Maintenance : les infrastructures dans l’enfer vert

De la renouée au myriophylle, les espèces exotiques envahissantes sont le cauchemar des gestionnaires de routes, canaux et voies ferrées qui leur consacrent des moyens croissants.

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Maintenance : les infrastructures dans l'enfer vert
1 -La renouée du Japon prolifère le long des voies de circulation et gêne leur exploitation en masquant notamment les panneaux.

Une des meilleures plantes pour l’embellissement des jardins ; « très élégante par son port pittoresque, par la forme et la couleur gaie de ses feuilles et par la disposition de ses nombreuses fleurs » ; « très précieuse par son extrême rusticité, qui lui permet de croître dans tous les terrains et à toutes les expositions » (1)… Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les paysagistes ne trouvent pas de mots assez élogieux pour vanter la persicaire à feuilles cuspidées, cette plante à la tige ronde, aux larges feuilles et aux grappes de fleurs blanches rapportée en catimini du pays alors le plus secret du monde : le Japon. Dès la fin du siècle cependant, les mêmes reconnaissent que sa prolifération la rend incontrôlable et qu’il vaut mieux s’en passer. Trop tard, car celle qui est aujourd’hui connue sous le nom de renouée du Japon a déjà commencé à conquérir l’Europe.

Menaces. Comme l’ailante, l’ambroisie, le robinier, le buddleia, l’herbe de la pampa, la berce du Caucase ou leurs consœurs aquatiques, le myriophylle hétérophylle, la jussie et l’élodée, la renouée est une espèce exotique envahissante (EEE). Introduites volontairement ou non par l’homme en dehors de leur aire de répartition naturelle, elles menacent « les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques, économiques ou sanitaires négatives », selon la définition de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Pour les gestionnaires d’infrastructures, un cauchemar.

« Sur les 6 700 km de notre réseau, 2 000 sont affectés par ces espèces dont la moitié par le myriophylle », soupire Olivier Jossot, directeur adjoint de l’infrastructure, de l’eau et de l’environnement chez Voies navigables de France (VNF). Cette plante prisée des amateurs d’aquariums a trouvé dans les canaux de petit gabarit et leur faible vitesse d’eau un milieu parfaitement adapté à son développement. Avec sa croissance fulgurante -plusieurs dizaines de centimètres par semaine -, elle obstrue les ouvrages de gestion hydraulique, bloque les portes des écluses, gêne la navigation, accélère l’envasement et, en concurrençant impitoyablement les espèces indigènes, appauvrit la diversité végétale des canaux. « C’est un sujet qui a de lourdes répercussions sur l’infrastructure, les équipes, et son coût est très élevé », estime Olivier Jossot. En 2025, la gestion de ces plantes s’élèvera à 7,8 M€ contre 2,8 M€ en 2021. Et cela sans pouvoir espérer se débarrasser de l’envahisseuse. « Il n’existe pas aujourd’hui de solution d’éradication complète, nous pouvons seulement réduire ses impacts », regrette le spécialiste. L’action la plus efficace consiste à couper ou arracher les indésirables, et VNF s’est doté d’une vingtaine de bateaux faucardeurs, c’est-à-dire équipés de lames sous- marines. « L’été, nous intervenons toutes les deux à trois semaines », précise Olivier Jossot.

Une détection précoce permet cependant une réponse plus efficace, et les agents d’exploitation de VNF ont été formés dans ce but. « Ils sont capables de reconnaître une espèce et de qualifier son impact afin d’intégrer des informations géolocalisées à une carte actualisée tous les 15 jours, ce qui nous permet d’identifier les biefs les plus touchés », détaille Olivier Jossot. L’opérateur cherche néanmoins à automatiser ce repérage et expérimente deux techniques : la première, une caméra embarquée à bord d’un véhicule circulant le long des voies d’eau associée à une dose d’intelligence artificielle pour la reconnaissance des espèces, est testée avec l’Office français de la biodiversité ; la seconde, qui fait l’objet d’un partenariat avec le Centre national d’études spatiales et l’entreprise girondine i-Sea, mise sur la reconnaissance satellitaire.

« Coupes sélectives ». Chez SNCF Réseau, qui doit assurer l’entretien de l’emprise ferroviaire qui s’étend sur 125 000 ha, le pôle Maîtrise de la végétation associe l’expertise humaine et un système d’information géographique maison, Sigma. « Il combine des données issues des trains de surveillance du réseau, des données vidéo et des photos satellite pour définir les strates de végétation qui occupent les surfaces de nos abords », explique Jean-Pierre Pujols, responsable du pôle.

