Décryptage

Permis de construire - Une régularisation peut en appeler une autre

Le Conseil d'Etat estime qu'un même projet peut faire l'objet d'un sursis à statuer, puis d'une annulation partielle.

 

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Urbanisme
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2019/07/24N°430473
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2021/03/17N°436073

La saga prétorienne initiée il y a plusieurs années par le Conseil d'Etat pour dessiner les contours de la mise en œuvre, par le juge administratif, des mécanismes de régularisation des autorisations d'urbanisme a connu un nouvel épisode par une décision rendue le 17 mars dernier (n° 436073, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Outre le rappel de principes d'ores et déjà tranchés par la juris prudence, le Conseil d'Etat se prononce pour la première fois sur l'articulation entre les dispositifs de régularisation prévus par le Code de l'urbanisme (C. urb.), en particulier sur la possibilité de mettre en œuvre successivement le sursis à statuer et l'annulation partielle.

La coexistence des deux mécanismes de régularisation

Cette décision du 17 mars est l'occasion de rappeler les deux mécanismes - modifiés par la loi Elan du 23 novembre 2018 -pouvant être mis en œuvre par le juge administratif pour permettre aux porteurs de projet de régulariser une autorisation d'urbanisme entachée d'illégalité.

Annulation partielle et sursis à statuer. Le premier dispositif, encadré par l', prévoit que le juge administratif, qui, « saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation ». Le second, prévu par l'article L. 600-5-1 du même code, prescrit, quant à lui, au juge de surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe, afin de permettre au bénéficiaire de l'autorisation de régulariser le vice.

Un même objectif. Ces deux mécanismes poursuivent donc le même objectif, à savoir éviter l'annulation d'une autorisation de construire dont le ou les vices sont régularisables. Ils comportent, en revanche, plusieurs différences dont les plus notables concernent les modalités de la régularisation et son champ d'application.

S'agissant des modalités de la régularisation, si l'article L. 600-5 laisse au bénéficiaire de l'autorisation le soin de régulariser son projet (sans nouveau contrôle du juge), tel n'est pas le cas de l'article L. 600-5-1. Dans ce dernier mécanisme en effet, la régularisation intervient dans le cadre de l'instance juridictionnelle.

Concernant leur champ d'application, il convient de noter que la mise en œuvre de l'article L. 600-5 est plus restreinte que celle de l'article L. 600-5-1, puisqu'il faut que le vice porte sur une partie identifiable du projet comme le nombre de places de stationnement (par exemple ). En pratique, cette condition est souvent remplie, ce qui permet au juge de disposer du choix d'appliquer l'un ou l'autre de ces mécanismes.

Sécurité juridique. Il convient, en effet, de rappeler qu'aucun des deux dispositifs n'a la primauté sur l'autre (1). Et il ressort des dernières décisions rendues par les juges du fond que le sursis à statuer (art. L. 600-5-1) est beaucoup plus souvent mis en œuvre alors même qu'il est plus contraignant pour le juge puisqu'il impose de poursuivre l'instance jusqu'à la régularisation et de se prononcer sur son bien-fondé. A noter toutefois qu'il permet d'assurer une meilleure sécurité juridique du projet puisque le juge se prononce sur le projet tel que régularisé, alors que tel n'est pas le cas pour l'annulation partielle suivie d'une régularisation prévue par l'article L. 600-5.

Si les deux mécanismes peuvent être alternativement utilisés, dès lors que les conditions sont remplies, la question s'est posée de savoir si un même projet pouvait en bénéficier, non plus de manière alternative, mais de façon successive. C'est à cette question que le Conseil d'Etat a répondu dans sa décision du 17 mars 2021.

   Aucun des deux mécanismes de régularisation, modifiés par la loi Elan, n'a la primauté sur l'autre

L'utilisation successive des deux dispositifs

Dans cette affaire, était en cause la réalisation de deux maisons individuelles et de travaux sur existant. Par un premier jugement, le tribunal administratif avait sursis à statuer sur le fondement de l'article L. 600-5-1 et invité la commune et le pétitionnaire à justifier d'un permis de construire de régularisation permettant d'assurer la conformité du projet aux dispositions relatives à la gestion des eaux pluviales.

Après la délivrance dudit permis, le tribunal a, par un second jugement mettant en œuvre l'article L. 600-5, partiellement annulé ce permis de régularisation, en tant qu'il méconnaissait les dispositions relatives à l'implantation en limite séparative et a fixé au pétitionnaire un nouveau délai pour solliciter un éventuel permis de construire de régularisation.

Cumul de régularisations. Saisi en cassation, le Conseil d'Etat devait donc répondre à la question suivante : le juge administratif peut-il cumuler la mise en œuvre des articles L. 600-5-1 et L. 600-5 à l'occasion d'un même contentieux ? Si la question est ici inédite, le rapporteur public, Olivier Fuchs, présageait déjà dans ses conclusions sous l'avis du 2 octobre 2020 (n° 438318) qu'il serait peu opportun de s'opposer à un tel cumul.

Dans l'affaire du 17 mars, après avoir relevé que la rédaction des articles précités éclairés par les travaux parlementaires de la loi Elan ne s'y opposait pas, le Conseil d'Etat confirme cette analyse et écarte toute atteinte au droit au recours effectif invoqué par les requérants qui soutenaient qu'accepter un tel cumul reviendrait à « faire de l'annulation du permis une pure chimère ». Le Conseil d'Etat - qui a d'ores et déjà eu l'occasion de valider la conformité à la Constitution de ces outils de régularisation () - valide donc aussi la possibilité de régulariser le permis de régularisation.

Economie générale du projet. Par ailleurs, cette décision a également été l'occasion de mettre en œuvre l'avis du 2 octobre 2020 précité par lequel la Haute juridiction a assez logiquement tiré les conséquences de la nouvelle rédaction de l'article L. 600-5-1, qui ne renvoie plus simplement à la notion de « permis modificatif », mais désormais à une « mesure de régularisation ». Dans cet avis, le Conseil d'Etat indiquait que les modifications prises pour régulariser l'autorisation d'urbanisme peuvent remettre en cause l'économie générale du projet, sans toutefois pouvoir en changer la nature même.

Sur ce point, Vincent Villette évoque, dans ses conclusions, une question intéressante dont le Conseil d'Etat n'était pas en l'espèce saisi, mais qui soulève une réelle interrogation quant à la mise en œuvre des outils de régularisation et qui sera, à n'en pas douter, l'une des prochaines questions sur laquelle il devra se prononcer. Si l'on admet que la régularisation puisse dépasser le seul champ du permis modificatif pour remettre en cause l'économie générale du projet, les modifications qui seraient sollicitées à l'occasion de la même autorisation de régularisation, mais qui n'auraient pas pour objet de régulariser les vices identifiés par le juge administratif, peuvent-elles également être intégrées dans le permis de régularisation ?

Si le rapporteur public relève un certain nombre de critiques, il conclut néanmoins à l'admission d'une telle possibilité qui, si elle était également retenue par le Conseil d'Etat, permettrait finalement aux autorisations de régularisation de dépasser l'objet pour lequel elles ont été instituées.

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