Santé sur les chantiers - L'espoir d'une prévention renforcée

RÉINVENTER DEMAIN -

Amélioration des conditions de travail, développement des outils digitaux, dialogue accru entre les acteurs des projets… Les habitudes contractées à l'occasion de la crise sanitaire pourraient s'ancrer durablement dans le BTP.

 

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Réinventer demain épisode 1
Les conditions d’hygiène ont fait un bond en avant sur les chantiers. Une amélioration qui pourrait être conservée après la pandémie.

L'épidémie de coronavirus qui sévit actuellement bouscule l'organisation du travail dans le secteur de la construction. Mais qu'en restera-t-il lorsqu'elle sera derrière nous ? « Il est encore un peu tôt pour se prononcer avec certitude, mais les retours d'expérience sur la reprise des chantiers nous permettent déjà de tirer quelques enseignements », pose Vincent Giraudeaux, directeur général de la société de conseil en prévention Yséis. Avec un enjeu : capitaliser sur les bonnes pratiques. « In fine, cette expérience pourrait s'avérer au moins pour partie bénéfique au BTP : ne nous interdisons rien ! », lance le dirigeant.

Passée, au début du confinement, une période de quelques jours marquée par un certain désordre, la gestion de la crise a donné lieu à une véritable concertation entre les différents acteurs - entreprises, maîtrise d'œuvre, maîtrise d'ouvrage, mais aussi coordonnateurs sécurité et protection de la santé (SPS). D'autant que les personnes autour de la table disposaient toutes du même degré de connaissance et d'appréhension du risque lié au Covid-19, ce qui n'est pas toujours le cas concernant les dangers traditionnels. « Chaque fois, il a suffi qu'un des partenaires décide de cesser sa contribution sur un chantier, pour que les autres lui emboîtent le pas. La même logique a prévalu s'agissant de la reprise, raconte Vincent Giraudeaux. Nous pouvons ainsi souhaiter qu'en regardant plus tard dans le rétroviseur, nous nous souviendrons avoir réussi à surmonter cette crise sans précédent ensemble. »

Même espoir chez Joachim Messeant, directeur national qualité santé sécurité (QSS) au sein du bureau d'études Becs, spécialisé dans la coordination SPS. « Il faudra conserver cet esprit de partenariat et de confiance qui s'est développé à l'occasion de la pandémie. Nous n'avons jamais autant échangé, en si peu de temps, sur le même risque. Alors que nous bataillons depuis des années, sur certaines opérations, pour obtenir un nettoyage régulier du chantier ou encore des installations conformes à la réglementation, nos interlocuteurs ont prêté une oreille attentive à nos recommandations. Gageons qu'il sera, à l'avenir, plus simple de se faire entendre. »

« Pour les postes qui s'y prêtent, le développement du télétravail devrait s'accélérer. » - Paul Duphil, secrétaire général de l'OPPBTP

Pérenniser le recours aux outils numériques. Le confinement a aussi vu le recours aux outils digitaux décoller. A commencer par la visioconférence, qui a permis aux différents intervenants des projets d'éviter les rassemblements et autres réunions dites « en présentiel ». « Nous avons organisé une visite de chantier en vidéo pour notre client Enedis afin qu'il puisse participer à l'inspection commune préalable avec les entreprises », évoque Joachim Messeant. Une première pour le professionnel de la prévention, qui envisage de transformer l'essai à l'aide de casques munis de caméras portatives. « Pourquoi ne pas mettre aussi en place des écrans interactifs dans les bases vie, afin de permettre des échanges à distance avec des directeurs d'entreprise ou des conducteurs de travaux en cas de chantiers éloignés du siège de la société ? » imagine le directeur QSS.

D'après Paul Duphil, secrétaire général de l'organisme professionnel de prévention du secteur - l'OPPBTP -, l'utilisation des outils numériques devrait s'inscrire dans la durée pour toute la chaîne de construction. « Malgré l'intérêt de se rencontrer physiquement, le gain de temps habituellement passé dans les transports devrait faire la différence. C'est aussi pourquoi, pour les postes qui s'y prêtent, comme ceux de collaborateurs en études ou officiant au sein de services matériels, le développement du télétravail devrait s'accélérer : un des bénéfices de cette crise. » Aux yeux du préventeur, les avantages ne manquent pas : « Une moindre fatigue grâce à l'économie des déplacements, une diminution du trafic routier et de l'engorgement des transports, ainsi qu'une meilleure liberté d'organisation. A condition toutefois de garder des limites claires entre vies privée et professionnelle. » La profession s'est également tournée vers la gestion électronique de documents (GED). « Mon plan général de coordination (PGC), actualisé à l'occasion de la lutte contre le Covid-19, prévoit désormais une version numérique pour certains textes (registre de sécurité, plan particulier de sécurité et de protection de la santé ou PPSPS… ), qui, selon le Code du travail, doivent pouvoir être consultés sur les chantiers », illustre Joachim Messeant. De quoi éviter aux professionnels de feuilleter des documents sous format papier, et ainsi réduire le risque de contamination.

