Quel bilan personnel tirez-vous de cette première année à la tête de Vinci Construction ?
Peu de surprises et deux grandes confirmations. D’abord, j’ai pu prendre encore plus la mesure de l’efficacité de notre modèle historique. Notre organisation décentralisée et basée sur les business units continue de montrer toute sa pertinence et son agilité pour s’adapter aux règles spécifiques de chaque région, de chaque pays, et répondre à leurs besoins.
En m’inscrivant dans le chemin tracé par Pierre Anjolras [son prédécesseur devenu depuis directeur général du groupe Vinci, NDLR], j’ai également constaté à quel point la décision de fonder un grand Vinci Construction organisé autour d’un découpage par métiers porte ses fruits. En France, par exemple, la segmentation bâtiment, génie civil, réseaux et route dans nos entreprises de proximité a permis de sortir de l’ombre certaines expertises. C’est le cas de l’hydraulique (traitement de l’eau, assainissement…). Mises en lumière au sein de Sogea Environnement, elles se sont énormément développées.
Cette organisation par ligne de métier est-elle aussi valable hors de nos frontières ?
A l’international, y compris dans les régions où nous sommes fortement implantés comme au Royaume-Uni, en Allemagne, en Pologne, en République tchèque, en Amérique du Nord ou en Océanie, nous n’avons pas le même maillage.
Sur ces géographies, nos entreprises de proximité, souvent spécialistes des infrastructures linéaires, peuvent parfois couvrir plusieurs métiers (terrassement, matériaux, travaux publics, génie civil…). En revanche, nos entreprises de spécialité, telles que les entités de Soletanche Freyssinet, sont expertes de leur métier partout dans la centaine de pays où elles opèrent.
Revenons en France où les travaux routiers, ferroviaires et sur les réseaux ont été l’un des principaux moteurs de votre activité au premier semestre. Comment anticipez-vous la dynamique des prochains mois ?
Nous savons pouvoir compter sur des carnets de commandes stables qui se situent à un niveau élevé, soit 35,6 Mds € au 30 juin, et nous offrent une visibilité sur les mois à venir.
Par ailleurs, les grands projets, qui ont connu une baisse d’activité sur la première partie de l’année, conséquence du phasage de l’avancement des chantiers, vont connaître une montée en charge pour retrouver un niveau plus habituel en 2026. Evidemment, l’instabilité politique actuelle suscite quelques craintes, mais nous restons confiants.
Comment expliquez-vous la bonne tenue de vos activités de bâtiment alors même que la crise de l’immobilier neuf perdure ?
C’est la conséquence d’un basculement du marché que nous avons su anticiper en nous positionnant, il y a de cela plusieurs années, sur le segment alors naissant des grands chantiers de réhabilitation. Nos résultats semestriels mettent en exergue cet effet de vases communicants entre le neuf et la rénovation. En trois ans, la part de travaux de réhabilitation est passée de 30 % à près de 50 %, amplifiée par la dynamique du marché francilien sur ce segment.
Cela explique notre résilience face au marasme que connaissent les marchés du logement et du bureau.
Craignez-vous un essoufflement des grands chantiers dans l’Hexagone ?
Le Grand Paris Express est plus que jamais d’actualité et le tunnel Lyon-Turin monte en charge, sans même parler de ses accès ferroviaires qui restent à réaliser. Entre le canal Seine-Nord Europe ou le projet ferroviaire de la ligne nouvelle du Sud-Ouest, de beaux projets d’aménagement du territoire sont encore devant nous. Je n’oublie pas non plus les deux paires d’EPR 2, dont les marchés sont encore à attribuer [après celui de Penly remporté par le groupe Eiffage, NDLR]. EDF avance actuellement sur ces sujets que nous continuerons d’aborder en duo avec le groupe Bouygues.
Reste la question du financement des infrastructures qui a notamment alimenté les débats lors de la conférence Ambition France Transports. Existe-t-il aujourd’hui un consensus sur la participation des usagers à l’entretien du réseau ?
