Construire en béton sans couler de béton. C'était l’objectif de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui a inauguré le 11 octobre 2021 un prototype de passerelle piétonne entièrement construit à partir de matériaux réemployés.
Deux mois de recherche
Pour réaliser cet ouvrage précontraint d’une portée de 10 m, 25 blocs de béton de vingt centimètres d’épaisseur ont été collectés sur un mur en béton armé promis à la démolition. « Nous nous sommes donnés deux mois pour identifier un bâtiment à déconstruire et une entreprise de démolition locale motivée par le sujet », témoigne Maléna Bastien Masse, post-doctorante au sein du laboratoire d’exploration structurale de l’EPFL.
L’entreprise Diamcoupe se montre alors intéressée et le chantier de transformation d’un immeuble âgé de moins de dix ans leur paraît une opportunité idéale pour extraire les éléments de béton souhaités. « Nous leur avons demandé de scier les pièces aux bonnes dimensions et de percer les blocs de façon à y faire ensuite passer les câbles de précontrainte fournis par l’entreprise Freyssinet et nécessaires à la construction de l’arc de la passerelle », poursuit la chercheuse.
Une première en matière de réemploi
L’ajout de mortiers au niveau des joints a compensé les variations dimensionnelles des pièces. « Il s’agit ici d’une première en matière de réemploi en construction. En effet, les autres exemples recourent à des éléments de béton préfabriqués. Ces pièces sont généralement plus simples à déconstruire et à reconstruire car les joints et connexions sont facilement identifiables. Or, ce n'était pas le cas ici », insiste l’experte.
Malgré ces contraintes, les éléments de béton n'ont souffert d'aucun dommage et leurs propriétés ont fait l'objet de vérifications par des essais non destructifs, dont le scléromètre . L’ouvrage, quant à lui, a été dimensionné comme n’importe quelle structure équivalente, grâce aux modèles de calcul aux éléments finis. Après sa construction, la passerelle a été soumise à un essai de charge et s’est comportée conformément aux calculs. Au point que les scientifiques considèrent ce pont comme aussi sûr que n’importe quel ouvrage neuf.
Travailler avec les propriétés existantes
Ce gain de sécurité peut-il encourager les maitres d’ouvrages à recourir davantage au réemploi à l’avenir ?
« Je ne crois pas que la sécurité soit la raison qui ait empêché le réemploi du béton, répond Maléna Bastien Masse. L’état des éléments de béton réemployé est facile à vérifier en utilisant les méthodes d’inspection et de vérification des structures existantes. L’usage de béton neuf reste cependant plus simple, puisque l’ingénieur peut choisir lui-même les dimensions et les propriétés mécaniques du matériau. Dans le cas du réemploi, il faut travailler avec les propriétés préexistantes des éléments, comme c’est le cas lors de la remise en état d’une structure ».
Bilan carbone égal à celui du bois
En attendant, les chercheuses et chercheurs de l’EPFL appellent le monde de l’industrie à passer à l’action.
«Nos analyses de cycle de vie ont montré que les émissions de CO2 liées à la passerelle en béton réemployé correspondent à 28% des émissions d'une passerelle identique qui aurait été construite avec du béton neuf. Nous l'avons également comparé avec un arc en béton monolithique. Dans ce cas, ses émissions correspondent à 35% de celles de l’arc monolithique. Par conséquent, les émissions de CO2 de la nôtre équivalent à celle d’une passerelle en arc en bois », se félicite la chercheuse.