Mais le bouleversement de la vie sur les chantiers tient surtout de l'application des règles édictées par le guide de sécurisation sanitaire de l'OPPBTP. Limiter la coactivité, adapter les modes opératoires, diviser par deux la capacité d'accueil des bases vie… « Si ces nouvelles obligations désorganisent les travaux, elles nous contraignent à réfléchir autrement : à plus long terme, elles devraient nous conduire à repenser notre manière de travailler », se projette Vincent Giraudeaux. Joachim Messeant ne dit pas autre chose : « Nous avons œuvré d'arrache-pied pour mettre en place des solutions tenant compte de la règle de distanciation physique, en permettant ainsi aux individus d'éviter de se croiser : séparation des flux, plan de circulation, entrées et sorties à sens unique dans les bungalows… Nous devrions conserver une partie de ces règles de bon sens : il y aura un avant et un après. » Paul Duphil mise pour sa part sur la préfabrication. « Une solution d'avenir, car elle facilite l'organisation du travail, la productivité, et des temps d'ouverture de chantier plus courts. »

Passer un cap en matière d'hygiène. Les obligations en matière d'hygiène (accès à l'eau et au savon, incitation au lavage fréquent des mains, désinfection des surfaces de contact… ), surtout, pourraient rentrer dans les mœurs. Philippe Bourges, ingénieur- conseil à la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam), applaudirait. « Les règles du guide de l'OPPBTP devraient faciliter le déploiement de l'un des thèmes opérationnels prioritaires de notre programme de prévention “Risques chutes Pros BTP” 2018-2022, consacré à l'hygiène et aux conditions de travail, qui cible en particulier les maîtres d'ouvrage.

Nous préconisons, dans ce cadre, la mise à disposition des accès à l'eau et à l'électricité, à des sanitaires et des vestiaires. » Si Philippe Bourges reconnaît la responsabilité des entreprises en la matière, il insiste sur la nécessité, pour le maître d'ouvrage, de jouer le jeu : « Un raccordement garanti à l'eau et à l'électricité avant le démarrage des travaux changerait la vie sur les chantiers ! La lutte contre le Covid-19 peut donc représenter une opportunité de faire un bond en avant en matière de conditions de travail. » Quant à Vincent Giraudeaux, il espère que, lorsque le virus ne sera plus qu'un souvenir, « l'accès à l'eau et au savon et le lavage des mains ne seront plus un sujet : la culture doit évoluer, mais attention aux mauvaises habitudes, qui reviennent vite ». D'où l'importance, pour le préventeur, de donner du sens aux consignes d'hygiène à observer. « Il s'agit, lors des réunions sécurité avec les compagnons, de leur expliquer les raisons précises de ces mesures. » Et de recueillir, le cas échéant, leurs impressions sur les contraintes rencontrées pour les appliquer.

Davantage de confort pour plus d'attractivité. « Une fois la crise sanitaire derrière nous, nous opérerons un tri au sein des règles destinées à lutter contre la contamination, et serons bien aises de nous affranchir, par exemple, du port du masque et de la distanciation sociale », imagine Paul Duphil, qui note par ailleurs, sur les grands chantiers, « des moyens mis en œuvre pour l'entretien des installations collectives multipliés par quatre par rapport à d'habitude ».

Le secrétaire général de l'OPPBTP appelle ainsi de ses vœux « un saut qualitatif substantiel en matière d'hygiène, d'autant que les salariés pourraient s'habituer à leurs conditions de travail actuelles. Certains acteurs déplorent les coûts associés, mais face à la crise économique qui va se présenter, c'est la qualité de la préparation et de l'organisation qui permettra d'aller plus loin en matière de performance : les impasses ne font figure d'expédients que sur le court terme. » Et de conclure : « De meilleures conditions de travail pourront aussi répondre à la problématique du déficit d'attractivité dont souffre le secteur. » La prévention pourrait alors être la grande gagnante de la crise sanitaire.

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