Comme point de départ de l'exposition, un paradoxe : 82 % des Français, interrogés par le CREDOC, considèrent que la maison individuelle est le logement idéal. Dans le même temps, la très grande majorité des urbanistes soutient l'arrêt du mitage, la densité, la reconstruction de la ville sur la ville. Ces attentes contradictoires sont renforcées par la prise en compte des enjeux environnementaux et par la nécessité de formes urbaines plus efficaces énergétiquement, résilientes aux changements climatiques et économes d'espaces naturels. L'exposition pose les éléments du débat de manière claire et concise, et parvient de façon remarquablement pédagogique à éclairer la contradiction entre les différents rêves de ville et les critères de durabilité.
Tout d'abord l'exposition retrace rapidement comment, tout au long du XXe siècle, architectes et urbanistes ont tenté de mêler ville et nature, et comment la majorité de ces tentatives de villes à la campagne ont échoué : les cité-jardins se dénaturant en un étalement urbain totalement dépendant de l'automobile, les cités radieuses générant des grands ensembles désormais stigmatisés. Si le mitage est dénoncé depuis les années 1970, les années 80 ont mis à la mode la notion de densité, s'appuyant notamment sur la courbe fameuse des chercheurs Peter Newman et Jeffrey Kenworthy reliant densité et efficacité énergétique des villes. Reste que la densité, si elle signifie consommation réduite d'espace et efficacité énergétique, se traduit également par une concentration des nuisances : promiscuité, pollution, etc., que les habitants pourront chercher à fuir soit en déménageant en périphérie, soit en partant en week-end. Des visuels illustrent la différence entre densité objective et la densité vécue (hauteur, ambiances, imaginaires), rappelant ainsi que le grand ensemble n'est pas plus dense que le tissu pavillonnaire, ou que le centre de Paris compte bien plus d'habitants au km2 que celui de Tokyo.
Si étalement urbain ou au contraire densité ne peuvent répondre seuls aux attentes contradictoires de villes, les commissaires identifient comme moyen de les associer la capacité à être au centre, ou aux centres dans le cas de plus en plus fréquent de métropoles polycentriques. Etre au centre, c'est-à-dire accéder rapidement depuis les différents lieux de résidence aux services et à l'intensité de centres urbains. Un film de Thomas Pendzel illustre ainsi les trajets de quelques Franciliens entre lieu de vie, de travail et de loisirs, et permet de visualiser la constellation parisienne, dont le centre ancien n'est qu'un élément à côté des nouveaux pôles que sont les quartiers d'affaires, les clusters universitaires ou les centres commerciaux.
Transit villages
L'exposition présente ensuite le rêve un peu nostalgique de la vie villageoise, qui peut se traduire par la périurbanisation - qui touche aujourd'hui le quart de la population française - mais aussi par la reconstitution de quartiers nouveaux en forme de village et largement piétons. Cette tendance, que certains voient comme l'avenir de la ville aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, satisfait la demande de maison individuelle, de densité et de microcentralité autour de commerces de proximité et d'un accès aux transports en commun. Au-delà de l'architecture néovillageoise, ces modèles de « transit village » constituent des alternatives possibles aux lotissements traditionnels.
Emerge l'idée que la densité durable - équilibrant de manière optimale protection de l'environnement et qualité urbaine - n'est sans doute pas celle des centres anciens, mais plutôt une densité intermédiaire proche de celle des anciens faubourgs et des proches banlieues résidentielles.
La recherche de l'amélioration de l'environnement urbain et de la proximité de la nature a depuis longtemps consisté en la création de parcs et d'espaces verts. Aujourd'hui le verdissement de la ville - végétalisation du bâti, jardins partagés - apparaît comme un rêve mêlant agrément et maîtrise écologique du microclimat urbain. L'exposition illustre ainsi la tendance à verdir le moindre centimètre carré : tramways sur l'herbe, enfouissement des autoroutes, plantations des toitures ou encore guérilleros de l'espace vert.
L'émergence un peu partout depuis une quinzaine d'années de quartiers durables constitue une nouvelle tentative de réaliser la ville rêvée. Ces quartiers, conçus pour limiter les impacts environnementaux, et rejetant les schémas d'aménagement des cinquante dernières années, utilisent des solutions désormais maîtrisées : architecture basse énergie, gestion alternative de l'eau, transports en commun, pistes cyclables, recyclage des déchets, etc. Ils trouvent leurs limites dans leur échelle, nécessairement petite, et dans des résultats souvent inférieurs aux objectifs visés, comme l'illustre le quartier d'Hammarby près de Stockholm.
On sortira de l'exposition avec probablement moins de certitudes qu'à l'entrée, et des questions renouvelées. Au-delà de la difficile synthèse entre néovillages, efficacité des infrastructures de transports, densité, écoquartiers, maîtrise des îlots de chaleur, protection de la biodiversité, mixité urbaine, spécificités locales, au-delà du double écueil d'une ville rêvée pouvant ressembler à une boboïsation générale, et d'une ville durable peut-être technocratique, autoritaire ou marketée, faisant le bonheur de ses habitants malgré eux, on peut se demander s'il est ici réellement question de ville rêvée ou plus simplement de ville souhaitée ? En effet manquent ici les projets utopiques, les cités idéales, les imaginaires des écrivains, des cinéastes, des architectes, des game designers, des auteurs de bandes dessinées ou des politiques. La vision ou le souffle nécessaires pour faire rêver de villes durables.