Brûlures. Les espèces exotiques envahissantes surgissent en milieu de voies, s’infiltrent dans des installations électriques, déstabilisent les talus et les ouvrages maçonnés. Pour le gestionnaire du réseau ferré français, la maîtrise de l’ensemble de la végétation représente un budget annuel de 225 M€. « C’est le premier poste de dépense sur l’infrastructure », résume Jean-Pierre Pujols. La plus grande partie de ce montant (175 M€) va aux dépendances vertes, les espaces végétalisés aux abords des voies. Sur les voies ferrées et les pistes de circulation, les espèces envahissantes empêchent a minima les agents de se déplacer mais elles posent aussi parfois des problèmes de santé et de sécurité au travail. Ainsi, la berce du Caucase dont le contact suivi par une exposition au soleil provoque de graves brûlures et dont la coupe demande des précautions particulières. Parmi les espèces les plus redoutées du gestionnaire, on trouve l’ailante, également appelé « monte-aux-cieux », que les coupes galvanisent au lieu de l’affaiblir. « Les rejets reviennent si rapidement que nous devons intervenir très souvent et cela entraîne des surcoûts, déplore Jean-Pierre Pujols. C’est pourquoi nous optons parfois pour des coupes sélectives ou balivage, qui permettent de limiter ces rejets. »

Faut-il en faire moins pour un résultat plus durable ? Vinci Autoroutes, qui gère un réseau de plus de 4 000 km, a constaté lors d’une étude menée en 2018 avec l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie que les EEE sont « bien plus présentes vers la glissière et la zone fauchée que dans le talus ou la zone non fauchée ». En cause, l’entretien - obligatoire - des abords de la chaussée qui crée des surfaces particulièrement propices à leur installation. Une gestion extensive de ces dépendances vertes pourrait éviter leur implantation.

Inoculation d’un champignon. Côté techniques, la renouée, dont le système racinaire descend à plusieurs mètres et qu’un fragment de rhizome suffit à disséminer, peut être affaiblie par bâchage ou arrachage, mais ces procédés sont inapplicables à proximité des voies. En 2022, SNCF Réseau a renoncé au glyphosate, remplacé par un produit de biocontrôle (acide pélargonique) associé à un anti germinatif. Si cette combinaison permet d’approcher du caractère systémique du glyphosate, elle n’affiche pas la même efficacité. Alors l’entreprise expérimente. « Contre l’ailante, nous inoculons un champignon qui s’attaque spécifiquement à cette espèce à un tiers des sujets d’un taillis et ceux-ci contaminent les autres arbres », explique Jean-Pierre Pujols. Venu d’Autriche, ce produit devrait être bientôt homologué en France. Le gestionnaire du réseau ferré a également lancé la seconde phase de son programme Reeves qui veut tirer parti des mécanismes de la concurrence végétale. Si les résultats sont encourageants, cette technique nécessite des interventions très fines. « Il existe beaucoup de solutions alternatives efficaces, mais elles demandent une vigilance permanente qui ne les rend pas industrialisables », constate Jean-Pierre Pujols.

Biotraitement. Chez VNF, une expérimentation menée sur la gare d’eau de Saint-Jean-de-Losne (Côte-d’Or) combine un biotraitement - des micro-organismes qui entrent en compétition avec les espèces invasives en consommant les nutriments disponibles - avec des procédés d’aération et de brassage et un colorant alimentaire qui joue le rôle d’inhibiteur de photosynthèse. Bilan : « Quelque 75 % de biomasse extraite de l’eau en moins en 2023 par rapport à 2022 et un affaiblissement global des plantes », souligne Erine Devaux, chargée de projet patrimoine naturel chez VNF. « Cette solution a sauvé la gare de Saint-Jean-de-Losne, mais elle n’est applicable que dans un port, pas sur notre linéaire », constate Olivier Jossot.

(1) Citations extraites de « La compagnie des invasives », de Marianne Roussier du Lac, publié aux éditions Le Pommier en mars 2024.

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10183_569557_k5_k1_1360709.jpg 4 -SNCF Réseau procède à des campagnes d'arrachage d'herbe de la pampa qui prolifèrent le long de ses voies.
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10183_569557_k6_k1_1360710.jpg 5 -Un chantier d'arrachage de berce du Caucase en Mayenne en 2019 organisé par l'association Polleniz. Une combinaison et des gants s'imposent car la plante peut causer de graves brûlures après exposition au soleil.
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10183_569557_k7_k1_1360711.jpg 6 -SNCF Réseau expérimente l'Ailantex, un champignon spécifique à l'ailante qui détruit l'arbre et ses voisins.
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10183_569557_k8_k1_1360712.jpg 7 -La jussie qui a envahi l'étang Blanc (Landes) fait l'objet d'un arrachage mécanique (ici, en 2012).
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