Un parement haute couture pour finir la carapace

Imaginée par l’architecte Frank Gehry, la Fondation Louis-Vuitton pour la création est dotée d’une vaste enveloppe blanche dont la singularité et l’audace géométrique doivent beaucoup au travail de préfabrication mené en atelier. Conçue comme un gigantesque puzzle, dont les 396 pièces sont individuellement structurelles, isolées et étanches, elle est assemblée sur site avant de recevoir un habillage en panneaux de béton fibré à ultra-hautes performances.

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L’œuvre de l’architecte américano-canadien Frank Gehry ne lasse pasde surprendre par sa capacité à se réinventer au gré des lieuxet des projets. En cours de construction au sein du Jardin d’acclimatation de Paris, la Fondation Louis-Vuitton, dédiée à l’art contemporain, n’échappe pas à la règle.

Sa conception atypique réunit sous un cocon de verrières courbes plusieurs corps de bâtiment appelés « Icebergs », reconnaissables à leur enveloppe opaque et blanche, aux contours des plus irréguliers. Et comme une dernière touche à sa réinterprétation très actuelle de l’architecture des jardins du xixe siècle, l’édifice est posé sur l’eau au milieu d’un bassin créé pour l’occasion.

Concentrant toutes les fonctions de clos et de couvert, d’étanchéité et d’isolation thermique, tout en décrivant des surfaces courbes développables, aux intersections droites ou arrondies, la peau des « Icebergs » constitue l’une des pièces maîtresses du gigantesque édifice.

Des panneaux préfabriqués de 8 à 12m de hauteur

Superposition hétérogène de couches fonctionnelles, tout au moins pour les Icebergs dits « compacts », lesquels sont majoritaires et se distinguent des Icebergs dits « déportés » sur lesquels nous reviendrons, sa conception s’inspire de solutions innovantes déjà mises en œuvre sur des réalisations de l’agence Gehry Partners, comme le Musée d’art contemporain et de design de Herford, en Allemagne, ou la Clinic Lou Ruvo à Las Vegas. Sa composition fait apparaître une coque structurelle en acier, faisant également office de pare-vapeur, un complexe d’isolation thermique, une étanchéité en EPDM, et enfin une coque en aluminium servant de support à une vêture en Béton fibré à ultra-hautes performances (BFUP). Dérogeant aux règles de construction traditionnelles, elle fait l’objet de deux Atex, portant l’une sur son étanchéité en EPDM, la deuxième sur sa vêture.

En raison de leur porte-à-faux, les Icebergs dits « déportés » ne permettaient pas d’avoir la même approche. Leur composition, nettement simplifiée, se réduit à un voile en béton, une isolation thermique extérieure et la vêture en BFUP.

La surface complexe des « Icebergs », définie par le modèle de référence en 3D de l’architecte, se développe sur quelque 7 600 m2 en prenant appui sur l’ossature primaire de l’édifice, associant porteurs métalliques et béton. D’aspect continu, cette enveloppe est composée de 370 panneaux préfabriqués de géométrie variable, connectés les uns aux autres. Également appelés Unités transportables (TPU), ces derniers ont une largeur comprise entre 2,5 et 3 m et une longueur de 8 à 12 m, afin de respecter le gabarit maximal autorisé pour le transport routier. Un point essentiel pour assurer leur acheminement depuis la Belgique, où s’est déroulée leur production.

Un complexe d'étanchéité de 9000 m2 en EPDM

La préfabrication de chaque unité débute par celle de sa structure métallique. Calculée aux Eurocodes pour reprendre à la fois le poids propre de l’enveloppe, les efforts dus au vent, à la neige, et des charges de maintenance pouvant atteindre 150 kg/m2, la coque structurelle est constituée d’une feuille en acier de 3 mm d’épaisseur et d’une grille de 25 cm d’épaisseur composée de raidisseurs répartis selon deux directions orthogonales. Les raidisseurs longitudinaux, qui sont aussi les plus sollicités, se présentent sous la forme de nervures en tôle de section trapézoïdale. Ils sont orientés perpendiculairement aux plaques, si bien que lorsque la torsion ou la flexion de la surface est élevée, ils subissent une rotation et sont repris par des raidisseurs transversaux. Les différentes pièces métalliques sont découpées au laser par commande numérique avant d’être positionnées sur un gabarit spécifique et assemblées par soudure ponctuelle. Afin de limiter les risques de déformation, une soudure en continue est réservée à l’assemblage des feuilles en acier sur la grille. Ce travail achevé, la coque du TPU reçoit une peinture anticorrosionsur chaque face.

