Transform & Grow, le plan adopté par Saint-Gobain l’année dernière, prévoit une organisation par pays plutôt que par métier. Pourquoi ce virage ?
Seule une minorité de métiers justifie une organisation mondiale. C’est le cas par exemple des vitrages pour l’automobile. Tous ces métiers sont rassemblés dans une entité baptisée « Solutions de haute performance ». Pour le reste, nous avons choisi une organisation par grande région et par pays, qui rassemble à la fois les métiers industriels et les métiers de service, comme la distribution. Cela nous permettra plus de proximité avec nos clients, qui sont locaux, et donc plus d’agilité et plus d’efficacité.
La distribution et l’industrie en France se retrouvent donc sous un même management – le vôtre. N’est-ce pas contradictoire avec la nécessaire neutralité d’un acteur de distribution ?
Pas du tout ! Rien ne changera de ce point de vue. Notre distribution continuera de travailler de façon égale avec tous les industriels, et nos marques industrielles avec tous les distributeurs. Ce que nous allons chercher par contre, ce sont deux choses : une capacité accrue à imaginer, ensemble, de nouvelles offres ; et davantage d’efficacité et d’agilité en back office.
"Le monde de la construction est en train de changer"
Quels sont les bouleversements du monde de la construction qui appelleraient de nouvelles offres de la part de Saint-Gobain ?
G.T. : nous sommes convaincus que le monde de la construction est en train de changer. Il est souvent vécu comme conservateur, car marqué par des permanences fortes. Mais il est aujourd’hui traversé par des tendances de fond, qui s’accélèrent. La construction durable, lorsque j’ai démarré dans ce secteur il y a treize ans, était une niche. Aujourd’hui, elle est devenue un standard, et s’impose non seulement par la réglementation, mais aussi par la pression du marché.
Autre sujet-clé, la productivité. Alors qu’elle progresse dans de nombreux secteurs, elle a stagné voire reculé dans la construction. L’organisation des chantiers, marqués par une pénurie de main-d’œuvre, devient un sujet majeur !
Enfin, le digital devient incontournable, tant pour la construction elle-même, le BIM devenant incontournable, que dans le quotidien des entreprises, les nouvelles générations attendant autant de rapidité et de réactivité dans leur environnement professionnel que dans leur vie personnelle.
Dans ce paysage qui bouge plus vite que jamais auparavant, Saint-Gobain a des atouts uniques pour aider ses clients du monde de la construction à s’adapter, innover, et préparer l’avenir.
Pouvez-vous préciser en quoi une organisation géographique améliore votre capacité à répondre à ces enjeux-clés ?
Notre nouvelle organisation nous permet de combiner des produits les uns avec les autres, et de combiner des produits avec des services pour créer des propositions de valeur innovantes répondant à ces tendances du futur, car la vieille distinction entre produits et services n’a plus guère de sens.
Dans le domaine de l’économie circulaire par exemple, Placo comme Isover développent des circuits de collecte des déchets de plâtre ou d’isolation pour les réintégrer dans leurs processus de production, et s’aventurent ainsi sur le terrain du service. Côté distribution, Point.P aborde le même sujet sous un autre angle et propose aux artisans des déchetteries dans plus de 100 points de vente !
Autre sujet, la préfabrication, qui répond au défi de la productivité. Quand Placo développe le « kitting » pour améliorer le séquençage des grands chantiers, c’est du service, et cela ressemble beaucoup à ce que Cedeo fait de son côté en livrant des salles de bains sur palettes à partir de ses centres logistiques. Cette question, comme beaucoup d’autres peut donc être traitée sous plusieurs angles différents. Sur tous ces sujets, travailler ensemble nous aidera à innover pour le bénéfice de nos clients.
"La distribution a toute sa place dans notre groupe. Mais à condition que nous ayons le maillage suffisant pour que notre présence ait un sens"
La distribution fait donc partie intégrante de la stratégie ? Plusieurs décisions récentes ont conduit beaucoup d’observateurs à s’interroger sur ce point…
Cette question vient, je suppose, du fait que nous nous sommes désinvestis de la distribution dans certains pays et que nous venons de céder une partie de notre distribution en France, avec Distribution Matériaux Travaux Publics (DMTP), qui en représente environ 3%. … Je le réaffirme : la distribution a toute sa place dans notre Groupe ! Mais à condition que nous ayons le maillage suffisant pour que notre présence ait un sens.
