Urbanisme - Agrivoltaïsme et photovoltaïque au sol : le cadre juridique éclairé… en partie

Une instruction apporte d'utiles précisions sur le cadre posé par la loi Aper et son décret d'avril 2024 mais laisse subsister des zones d'ombre.

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Une instruction interministérielle, publiée au Bulletin officiel du ministère de l'Agriculture le 20 février et adressée aux préfets et services instructeurs, apporte des précisions sur le dispositif applicable aux installations agrivoltaïques et photovoltaïques au sol dans les espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf). Rappelons que le cadre juridique a été posé par l'article 54 de la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (loi Aper), complété et précisé par le décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 et un arrêté du 5 juillet 2024. Le dispositif distingue :

- les projets agrivoltaïques qui doivent apporter un service direct à l'activité agricole et garantir le maintien d'une activité agricole principale et significative et d'un revenu durable en étant issu ;

- les projets photovoltaïques compatibles avec une activité agricole, pastorale ou forestière (dits « PV compatibles »), qui ne pourront être autorisés que sur des terrains identifiés dans un document-cadre départemental pris sur proposition de la chambre d'agriculture ;

- l'implantation de serres, de hangars et d'ombrières à usage agricole supportant des panneaux photovoltaïques.

L'instruction explicite, de façon complète et lisible, les dispositions, nombreuses et très techniques, applicables à chacun de ces régimes, les modalités d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme portant sur ces projets, les dispositions relatives au contrôle de ces installations, celles propres à certains territoires (littoral, montagne, outre-mer), ainsi que les attendus de la part des services instructeurs. Quelques points attirent l'attention, soit parce qu'ils clarifient la situation, soit parce qu'ils laissent persister des zones d'ombre.

Serres, ombrières et hangars agricoles

Les serres et les ombrières peuvent relever du régime de l'agrivoltaïsme (art. L. 111-27 du Code de l'urbanisme) si elles fournissent l'un des quatre services directs à l'activité agricole : amélioration du potentiel et de l'impact agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas, amélioration du bien-être animal. Dans le cas contraire, elles peuvent être autorisées au titre de l'article L. 111-28 (visant spécifiquement ces structures) à condition que leur implantation corresponde à une « nécessité liée à l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière significative », ce afin d'éviter les constructions « alibis ». L'instruction précise que la seule justification d'une nécessité « économique » (ressources énergétiques pour une exploitation agricole) n'est pas suffisante.

Un hangar agricole n'ayant par définition pas vocation à surmonter des cultures, pâtures ou parcours extérieurs accessibles aux animaux, ne peut pas relever du régime de l'agrivoltaïsme. Ces projets devront donc être instruits au titre de l'article L. 111-28.

A noter que le régime prévu par cet article n'est applicable qu'en cas d'implantation concomitante d'une serre, d'un hangar, ou d'une ombrière et de l'installation photovoltaïque.

Revenu durable issu de la production agricole

Une installation agrivoltaïque doit notamment garantir à l'agriculteur un revenu durable issu de la production agricole (art. R. 314-117 du Code de l'énergie), apprécié sur cinq ans. L'instruction précise utilement qu'« un changement de type de culture ou de conversion vers l'élevage en vue de permettre l'installation d'un projet agrivoltaïque n'est pas interdit en soi [...] et s'inscrit dans le principe général de la libre entreprise. Cependant, le décret [du 8 avril 2024] impose que la moyenne des revenus issus de la produc-tion agricole après l'implantation de l'installation agrivoltaïque ne soit pas inférieure à la moyenne des revenus issus de la production agricole avant l'implantation de l'installation. Cette disposition doit être respectée, y compris dans le cadre d'un changement de culture ou d'une conversion vers l'élevage. » La contrainte reste donc forte pour l'agriculteur, qui peut faire évoluer son exploitation, mais uniquement vers une activité aussi, voire plus lucrative… sans parler des aléas économiques ou climatiques qu'il ne maîtrise pas. A ce sujet, l'article 3 de l'arrêté du 5 juillet 2024 prévoit la possibilité de demander au préfet d'appliquer aux revenus des indices « adaptés à l'économie de la production agricole présente sur la parcelle ». L'instruction ne donne pas de précision sur l'indice et les justifications à fournir.