L’étape suivante consiste à équiper chaque TPU d’un complexe d’isolation thermique, mis en œuvre en deux lits superposés. La première couche est composée de panneaux de laine de roche Tervol DP7, de 100 mm d’épaisseur et d’une densité de 70 kg/m3, quand la seconde couche, plus rigide, fait appel à des panneaux de Termotoit RT d’une épaisseur de 70 mm et d’une densité de 125 kg/m3.

Une fine feuille d’aluminium, destinée au collage de l’étanchéité, est fixée sur l’isolation par vis auto-perceuses SFS IR3 de diamètre 4,8 mm avec rondelle cuvette, à raison de 5 à 9 fixations par mètre carré. Les vis assurent la reprise et la transmission des charges de vent à la structure. Des cornières en aluminium de 135 x 40 x 3 mm, de 250 mm de largeur et 600 mm d’entraxe reprennent quant à elles le poids propre de l’isolation, chaque panneau étant au minimum supporté par une cornière.

Pour réaliser les 9 000 m2 d’étanchéité verticale de l’iceberg, le choix de la maîtrise d’œuvre s’est porté sur la technique de l’EPDM qui, à la différence d’une solution en bitume, permettait de s’affranchir des problèmes de fluage et bénéficiait d’un coulage collage à froid, répondant le mieux aux exigences de propreté et de sécurité de ce chantier HQE. D’un emploi courant en Allemagne où elle est employée en toitures-terrasses, l’étanchéité EPDM est cependant considérée comme non-traditionnelle en France. Pure formalité pour l’entreprise Hofmeister, qui bénéficie d’une longue expérience en la matière. Le système Novoproof DA-K de la société Duraproof a fait l’objet d’une procédure d’expérimentation validée par le Cstb.

En atelier, c’est une membrane de 1,3 mm d’épaisseur qui est ainsi collée en plein sur la feuille d’aluminium de chaque TPU.

La continuité de l’étanchéité est garantie par un recouvrement minimal des lès de 30 mm et par le soudage à chaud des raccords (température de 420 à 470 °C). La membrane se poursuit sur les bords des panneaux, préalablement recouverts d’un feuillard en aluminium, de manière à rendre chaque TPU étanche, et sécuriser son transport et son stockage. Elle assure, en outre, le traitement de tous les points singuliers de l’enveloppe. Répartis à la surface des TPU à raison de 0,3 unité par mètre carré, les plots d’ancrage traversent le complexe d’isolation et d’étanchéité pour transmettre les charges de la vêture à la structure. Leur étanchéité est réalisée par un manchon préfabriqué de 110 mm de diamètre, thermosoudé sur la membrane EPDM et serré par un collier en acier inoxydable.

Le travail de préfabrication s’achève par un contrôle qualité, l’étanchéité à l’air et à la vapeur d’eau de chaque TPU étant validée par un contrôle visuel à l’aide de fumigènes et un essai de pressurisation. Toutes les pièces de ce puzzle sont ensuite soigneusement repérées et préparées avant d’être envoyées sur chantier.

Reconstitution d'une coque monolithique

Après réception sur site, les panneaux préfabriqués sont stockés à plat, l’étanchéité EPDM vers le haut, afin de ne pas endommager le complexe d’isolation et d’étanchéité. L’accrochage de l’enveloppe à la charpente primaire est réalisée en trois temps.

