Transformer des équipements et bureaux pour créer des logements atypiques

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Les problématiques soulevées par les programmes de reconversion d’immeubles variés en logements concernent divers domaines architecturaux qui nécessitent de restreindre les investigations pour cerner trois enjeux essentiels : sauvegarde de patrimoine, pérennisation de la présence humaine, création d’habitats décents et confortables. Cette limitation de notre champ d’étude conduit à ne pas mentionner les nombreux projets d’habitat individuel aménagé dans des lieux les plus divers – de la chapelle à la station-service – choisis souvent par coup de cœur du futur occupant et rarement assisté d’une maîtrise d’œuvre. Les projets auxquels nous nous attachons concernent l’habitat collectif et proposent une mise en forme dont la maîtrise de l’image générale domine sur les particularismes. Ils renouvellent aussi les parcours aux abords des bâtiments suivant une inscription urbaine qui témoigne de préoccupations sociales. Car la reconversion d’un immeuble en logements oblige le maître d’ouvrage et son architecte à soupeser la pertinence des investissements et à s’engager dans la quête d’aménités, sans forcément le gain d’un retour sur investissement. Cet ancrage urbain trouve généralement un écho favorable auprès des instances politiques locales.

Mixité de fonctions

Toutefois, il n’est pas rare qu’un projet de reconversion en logements soit la cible d’une opposition vilipendée au nom du respect du patrimoine, ou du symbole institutionnel. Les circonstances favorables à la reconversion en logement se catégorisent en trois familles : l’attachement au foncier et aux édifices qu’il accueille, l’enthousiasme du concepteur à partager la faisabilité de l’opération et l’aptitude de tous les partenaires impliqués à maîtriser les contraintes réglementaires et financières. Quand, au début des années 60, des artistes new-yorkais investissent les bâtiments industriels abandonnés d’East Village, ils ouvrent la voie au développement des lofts, autant qu’ils invitent les architectes modernes à poser un autre regard sur le patrimoine. Comme cette préoccupation croise le flot des critiques naissantes sur le fonctionnalisme, un nouvel art d’habiter se développe rapidement, notamment sur des sites portuaires comme Boston ou Baltimore. À Londres, la tendance s’ancre autour des anciens docks Sainte Catherine, à proximité de la City, et engendre une gentrification mêlant les reconversions tertiaires et résidentielles. Aujourd’hui, la mixité des fonctions reste un levier essentiel pour favoriser les transformations. En effet, les seuls programmes de logements s’accommodent rarement des spécificités des rez-de-chaussée ou des entresols des immeubles anciens. Il est donc plus aisé pour un maître d’œuvre d’ajouter un programme d’activité dans un volume bâti dont le rapport au sol ou les grandes hauteurs disponibles ne peuvent pas toujours être remis en cause.

Favoriser la mutation

En France les tendances récentes semblent favoriser les montages complexes qui associent reconversion en logements et activités. Le retour du commerce de proximité dans les quartiers, la multiplication des initiatives associatives pour pallier aux manques de services municipaux (crèches, petits gymnases…) et la déconcentration des résidences universitaires, sont autant de programmes susceptibles de participer à l’équilibre financier d’une reconversion d’immeuble en logements. Les Crous n’assumant plus qu’une faible part de l’hébergement des étudiants, des projets privés se greffent aisément sur les bilans des promoteurs et offrent aux architectes l’occasion de compartimenter plus souplement les refends qui se glissent dans les structures des bâtiments existants. Rappelons au passage que Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur avait dès 2008 mis en place un protocole favorisant la transformation de nombreux bâtiments militaires en logements étudiants dans quinze villes françaises.

En Ile de France un potentiel particulier est apparu depuis 2010. Le taux de vacance dans les immeubles de bureaux n’a jamais été aussi fort, alors que dans le même temps les constructions de logements neufs sont nettement en dessous des objectifs officiels et des besoins exprimés par les Franciliens. La mutation d’immeubles d’activité vides en autant de résidences est favorisée, notamment concernant les 500 000 m2 de bureaux qui sont désormais inoccupés depuis plus de cinq ans. Le député Christophe Caresche a exprimé en 2011 la possibilité d’une taxe qui rééquilibrerait les ratios de rentabilité, plus favorables aux gérants des locaux professionnels qu’aux bailleurs résidentiels. Il est en effet singulier de constater que des plateaux de bureaux soient valorisés dans les actifs des entreprises, que ces surfaces soient occupées ou non ! De plus, cette proposition est amplifiée par des actions chroniques de squatters qui investissent d’anciens bureaux. Enfin, le propos politique se renouvelle maintenant dans les engagements des différents candidats à la mairie de Paris pour les élections de mars 2014. Outre la pénalisation par une taxe sur les bureaux non-occupés, il faut noter également que l’Etat favorise les transformations de locaux commerciaux en logements par un abattement de 30 % sur la valeur locative. Paris pourrait devenir le prochain théâtre de reconversion massive de bâtiments d’activités et de bureaux en logements. Gageons que cette tendance améliore le bilan dressé par l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme) en juillet 2013 où il était signalé que le pourcentage du parc tertiaire reconverti entre 2001 et 2012 n’avait même pas atteint 2,5 %. Des opérations phares comme la mutation de l’immeuble le Palatino dans le 10e arrondissement (20 000 m2) ne devraient plus rester une exception.

Qualités spatiales

L’apport des architectes dans ce débat est fondamental pour désamorcer les critiques émergeant dès la communication des études de faisabilités ou des esquisses. Sur un sujet aussi sensible et complexe, la maîtrise d’œuvre doit faire partager son enthousiasme et avancer des qualités spatiales qui compensent les mauvais ratios de surfaces : les circulations communes par exemple représentent généralement 18 % des planchers des programmes résidentiels, alors qu’elles peuvent se réduire à 5 % dans les locaux d’activités. Le concepteur doit également résoudre l’équation de la mutation réglementaire, suivant les critères de la sécurité incendie comme ceux de l’accessibilité ou de la RT2012… Il faut noter aussi que la notion d’IGH ne repose pas sur les mêmes seuils suivant l’affectation principale du bâtiment, logements ou bureaux. Enfin, il faut admettre que la profondeur de nombre d’immeubles tertiaires n’est pas favorable à l’éclairement naturel de toutes les pièces. Mais ces « défauts » peuvent pourtant permettre la création de pièces atypiques, l’installation de celliers, le cloisonnement de grandes cuisines familiales… Concernant les façades, l’apport de l’architecte témoigne souvent d’une attitude tranchée. Soit, sa conception privilégie le retour à la lecture originelle du bâtiment en osant éventuellement assumer la greffe de balcons sporadiques. Soit, elle s’oriente vers une attitude plus radicale dont les justifications peuvent être multiples. Par exemple, l’obligation de limiter la propagation des flammes d’un étage à l’autre prend dans le logement une acuité particulière qui autorise évidemment le remplacement des façades rideaux. Un panneautage rapporté devant les façades porteuses pourra être disposé en quinconce d’un étage à l’autre, complété ou non par le plancher d’un balcon ou d’une loggia, et renfermer une conséquente épaisseur d’isolant pour limiter les déperditions énergétiques. Les opérations de reconversion en logements sont aussi l’occasion de renouveler le mode d’habiter sous les toits. La modénature de couvertures désuètes peut laisser la place à des terrasses accessibles, et des adjonctions de volumes greffés peuvent améliorer le ratio des surfaces disponibles. L’imaginaire des architectes est souvent stimulé par une accumulation de contraintes et par l’impact poétique du « déjà-là ».

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