Pour parvenir à "reconstruire Notre-Dame en cinq ans", le gouvernement passe à l'action. Souscription nationale, déduction fiscale, contrôle des fonds recueillis, dérogations au cadre juridique : voici les principales dispositions du projet de loi pour la restauration et la conservation de Notre-Dame, au menu de ce vendredi 10 mai 2019 à l'Assemblée nationale. Le texte doit ensuite être transmis au Sénat, qui l'examinera en commission le 22 mai, puis en séance le 27 mai.
► Dérogations aux règles d'urbanisme, de protection de l'environnement, etc.
Dans les deux ans suivant la publication de la loi, le gouvernement pourra prendre par ordonnance toutes dispositions visant à faciliter les travaux de restauration de la cathédrale ainsi que les "opérations connexes" (aménagements et installations utiles aux travaux ou à l’accueil du public pendant leur durée, travaux et transports permettant l’approvisionnement du chantier et l’évacuation et le traitement de ses déchets).
L'exécutif pourra dans ce cadre procéder à des dérogations ou adaptations de règles d'urbanisme, de protection de l'environnement, de voirie et de transports, ainsi que de règles de la commande et de la domanialité publiques.
Il pourra également déroger aux règles de l'archéologie préventive et à celles sur la préservation du patrimoine. La majorité présidentielle a cependant annoncé en commission qu'elle déposerait des amendements sur ce volet controversé du texte.
► Création d'un établissement public
L'Etat pourra prendre par ordonnance, dans les six mois suivant la publication de la loi, des mesures visant la création d'un établissement public destiné à concevoir, réaliser et coordonner les travaux de conservation et de restauration de Notre-Dame et de son mobilier. Si sa composition n'est pas connue, il est prévu que la Ville et le Diocèse de Paris soient associés à sa gouvernance en tant que principaux utilisateurs de la cathédrale.
Le texte prévoit une dérogation aux règles de la limite d'âge des dirigeants de la fonction publique. Selon certains députés, la mesure serait destinée à permettre à Jean-Louis Georgelin, ancien chef d'état-major des armées (70 ans), chargé par le chef de l’État d'une mission pour la reconstruction de Notre-Dame, de présider la structure.
► Ouverture d'une souscription nationale
Une souscription nationale est ouverte depuis le 16 avril, sous l'autorité du président de la République. Elle a pour objet le financement de la conservation et de la restauration de la cathédrale et de son mobilier. Les dons pourront également servir au financement de la formation des professionnels disposant des compétences particulières qui seront requises pour les travaux. La clôture de la souscription sera prononcée par décret.
Le produit des dons versés depuis le 16 avril par les personnes physiques ou morales, en France ou à l'étranger, auprès du Trésor public, du Centre des monuments nationaux ainsi que des trois fondations habilitées (Fondation de France, Fondation du patrimoine et Fondation Notre Dame) sera reversé à l’État ou à l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame.
► Participation des collectivités
Les collectivités pourront participer à la souscription au titre de la solidarité nationale. Il s'agit de confirmer par la loi que leurs subventions sont bien compatibles avec la notion d'intérêt public local à laquelle elles sont soumises. Leurs versements seront considérés comme des subventions d'équipement.
► Déduction fiscale pour les dons
Le taux de réduction d'impôt sur le revenu au titre des dons et versements effectués par les particuliers est porté à 75%, dans la limite de 1 000 euros par an (contre 66% dans le droit commun).
Ce montant ne sera pas pris en compte pour l'appréciation des plafonds de versements au bénéfice d'autres œuvres, y compris celles ouvrant droit à un taux de réduction d'impôt majoré (loi Coluche).
Cette mesure exceptionnelle ne s'appliquera qu'aux dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019.
► Contrôle de l'utilisation des fonds
Au regard de l'ampleur des dépenses de restauration, un comité exceptionnel de contrôle est mis en place, en plus des contrôles habituels. Il réunira le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions des Finances et de la Culture de l'Assemblée et du Sénat, et sera chargé de s'assurer de la bonne gestion et du bon emploi des fonds recueillis.
Des mesures d'exception critiquées
Ce matin, Adrien Quatennens, député LFI du Nord, a affirmé sur RTL que son groupe allait s'abstenir ou voter contre le projet de loi. "Il faut reconstruire Notre-Dame" mais "il ne faut pas de loi d'exception", a-t-il affirmé. "On va regarder, je ne sais pas encore si on s'abstiendra ou si on votera contre" le projet de loi, a-t-il ajouté.
Plus globalement, des députés d'opposition ont critiqué un "blanc-seing" donné au gouvernement pour la création d'un établissement public. Mais c'est la carte blanche pour déroger à certaines règles qui est la plus polémique, beaucoup y voyant les conséquences de la volonté du président Emmanuel Macron de voir se réaliser les travaux en cinq ans.
"Il n'est pas question de remettre en cause les principes fondamentaux de la préservation du patrimoine", mais de "gagner du temps sur les démarches administratives", a tenté de rassurer Franck Riester, le ministre de la Culture. "Les bâtisseurs de cathédrales travaillent pour l'éternité. Qui sommes-nous pour précipiter la rénovation de Notre-Dame et nous éloigner des règles d'urbanisme ?", a dénoncé la députée de droite Brigitte Kuster.
"Ce n'est pas en imposant un agenda" calqué sur "les Jeux olympiques de Paris en 2024" que "nous seront fidèles" à Notre-Dame, a fustigé le député de gauche Alexis Corbière, la communiste Marie-George Buffet redoutant pour sa part que ces "dérogations" ne créent "un précédent".
Enfin, si la question architecturale n'est pas évoquée dans le projet de loi, certains comptent bien la mettre sur la table. La députée de droite Constance le Grip souhaite une restauration "à l'identique", afin d'"empêcher des gestes architecturaux qui aillent trop loin". Le chef de Debout la France (droite), Nicolas Dupont-Aignan, a lui décidé de lancer une pétition pour une reconstruction "à l'identique". Anne Brugnera, qui s'appuie sur l'avis d'architectes, affirme que c'est "en fait impossible, voire irréaliste". "Même si nous sommes tous attachés à l'image que nous avions de Notre-Dame (...) il ne faut rien écarter".