• La première opération consiste au levage et au positionnement des panneaux pesant chacun environ 5 tonnes... C’est une phase délicate, notamment lors du retournement du panneau. L’inclinaison est donnée à l’aide de treuils fixés à la grue.

• La deuxième opération consiste à suspendre les panneaux à la charpente par deux ancrages horizontaux, un système de tirants et de bielles. Le fait d’accrocher les panneaux en tête, plutôt que de les poser sur le sol permet d’éluder les contraintes de flambement et conduit à des ouvrages plus élancés. Les éléments adjacents sont ensuite reconnectés par boulonnage, de manière à former une coque monolithique. Les panneaux sont maintenus en pied pour limiter leur débattement. La pose respecte une tolérance maximale de 10 mm.

• La dernière phase revient à traiter tous les joints d’étanchéité entre TPU, ainsi que les liaisons avec les toitures-terrasses, le plancher bas et les tripodes, éléments structurels traversant les icebergs pour reprendre le poids des verrières.

Pour les joints courants, il s’agit de reconstituer le pare-vapeur à l’aide d’une membrane butyle autocollante, laquelle est légèrement chauffée, puis marouflée sur le support avec un rouleau. Les joints sont alors comblés avec une isolation thermique en laine de roche rigide entre les panneaux, et en laine de roche souple au niveau des autres interfaces. Une bande d’aluminium est ensuite positionnée sur site par rivetage, afin de réaliser les raccords sur l’EPDM par soudage à chaud. Dans les cas singuliers, notamment des tripodes, les raccords requièrent des pièces spécifiques.

19000 panneaux en BFUP

L’habillage des 10 000 m2 de surfaces opaques de la Fondation constitue le dernier acte d’une longue série d’études et de travaux. En amont du projet, plusieurs pistes ont été explorées pour choisir le matériau de surface répondant au mieux aux attentes des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage et répondant au très haut niveau de qualité recherché avec comme objectifs majeurs : une pérennité de cent ans et huit cibles HQE.

Parmi les solutions envisagées, plusieurs ont donné lieu à des prototypes : il s’agit de déclinaisons en béton projeté et granulats de grandes dimensions, en aluminium peint sous forme de petits ou de grands éléments, en aluminium émaillé, en mousse et fibres de verre, en panneaux de Corian, de CCV et de Ductal, un BFUP breveté par la société Lafarge. Le choix final d’une vêture en panneaux de Ductal illustre l’attrait de l’architecte pour une solution béton donnant un effet de masse à l’édifice et le souhait du client de privilégier un matériau noble ayant une très grande résistance dans le temps. Se travaillant des les trois dimensions, le Ductal avait, en outre, l’avantage de bien se prêter à la géométrie complexe des parois et de pouvoir répondre aux exigences millimétriques du projet. Ceci étant, le projet entre dans le domaine de l’expérimentation, d’où le lancement d’une deuxième procédure Atex par l’entreprise Hofmeister. La vêture imaginée par la maîtrise d’œuvre se compose d’environ 19 000 panneaux de teinte blanche, assemblés bord à bord sans recouvrement, dont les côtés longitudinaux proches de l’horizontale sont alignés de manière à décrire des lignes continues, et les côtés transversaux disposés en escalier avec un décalage en « Earthquake Pattern », typique des projets de Frank Gehry. Il a été prévu des joints creux de 10 mm entre les bords longitudinaux des panneaux et de 7 mm entre bords latéraux.

Tous les panneaux sont des pièces uniques repérées par numéro. Ils diffèrent par leur géométrie, et notamment leur courbure dont le rayon peut varier de 10 à 50 m, leur format développé, rectangulaire ou trapézoïdal, mais également leur nombre d’ancrages, la position de leurs fixations voire leur renforcement... Dans un souci de simplification et d’optimisation, ils sont répartis en deux grandes familles : les panneaux de façades (95 % de la vêture) et les panneaux d’acrotères (5 %). Les panneaux de façades se partagent en trois catégories : • les panneaux courants, situés au centre des parois, qui tous ont un format développé rectangulaire de 1,50 m de longueur sur 0,40 m de hauteur, mais une courbure différente ;• les panneaux tronqués, se trouvant à l’intersection des différentes surfaces ou aux interfaces avec les autres ouvrages, qui sont issus de la découpe d’un panneau courant avec un angle variable ;• et les panneaux fusionnés, résultant de l’association de deux éléments de petites dimensions.