L’augmentation, la réduction ou la réallocation des ressources financières doit être la conséquence d’une réflexion qui, à mon sens, reste à mener. Ce sont des décisions politiques qui, pour être cohérentes, ne peuvent être prises sans considérer le prix réel des infrastructures.
Quels modes contractuels faut-il privilégier pour espérer financer et mener à bien la maintenance et le développement des infrastructures ?
PPP, concessions, délégation de service public ou marchés classiques : il n’y a pas de formule magique. Le choix du mode contractuel dépend de ce que l’on veut faire d’une infra structure : la construire, la développer, la maintenir ? Chaque outil présente des avantages et des inconvénients. D’où l’importance pour un maître d’ouvrage d’en avoir une bonne connaissance, de façon à sélectionner celui qui lui apportera la meilleure valeur ajoutée au regard de l’argent investi.
« Le choix du mode contractuel dépend de ce que l’on veut faire d’une infrastructure : la construire, la développer, la maintenir ? »
Les maîtres d’ouvrage français jouent-ils sur toute la palette des outils contractuels à leur disposition ?
Le seul type de marché, selon moi encore inédit dans l’Hexagone mais qui pourrait être utilisé, est celui de l’« alliance ». Commun dans le monde anglo-saxon, il réunit le maître d’ouvrage, le concepteur et le constructeur dès la genèse du projet avec un partage des risques associés à la réalisation. Cette approche plus collaborative se montre efficace pour conduire rapidement de grands projets dont il est difficile d’avoir une définition fine a priori, et ce en maîtrisant les coûts, voire en les optimisant.
A l’international, votre début d’année 2025 aura notamment été marqué par l’intégration de FM Conway au Royaume-Uni. Que doit vous apporter cette acquisition ?
Elle répond à notre volonté de nous renforcer dans des pays stables où nous disposons déjà d’une part de marché significative. Le Royaume-Uni en fait partie. Outre-Manche, notre modèle basé sur l’utilisation de moyens propres pour conduire nos chantiers se distingue de celui des entreprises locales. Organisées en contractants généraux, elles recourent davantage à la sous-traitance et, de ce fait, perdent progressivement leur expertise. Or, FM Conway ne répond pas à ce profil et suit la même approche intégrée que nous. Implantée dans le sud-est de l’Angleterre où se concentre la majeure partie de l’activité britannique, elle nous permet d’y atteindre une masse critique, de devenir leader sur le marché de l’économie circulaire des chantiers routiers et d’accélérer notre développement sur notre second marché après la France.
Le modèle de l’entreprise générale à la française constitue-t-il un avantage concurrentiel au Royaume-Uni ?
C’est particulièrement notable pour les petites et moyennes opérations menées par les collectivités. Ces maîtres d’ouvrage estiment, à juste titre selon moi, qu’ils pourront plus facilement bénéficier des dernières innovations avec une entreprise qui maîtrise ses savoir-faire et les fait évoluer.
Sur quels autres marchés matures comptez-vous vous développer ?
Nous voulons privilégier les acquisitions bolt-on [petites acquisitions pour compléter des métiers existants, NDLR] dans des pays comme la France, l’Allemagne, la République tchèque ou la Pologne. Concernant les rachats visant à augmenter notre taille et notre couverture géographique de façon significative, nous ciblons l’Amérique du Nord et l’Océanie en priorité. Dans ces zones qui comptent de nombreuses entreprises familiales, les dirigeants âgés se tournent souvent vers la vente, faute d’avoir préparé leur succession. Le terreau est donc favorable, reste à trouver la bonne société au bon prix.
Avec la montée en puissance du pôle énergie, votre entité est-elle toujours le barycentre du groupe Vinci ?
Je ne parlerais pas de barycentre, plutôt de point d’ancrage. Chaque pôle au sein du groupe vit des moments d’accélération, c’est le cas de l’énergie actuellement. Malgré tout, nous continuons de nous développer régulièrement comme en témoigne l’acquisition de FM Conway.
Nous suivons une croissance linéaire, portée par les transitions en matière environnementale, énergétique et digitale, en restant attentifs à la sélectivité et à la marge dans nos prises de marché, notre marque de fabrique !