Quelle est la situation des forêts françaises aujourd’hui ?
Pour répondre à cette question simplement, je citerais ce chiffre issu du service public d’information sur la biodiversité et mis en place par le gouvernement : seulement 18 % des forêts françaises d’intérêt communautaire se trouvent dans un bon état de conservation écologique. Cette notion d’intérêt communautaire est relative à la cartographie Natura 2000 réalisée en Europe afin d’identifier les habitats qui présentent un intérêt pour la biodiversité.
Et malheureusement devant ce chiffre officiel, la filière bois forêt préfère mettre en avant le fait que la surface forestière gagne du terrain. Or, le débat ne porte pas sur la quantité, mais bien sur la qualité.
Le changement climatique constitue-t-il une menace majeure pour nos forêts ?
Nous constatons en effet une accélération du changement climatique : sur les cinq dernières années, nous avons connu une répétition de printemps et d’automne secs. Or, ces périodes sont déterminantes pour la survie des arbres, car ce sont à ces saisons qu’ils se rechargent en eau pour pouvoir ensuite traverser des étés caniculaires.
Le changement climatique créé un stress hydrique de plus en plus fréquent, qui fragilise les arbres et les rends plus sensibles aux pathogènes. C’est pourquoi nous voyons les scolytes pulluler dans les forêts d’épicéa. Ces insectes constituent des organismes habituels des forêts. Leur fonction est d’attaquer les arbres affaiblis pour accélérer leur mort et alimenter ensuite tout un écosystème, mais leur prolifération n’est pas bon signe.
La question de l’accélération du changement climatique va donc structurer la gestion forestière dans les prochaines années.
Quelles sont les autres menaces ?
Les autres menaces relèvent davantage des actions humaines. On observe ainsi que les forêts monospécifiques sont plus fragiles et vulnérables que les forêts de peuplements diversifiés. De même, les coupes rases, dont les quantités sont impossibles à évaluer faute de chiffre, fragilisent énormément les forêts, y compris les plantations qui sont réalisées après la coupe, dont la mortalité est parfois très importante (là aussi, aucun chiffre de suivi n’est public).
Cela s’explique par de multiples raisons : les jeunes semis ne sont pas protégés du soleil par les grands arbres, le sol a été trop fortement compacté par le passage d’engins lourds. Enfin, l’équilibre hygrométrique du couvert forestier, qui participait aux bonnes conditions de croissance des jeunes arbres, disparaît avec une coupe rase.
Le développement du bois-énergie représente aussi un risque important : nous observons que de nombreux peuplements de moindre qualité comme les taillis sont systématiquement rasés, commercialisés comme bois énergie puis convertis en plantation. Beaucoup de ces peuplements ne présentent pas de signe de dépérissement et il serait possible de les améliorer avec une sylviculture intelligente plutôt que de détruire le couvert forestier.
Pour améliorer la biodiversité dans les forêts, il faut à la fois laisser vieillir les arbres et y maintenir les bois morts, qui accueillent tout un écosystème (insectes, champignons, mousses…). Exporter ces bois pour en faire de l’énergie est une très mauvaise idée pour la biodiversité et la fertilité des sols.
Dans ce contexte, comment exploiter les arbres sans fragiliser davantage les forêts ?
Nous sommes de fervents défenseurs du bois construction. D’ailleurs, nous avons commis un rapport détaillé sur le sujet en janvier 2020 : « Gestion forestière et changement climatique – une nouvelle approche de la stratégie nationale d’atténuation ». La synthèse, « Laisser vieillir les arbres » est également disponible en ligne.
L’Etat doit investir urgemment dans la normalisation des bois de qualité secondaire, comme ceux des forêts du Morvan par exemple. Ces arbres tordus, qui présentent un ou deux nœuds, sont valorisables en construction, à condition d’arrêter de lorgner sur nos voisins d’Europe du Nord et leurs méthodes adaptées à leurs forêts de résineux. S’ils ont développé des méga scieries, nous pouvons également nous appuyer sur notre réseau national de petites et moyennes scieries.
Les bonnes pratiques existent déjà, comme par exemple en Bourgogne où sept scieries se sont regroupées sous l’entité « Bois durable Bourgogne » afin de sécher et thermochauffer le bois et obtenir les mêmes caractéristiques qu’un bois exotique. De même, un industriel produit depuis peu du lamellé-collé à base de hêtre, un arbre largement présent dans nos forêts, mais qui dispose de peu de débouchés industriels pour l’instant.
Les idées existent, c’est au tour du politique de prendre le relais, comme l’indique également le rapport d’Anne-Laure Cattelot, remis au ministre de l'agriculture l'an dernier.
Quelles réflexions vous inspire cet article paru dans Nature début mars 2020 relatif aux émissions de CO2 des forêts tropicales ?
Ces travaux sont bien connus des spécialistes : ils montrent que la capacité d’absorption de carbone des forêts primaires d’Afrique et d’Amazonie commence à atteindre un effet de saturation un peu plus tôt que prévu. Il est impossible de transposer ces travaux aux forêts françaises. Tout d’abord, parce que 80 % de nos forêts ont moins de 100 ans, mais aussi parce qu’elles fonctionnent différemment d’un point de vue éco-systémique. En l’occurrence, les arbres des zones tropicales stockent 90 % du CO2 dans leur partie aérienne et 10 % dans le sol. En zone tempérée, le stockage du carbone se réparti de façon plus équilibrée avec 50 % en partie aérienne et 50 % dans le sol.
Cette étude n’est pas transposable aux forêts françaises, dont 80 % ont moins de 100 ans. D’autres travaux montrent même qu’au-delà de 500 ans, en Chine, où le climat est plus proche du notre qu’en zone tropicale, les vieilles forêts continuent d’absorber du carbone en le stockant dans le sol (Zhou, 2016)