Si tous les panneaux ont une épaisseur de 25 mm, les éléments les plus sollicités sont renforcés en face arrière par des lames en inox de 2 mm d’épaisseur, collées et boulonnées. L’implantation des renforts correspond aux zones ne pouvant faire l’objet d’une maintenance et d’un entretien par nacelle faute d’accès, et devant faire appel à des cordistes. La surcharge exercée dépend du point de fixation du cordiste et peut atteindre 150 kg/m2.

Le procédé de fabrication des panneaux de Ductal a été mis au point et breveté par Cogitech-Design, entreprise spécialisée dans la conception et le développement de prototypes, et Lafarge. La production est assurée par l’entreprise BonnaSabla. Le système consiste à réaliser des panneaux de formes géométriques variables et d’ancrages distincts au moyen d’un moule déformable en silicone de format unique. Ayant une surface projetée de 1,50 sur 0,40 m, ce dernier permet de réaliser des éléments courants, tronqués ou plus courts par simple ajout, avant coulage, de gabarits en polystyrène.

Moulage en silicone déformable

Le coulage du béton, teinté dans la masse avec de l’oxyde de titane, s’effectue dans le moule jusqu’à l’épaisseur souhaitée. Le béton est ensuite lissé et le moule recouvert d’une plaque en aggloméré de bois sur laquelle des inserts ont été préalablement fixés. Le moule est alors fermé de manière étanche grâce à une mise sous vide, puis déposé sur un fond de bloc en polystyrène, extrudé à la forme requise à l’aide d’une fraise à tête numérique. Le moule épouse la forme unique du bloc et donne ainsi la courbure souhaitée. Une fois démoulés, les panneaux font l’objet d’un contrôle géométrique et sont protégés par un hydrofuge avant d’être conditionnés en palettes et acheminés sur le chantier.

Pour donner à la vêture en BFUP la géométrie de référence du projet architectural avec une tolérance minimale, l’interface entre la coque des icebergs et l’habillage s’est avérée essentielle, d’où ce singulier support de vêture rapporté à la surface des panneaux préfabriqués, et réalisé au moyen d’une coque en aluminium. D’une précision millimétrique, celui-ci se compose d’une structure en grille, à base de raidisseurs plans dans deux directions orthogonales, et d’une feuille en aluminium. La coque est formée de modules de dimensions maximales 3 x 3 m, dont les pièces sont découpées au laser et assemblées en peigne. Les éléments sont suspendus de manière isostatique sur les plots d’ancrage de la coque et comportent, chacun, deux appuis libres, un appui glissant et un appui fixe.

Le système de pose de la vêture est pour sa part entièrement invisible et permet le démontage isolé de chaque pièce depuis l’extérieur. Les inserts de fixation, noyés à l’arrière des panneaux de BFUP (4 inserts par panneau courant), servent à accrocher en atelier des agrafes métalliques. Celles-ci sont munies de trous oblongs, afin de rattraper les éventuels défauts d’implantation. Sur chantier, les agrafes sont enclenchées sur des rails de fixation préalablement vissés sur la coque aluminium. Un contrôle visuel permet de s’assurer du parfait enclenchement de chaque élément. Lorsque celui-ci est effectif, la rainure témoin présente sur le rail est entièrement recouverte.

À l’issue des premiers montages, quelques adaptations ont été apportées au procédé de préfabrication et à la pose pour corriger les légers défauts de surface et de tolérance mis en évidence. Débutée en juin 2012, la mise en œuvre de la vêture devrait s’achever à la fin du premier semestre 2013. L’ouverture de la Fondation est quant à elle programmée pour 2014.

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