Santé au travail: le BTP apprend à gérer le stress

La reprise économique couplée à la pénurie de compétences accentue la pression sur les salariés. Face aux risques psychosociaux, les cadres intermédiaires sont en première ligne.

 

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L'avalanche de projets d'envergure qui se succèdent, à Paris comme dans les grandes métropoles, entraîne avec elle une surcharge de travail sur les grands chantiers, pointe Michel Ledoux, avocat chez Ledoux et Associés, cabinet spécialisé en santé et sécurité au travail. La question du stress se pose avec d'autant plus d'acuité qu'une pénurie de compétences est apparue à cause de la reprise subite succédant à près de dix ans de crise. » Un état de stress survient en cas de déséquilibre entre la perception, par une personne, des contraintes imposées par son environnement et celle qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face. Si cet état n'est pas en lui-même pathogène, il le devient lorsqu'il s'installe dans la durée. Tous secteurs confondus, d'après l'étude The Workforce View in Europe 2019, publiée le 30 avril par ADP (cabinet d'accompagnement RH), près d'un salarié français sur cinq subit un stress quotidien au travail. « Il était, auparavant, davantage question des risques psycho sociaux (RPS) dans les administrations et le secteur tertiaire, poursuit l'avocat. Mais ces risques sont aujourd'hui bien présents dans le BTP. » Outre le stress, les RPS recouvrent également la souffrance et la violence au travail, ainsi que le harcèlement moral. Frédéric Mau, secrétaire fédéral santé au travail à la CGT Construction, et trente ans d'expérience, rejoint Michel Ledoux : « Avant le mouvement de financiarisation de l'économie, qui a marqué le tournant des années 2000, les RPS n'existaient pour ainsi dire pas : désormais, nous ne sommes plus épargnés. »

Pression des délais. Dans le BTP, le stress touche davantage l'encadrement intermédiaire. « Sans trop caricaturer, le conducteur de travaux se retrouve tiraillé entre son directeur, qui lui demande divers comptes rendus administratifs et sa participation à des réunions, et le chef de chantier, également sous pression, qui lui reproche de ne pas être assez présent sur le terrain », illustre Vincent Giraudeaux, directeur général d'Yseis, structure spécialisée dans la prévention des risques. « Sur le Grand Paris, les cadres subissent la pression des contraintes administratives (normes à respecter, réglementation…) et de la priorité accordée aux délais imposés par les marchés, relaie un recruteur du secteur. Nombre de cadres éprouvent des difficultés à se mettre au niveau : ils voient les heures filer avec le sentiment de ne pas maîtriser les choses, et les organisations sont parfois mises à mal. » Sans compter que, comme le souligne Vincent Giraudeaux, « viennent se greffer au “ phénomène Grand Paris ” les projets liés aux Jeux olympiques de 2024. Un seul jour de retard pour la livraison des lignes de métro qui relient les deux aéroports pour rejoindre le centre de la capitale serait, il va de soi, inenvisageable ! » La pénurie actuelle de ressources constitue donc un facteur aggravant. « Le chantier repose sur les épaules, l'énergie et l'engagement de quelques cadres, ce qui génère une pression considérable, résume Michel Ledoux. Le professionnel du droit alerte ainsi sur « une possible exposition à des injonctions paradoxales -il faut faire vite et très bien -qui peuvent créer de l'inquiétude et du mal-être pour les personnes qui ont le goût du travail bien fait. » Difficulté propre au BTP, les manifestations de souffrance se font rares sur le terrain. « Imprégnés de la culture régnant dans un environnement encore très masculin, les professionnels n'ont guère coutume de se plaindre, d'avouer que cela “ ne va pas ” », évoque Vincent Giraudeaux. Seulement voilà, certains arrêts de travail prolongés ne relèvent pas seulement d'affections physiques. D'autant que le Code du travail interdit à l'employeur d'interroger le salarié sur les motifs de son arrêt. « On imagine que la personne n'est pas, psychologiquement, en état de revenir », commente le directeur d'Yseis. « Malgré la situation de tension sur les emplois qualifiés, une chape de plomb pèse sur les individus, conséquence de trente ans de chômage de masse, ajoute Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet Technologia, spécialisé en management et prévention des risques. Une précarité virtuelle et une peur du déclassement plus ou moins consciente peuvent conduire à s'autocensurer. Il faut pourtant pouvoir détecter les signaux de souffrance. » Et de compléter : « Lorsque la pression s'accumule sur les plans physique et mental, avec une forte densité d'activité sur de larges amplitudes de travail, une fatigue chronique s'installe. » C'est du sur engagement dont il faut se méfier : le risque de burn-out -ou syndrome d'épuisement professionnel, en partie causé par le stress -guette alors l'individu.

