La première qualité de ce livre, écrit par l’historien de l’architecture Olivier Cinqualbre et l’architecte-paysagiste Serge Renaudie, réside dans la mise en perspective du travail de Jean Renaudie (1925-1981) avec celui de l’Atelier de Montrouge qu’il fonde en 1958 avec Pierre Riboulet (1928-2003), Gérard Thurnauer (1926-2014) et Jean-Louis Véret (1927-2011). Il quitte l’agence dix ans plus tard, à la suite du bouleversement de Mai-68 et des divergences nées du schéma de développement de la ville nouvelle du Vaudreuil (Eure) que Renaudie imagine implanter à flanc de falaise.
Renée Gailhoustet (1929-2023) l’associe alors à la rénovation urbaine du centre d’Ivry-sur-Seine menée par la municipalité et l’OPHLM. Influencé à la fois par la biologie et le marxisme, Renaudie voit la ville comme un organisme. Ni urbanisme de dalle, ni urbanisme traditionnel, le Centre Jeanne-Hachette (1975), qui combine commerces, bureaux et appartements, prend l’allure d’un village pyramidal et labyrinthique, parcouru de cheminements intérieurs et extérieurs, lançant des ponts habités au-dessus des rues. Pour lui, seule la mixité fonctionnelle peut assurer un mélange social.
Contre la normalisation
Jean Renaudie élabore une méthode consistant à faire mûrir les projets par une abondante production dessinée, abstraite et géométrique, mise en valeur dans le livre. « À l’époque, beaucoup d’architectes l’ont attaqué parce qu’il cassait la façade », se souvient son fils Serge, qui a intégré l’agence en 1971. Tracés à l’aide de diagonales, les appartements d’Ivry comme de Givors (Rhône) sont tous différents.
Contre le logement-type, il revendique la diversité et la complexité pour favoriser l’appropriation et impulser de nouveaux modes d’habiter. Il préfère donner au séjour le maximum de surface, en réduisant la taille des chambres et en supprimant les distributions. L’éclatement de l’espace agrandit visuellement les intérieurs. Leurs plans en étoiles et les innombrables terrasses-jardins, comprenant 30 cm de pleine terre dans laquelle de véritables arbres peuvent pousser, en ont fait des références dans l’histoire de l’architecture. « Pour lui, ses immeubles étaient terminés une fois recouverts de végétation », précise Serge Renaudie.
Grand Prix national d’architecture
« Nous avons cherché à montrer la continuité dans son travail, comment d’un projet à un autre des lignes directrices se poursuivent, se clarifient, se recomposent tout au long de sa vie », racontent les auteurs. L’exemple des écoles des Plants à Cergy-Pontoise (1973) et Albert-Einstein (1982) à Ivry sont parlants. Comme dans l’habitat, la variété des volumes et des espaces stimule les interactions entre enfants tout en leur donnant un sentiment de protection.
« Renaudie était un personnage très singulier, en marge, si bien qu’il y a eu des gens qui se sont attachés à son architecture et ont été ses défenseurs », analyse Olivier Cinqualbre. En 1978, il reçoit le Grand Prix national d’architecture. Aujourd’hui, le temps de la patrimonialisation est venu et, espérons-le, d’un meilleur entretien. En 2022, l’immeuble Danielle-Casanova (1972), où Renaudie habitait, a été protégé au titre des monuments historiques. Un cas de figure très rare pour du logement social...
«Jean Renaudie, architecte de la complexité», par Olivier Cinqualbre et Serge Renaudie, collection Carnets d’architectes, Paris, éditions du Patrimoine, 16,5x21cm, 165 illustrations, 200p., 25€.