer le BIM de demain ». Ces derniers peuvent également s'orienter vers une fonction qui se développe : l'ingénierie du BIM. « Nous sommes en quête d'une nouvelle catégorie d'experts pour imaginer le BIM de demain - BIM de la RSE, ou encore pour le calcul de l'empreinte carbone - et adapter l'outil aux nouveaux enjeux, explique Maud Guizol, directrice adjointe BIM et construction numérique chez Colas. Nous recherchons ainsi des profils formés à l'informatique, ou à la construction mais avec une appétence pour les systèmes d'information. Par exemple, des ingénieurs ESTP passionnés par la programmation ou des diplômés de l'école d'informatique Epitech. » « Concernant les profils BIM et City Information Modeling (CIM), rares et recherchés, nous avons une politique de rémunération adaptée à ces nouveaux métiers et à leur compétitivité », complète Vincent Mattei, directeur adjoint acquisition et développement des talents de la filiale routière du groupe Bouygues. Cette dernière recrute aussi de nouveaux métiers dans le domaine de la mobilité. « Nous avons désormais besoin de profils de chefs de projet informatique spécialisés, mais les formations n'existent pas encore. Nous embauchons ainsi des informaticiens dotés d'une expérience dans le domaine de la mobilité, puis complétons par de la formation en interne », détaille Vincent Mattei. Aux employeurs de joindre leurs efforts à ceux des écoles pour permettre au BTP de réussir sa mue.