Avec un point de vente tous les 9 km, Saint-Gobain Distribution France est clairement très bien placée de ce point de vue. Même si DMTP se porte bien, elle sert une catégorie de clients très spécifiques et l’acquéreur, Frans Bonhomme, a plus de synergies. C’est un ajustement à la marge.
La distribution a une rentabilité beaucoup plus faible que l’industrie. Cela n’entrave-t-il pas vos efforts pour redresser l’action Saint-Gobain ?
Non, pas du tout. L’actionnaire regarde certes la rentabilité sur chiffre d’affaires, qui est effectivement plus basse dans la distribution. Mais il regarde aussi la rentabilité sur capitaux, qui est comparable entre les deux activités, la distribution nécessitant beaucoup moins d’investissements que l’industrie.
Y aura-t-il d’autres cessions dans le périmètre de Saint-Gobain France, outre l’activité PSE de Placo dont nous savons désormais qu’elle est en cours de cession ?
Notre intention, dans Transform & Grow, c’est de faire des cessions un levier stratégique au même titre que les acquisitions. Il s’agit de faire respirer le portefeuille pour que nos ressources, financières comme humaines, soient allouées aux bonnes priorités. Dans ma région et notamment en France, d’autres projets sont actifs et pourraient se concrétiser d’ici la fin de l’année.
Lapeyre en fait-elle partie ?
La réflexion stratégique concerne toutes les activités, sans exception et sans tabou. Pour ce qui concerne Lapeyre nous sommes concentrés sur l’ambitieux plan de redressement en cours.
Le marché français: "L'image est plutôt positive"
Transform & Grow ne prévoit pas que des cessions, mais aussi des acquisitions. Serez-vous amenés à élargir votre périmètre, et quelles lignes directrices fixeriez-vous pour ces acquisitions ?
Bien sûr, des acquisitions sont aussi sur notre radar. Soit dans nos domaines d’activité existants, si des synergies existent. Soit, plus probablement, pour ouvrir la voie à des modèles d’activité différents, s’ils contribuent à notre stratégie globale :nouveaux matériaux, nouveaux services, digital... le champ des possibles est vaste.
Comment appréhendez-vous le marché français dans les quelques années à venir ?
On le sait, le résidentiel neuf a tendance en ce moment à ralentir après plusieurs excellentes années. Heureusement pour nous, la rénovation, à laquelle nous sommes très exposés, prend le relais !Elle reste active, même si elle souffre elle aussi du manque d’artisans. La rénovation énergétique en particulier est très dynamique et va continuer de monter. Au global, l’image est donc plutôt positive.
Un dernier mot sur le digital, et en particulier le e-commerce. Avez-vous sur ce sujet une approche partagée entre distribution et industrie, ou chaque marque construit-elle sa stratégie ?
Notre approche commune, c’est d’être les plus avancés du secteur dans nos domaines d’activité, mais au-delà de cet impératif, les contraintes et les besoins des clients sont souvent différents. Par exemple, la distribution en ligne de matériaux de construction est un sujet logistique très complexe, sur lequel nous avons un avantage compétitif unique du fait de notre maillage. Nous allons continuer à profiter de cette longueur d’avance et à proposer davantage de services digitaux à nos clients.
Pour nos marques industrielles, le critère d’analyse est le même, celui de la valeur ajoutée pour le client. Il vaut pour le e-commerce comme pour n’importe quel autre canal de distribution.
Guillaume Texier en bref
Ingénieur de formation, Guillaume Texier a rejoint le groupe Saint-Gobain en 2006, en tant que directeur Stratégie. Il a ensuite dirigé plusieurs filiales dans différents pays et dans différents métiers industriels, avant de devenir directeur financier du groupe. Depuis le 1er janvier, il est à la fois Directeur Général de l’Europe du Sud, du Moyen-Orient et de l’Afrique, et Directeur Général de Saint-Gobain en France.