Nichés à flanc de falaise, des cordistes évoluent au pied de la citadelle de Bastia (Haute-Corse), leurs baudriers suspendus au-dessus de l'eau. D'ici l'été prochain, le site accueillera l'un des axes majeurs de la ville : la promenade Aldilonda. Une voie piétonne qui longera la base de la citadelle, sur une distance de 450 m. En plus d'offrir une vue panoramique sur la Méditerranée, ce chemin reliera le sud au nord de la ville. « Aldilonda doit réconcilier deux quartiers de Bastia et favoriser l'émergence de modes de transports doux comme la marche et le vélo », espère son maire, Pierre Savelli.

La première pierre a été posée en février 2019. Depuis, les équipes forent, ferraillent, coulent du béton, lèvent et déposent les blocs qui supporteront le tablier du futur ouvrage. Pour cette opération symbolique, la maîtrise d'œuvre a été confiée à un duo d'architectes : le cabinet Dietmar Feichtinger Architectes s'est associé à l'agence Buzzo Spinelli, basée sur l'île de Beauté. « Nous avons imaginé une voie en plusieurs parties, qui s'adapte aux contraintes du site classé monument historique, avec une succession d'ouvrages assez techniques. Cette promenade comprend en particulier une galerie de 25 m de long et 300 m linéaires de balcon sur la mer. Ce dernier alterne les passages en tablier sur consoles et des accès où les dalles sont coulées sur le rocher », détaille Dietmar Feichtinger, architecte et ingénieur.

Une variante primée. Située au niveau de l'ancienne poudrière, la galerie fait partie des premiers ouvrages réalisés. C'est notamment grâce à cette proposition que le duo a remporté le concours proposé par la Ville : « Enfant, je sautais et je me baignais depuis ce promontoire. Toucher à la poudrière n'était donc pas envisageable. C'est pourquoi nous avons opté pour la réalisation d'un tronçon souterrain qui préserve l'intégrité (suite p. 64) de la façade », argumente l'architecte Jean-Philippe Spinelli. La tranchée qui recourt à des parois moulées a déjà été réalisée. Elle sera recouverte d'ici quelques mois.

La partie la plus spectaculaire, celle sur tablier, est quant à elle en cours de construction. Les éléments qui la composent sont préfabriqués dans l'Aveyron, dans les ateliers du groupe NGE chez Lagarrigue BTP. Une fois arrivés à Bastia, ils sont stockés sur une aire dédiée avant d'être descendus sur le chantier à l'aide d'une grue. Là, les consoles sont tout d'abord scellées dans la roche au moyen de barres d'ancrages, puis c'est au tour des dalles de tabliers d'être déposées et clavetées sur les consoles.

Des aléas maritimes maîtrisés. Etant donné sa situation, ce long balcon sera directement exposé aux aléas maritimes, en particulier aux tempêtes. En cas d'événement cinquantennal, la charge ascendante maximale exercée par une vague pourra atteindre les 14 t/m2, « soit 14 fois plus qu'un poids lourd, ce qui est considérable », précise Dietmar Feichtinger.

Plusieurs dispositions ont donc été prises afin de protéger cette zone. Tout d'abord, aucun joint de chaussée n'assure la liaison entre les massifs, ce qui évite que les pièces ne se dégradent. A la place, les armatures d'about sont reliées entre elles grâce à des coupleurs, tandis que l'ensemble est scellé dans le béton, ce qui solidarise les ouvrages entre eux. Un soin particulier a également été apporté à la résistance des matériaux. Ainsi, les densités de ferraillage avoisinent les 400 kg/m3 pour les zones les plus exposées. Afin de limiter les efforts exercés par les vagues, les architectes ont conçu le tablier selon un profil en V, pour limiter les efforts engendrés par la houle. Enfin, le balcon sera ponctué d'ouvertures en pieds de 60 cm de large, ce qui laissera l'eau s'échapper et réduira les charges exercées sur la promenade. Ainsi conçu, ce nouveau cheminement devrait durer cent ans.

Ces précautions ne pouvaient pas éviter les imprévus lors du chantier. Les premiers forages par exemple, ont mis en évidence des cavités à combler, ce qui a retardé les travaux de plusieurs mois. « A certains endroits, nous avons également été contraints d'utiliser des barres métalliques de 24 m de long pour les ancrages, car la falaise était altérée par des plans de failles et des veines argileuses », commente Jean-Philippe Spinelli. L'inauguration de la promenade Aldilonda, initialement prévue pour les municipales, n'aura ainsi lieu qu'au cours de l'été 2020. « Ici, chaque pièce est unique et constitue un prototype. Nous prendrons donc le temps nécessaire à la réalisation de ce projet hors norme. Et quatorze mois constituent un délai acceptable vu l'ampleur du chantier », relativise Pierre Savelli.