Une pression trop importante peut ainsi amener des cadres à claquer la porte de la société. « On note des taux de démission historiques dans les grandes entreprises : le salaire n'est pas seul en cause ! », atteste Frédéric Mau. « D'autant que les jeunes, plus sensibles que leurs aînés à la qualité des conditions de travail, peuvent rechercher davantage de sérénité dans leur cadre professionnel », rappelle Michel Ledoux.

« Les risques sont avant tout induits par l'organisation du travail et le travail lui-même. » - Jean-Marc Candille, secrétaire national à la CFDT Construction.

Le personnel ouvrier sur les chantiers, en revanche, serait dans l'ensemble mieux protégé du stress. En partie car il bénéficie de davantage d'autonomie et qu'il existe plus de solidarité entre les équipes. « S'il importe de maintenir l'esprit de convivialité qui règne sur les chantiers, il faut également prendre en compte une part d'ombre, nuance Jean-Claude Delgènes. On y manie aussi l'ironie et le sarcasme, le management peut se faire rude, et certains groupes sont parfois mis de côté par le collectif. En tout état de cause, les compagnons ne ramènent pas de travail à leur domicile. » Mais de longs temps de transport en raison de l'éloignement des chantiers, qui démarrent de surcroît très tôt le matin, peuvent générer du stress.

Sensibiliser les managers. Si la charge de travail ne se ressent pas avec une intensité égale dans tout l'Hexagone - « La réalité de la Creuse diffère de celle de la région parisienne ! », relève Vincent Giraudeaux -, l'employeur n'en demeure pas moins tenu par le Code du travail de protéger la santé mentale des salariés. Alors, comment se prémunir contre le stress ? « D'abord, en formant et en sensibilisant les membres encadrants sur le sujet, enjoint Michel Ledoux. Alors qu'ils montent en puissance dans le secteur, on note, dans le BTP, un déficit de connaissances des managers sur les RPS. » Soutien psychologique, collaboration avec la médecine du travail, dispositifs d'alerte… Une palette d'actions (lire ci-contre) s'offre aux entreprises pour prévenir et traiter le stress et les situations de surmenage. « Il faut aussi s'efforcer d'étoffer les équipes et ainsi limiter le nombre de chantiers par encadrant, lequel doit être suffisamment expérimenté, prône encore Michel Ledoux. Mais également parler aux jeunes cadres et les soutenir dans cette période de bousculade, en les faisant accompagner par les plus chevronnés au plus près du terrain. » Pour le directeur de Technologia, « il appartient aux directions générales d'éviter de valoriser le surinvestissement au travail, mais plutôt le maintien des grands équilibres de vie ». A ce titre, les entretiens annuels des salariés au forfait jours, où doivent être abordés les sujets de la charge de travail et de l'équilibre entre vies privée et professionnelle, peuvent apporter les indices d'une situation de surmenage.

« Les RPS sont avant tout induits par l'organisation du travail et le travail lui-même, considère pour sa part Jean-Marc Candille, secrétaire national à la CFDT Construction. D'où la nécessité d'échanger, dans le cadre d'espaces de discussion, sur la qualité de vie au travail par exemple. » Mais, quel que soit le secteur d'activité, les plans d'actions en la matière « ne sont souvent pas évalués dans la durée, et certaines démarches pas ne sont pas renforcées, déplore Jean-Claude Delgènes. Il importe de travailler sur ces thèmes dans le temps, de capitaliser sur l'expérience ». Vincent Giraudeaux insiste quant à lui sur la nécessité de « faire preuve de considération pour les salariés. Laplace de l'humain au travail doit davantage être prise en compte ».

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