L'agriculteur peut faire évoluer son exploitation, mais uniquement vers une activité aussi, voire plus lucrative.

Document-cadre

L'instruction rappelle que les projets PV compatibles ne pourront être autorisés que s'ils sont situés sur des surfaces incluses dans un document-cadre départemental. L'article R. 111-58 du Code de l'urbanisme liste 14 types de surfaces qui doivent être incluses dans ce document. Dans le même temps, elle précise que la « localisation du projet sur une [surface incluse d'office] peut être justifiée » par diverses pièces qu'elle liste dans un tableau. Pourquoi une telle justification serait-elle nécessaire si le projet est bien localisé dans une surface incluse dans le document-cadre ? Si la surface est incluse, la justification ne devrait pas être nécessaire. Si le préfet a oublié de l'inclure, la justification que la zone devrait être dans le document-cadre devient alors nécessaire.

Dès lors, nous comprenons qu'un document-cadre ayant oublié l'un des 14 types de surface à inclure ne sera pas forcément irrégulier ; le projet qui voudrait s'y implanter pourra être accepté en apportant les justificatifs. Les termes « inclus d'office » utilisés par l'instruction, qui ne figurent pas à l'article R. 111-58, ne laissent guère de doute sur l'interprétation à retenir (lire « Quelle place reste-t-il pour les projets photovoltaïques agricompatibles ? », « Le Moniteur » du 26 juillet 2024) . La contradiction qui persiste dans l'instruction mérite tout de même une clarification.

Instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme

Enfin, le texte précise utilement que l'absence d'une de ces pièces justificatives - qui permettront d'apprécier la compatibilité du projet avec le document-cadre - ne pourra faire l'objet d'une lettre d'incomplétude et repousser le départ du délai d'instruction, les pièces exigibles étant limitativement énumérées par le Code de l'urbanisme. Néanmoins, le service instructeur pourra solliciter des éléments complémentaires et refuser le permis de construire s'il ne dispose pas d'informations suffisantes pour vérifier que le terrain est inclus d'office. A contrario, une justification suffisante ouvre droit au permis de construire, même si le document-cadre a omis un terrain à inclure d'office.

Par ailleurs, pour les projets agrivoltaïques ainsi que les serres, hangars et ombrières à usage agricole, l'autorisation est délivrée par le préfet après avis (conforme/simple) de la commission départementale de préservation des Enaf (CDPENAF). Si l'avis conforme est défavorable, « l'autorité compétente est tenue de le suivre sauf si cet avis est illégal », notamment s'il n'est pas suffisamment étayé ou justifié au regard des caractéristiques du projet - ce qui est fréquent -, ou s'il est fondé sur des conditions étrangères aux conditions et critères prévus par les textes. Si l'avis est favorable, l'autorité compétente ne sera pas tenue de le suivre et pourra refuser le permis si elle l'estime illégal pour d'autres motifs.

Malgré des clarifications utiles, l'instruction reste floue à bien des égards et montre à quel point il est complexe et technique de garantir que la production agricole restera « significative » et le revenu « durable » pour les projets agrivoltaïques. Pour assurer le développement de cette technologie sur le long terme, plusieurs textes sont encore attendus (liste des technologies agrivoltaïques éprouvées, partage de valeur et adoption de la programmation pluriannuelle de l'énergie), tandis que la très inattendue proposition de loi « visant à assurer le développement raisonné et juste de l'agrivoltaïsme » sème l'inquiétude dans la filière.

Ce qu'il faut retenir

  • Une instruction interministérielle du 18 février explicite le cadre juridique applicable aux projets agrivoltaïques et PV compatibles.
  • S'agissant du revenu durable issu de la production agricole que l'installation agrivoltaïque doit garantir, l'instruction précise qu'un changement de type de culture ou de conversion vers l'élevage en vue de permettre l'installation d'un projet agrivoltaïque est possible à condition que la nouvelle activité soit aussi lucrative que l'ancienne.
  • Les pièces qui devront être jointes au dossier de permis de construire un projet PV compatible en vue d'apprécier sa compatibilité avec le document-cadre sont détaillées. La portée d'un document-cadre incomplet reste à clarifier.
  • Le texte apporte des précisions sur l'instruction des dossiers, notamment sur la portée de l'avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
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