Décryptage

Entreprises : les raisons de la course aux services multitechniques

En réponse à l'électrification de la société, les majors accordent une place croissante aux activités liées à l'énergie jusqu'à prendre l'avantage sur leurs métiers traditionnels. Les ETI, elles, tentent de se faire une place au soleil.

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Le 22 novembre, Vinci consacrait une journée investisseurs à sa branche énergie, intitulée « Strategic positioning to capture megatrends », qu'on pourrait traduire par « positionnement stratégique pour se saisir des grandes opportunités de marché ». Un événement qui reflète notamment la croissance continue de Vinci Energies - spécialiste des services multitechniques pour les infrastructures d'énergie, de transport, de communication, mais aussi les bâtiments, les usines et les systèmes d'information. La filiale du n° 1 français du BTP a ainsi réalisé 15,1 Mds € de chiffre d'affaires en 2021, 16,7 Mds € en 2022 (+ 10,6 %), 19,3 Mds € en 2023 (+ 15,6 %) et déjà 14,5 Mds € sur les neuf premiers mois de 2024. Et l'activité a de beaux jours devant elle. Le groupe estime ainsi que cette croissance devrait se poursuivre - entre 5 et 9 % par an en moyenne entre 2024 et 2030 - et afficher une marge opérationnelle d'au moins 7,5 % en 2030.

Cette « megatrend », Vinci n'est pas la seule major à s'être positionnée pour en profiter. Acquise par Bouygues en octobre 2022, Equans est devenue un an plus tard « [son] premier métier en chiffre d'affaires (18,8 Mds €) et en effectifs », rappelait Olivier Roussat, directeur général du groupe, lors de la présentation de ses résultats annuels en février dernier. Autre géant de la construction, Eiffage n'est pas en reste puisque le chiffre d'affaires de sa branche Energie Systèmes est ainsi passé de 3,8 à 5,9 Mds € entre 2017 et 2023.

« La présence des services à l'énergie au sein des grands groupes n'est pas nouvelle. C'est leur part croissante dans l'activité des majors qui l'est », observe Yannick Saint Roch, directeur général du Serce, syndicat qui représente les entreprises de la transition énergétique et numérique. Selon lui, un tel phénomène est logique dans un contexte de décarbonation qui passe avant tout par l'électrification. « Les services énergétiques dans leur ensemble voient leur activité augmenter tandis qu'un certain nombre de projets changent de dimension, met en avant le dirigeant. C'est le cas de l'hôpital de Nantes où 55 % des lots concernent les génies électrique et climatique alors que, traditionnellement, le gros œuvre dominait sur ce type d'ouvrage. En parallèle, d'autres opérations d'importance se concentrent sur la dimension énergétique, comme les data centers. » Concrètement, deux mouvements tirent le marché vers le haut : une activité diffuse qui grossit, portée par des projets de taille modeste, et la multiplication de plus grands projets.

Relance du programme nucléaire. Cette électrification croissante des usages constitue une opportunité majeure en raison des investissements dans les infrastructures qui l'accompagnent : Enedis et RTE prévoient chacun d'injecter 100 Mds € dans la transformation des réseaux tandis que la relance du programme nucléaire implique de répondre aux besoins de ventilation et de contrôle- commande des centrales.

Et les trois majors ne sont pas les seules à se positionner. « Il ne fait aucun doute que l'intervention sur les infrastructures énergétiques sera un axe structurant du marché pendant de nombreuses années », confirmait récemment dans un entretien au « Moniteur », Jean Bernadet, président de NGE (lire numéro du 27 septembre 2024, p. 12) . Et d'ajouter : « Nos entreprises ont à réinventer les ouvrages et les réseaux pour y répondre. Nous voulons prendre toute notre part dans cette dynamique qui, de surcroît, s'inscrit en synergie avec nos autres métiers. » Concrétisation de cette orientation stratégique, un nouveau pôle Energies et Télécommunications rassemblant NGE Energies Solutions et Infranet a été créé par le groupe afin de monter en puissance sur ces marchés porteurs et plus largement sur les sujets de décarbonation, de rénovation énergétique et du bâtiment.

Autre entreprise de BTP, Ramery se renforce aussi dans le domaine de l'énergie. Le groupe nordiste a ainsi lancé son entité « Photovoltaïque solutions & services ». Destinée à accompagner de A à Z les entreprises et collectivités dans l'intégration de dispositifs photo voltaïques dans leur patrimoine, « elle offre des services de conception, réalisation, exploitation et maintenance. Elle peut également se positionner en tant que développeur-exploitant avec des solutions de tiers-financement », explique Olivier Romain, directeur général en charge des branches Energie renouvelable et Ingénierie conseil du groupe.

Mais toutes les entreprises de construction ne pourront pas se faire une place sur ce marché porteur. « Prenons le chiffre d'affaires des entreprises membres du Serce, soit 24 Mds € [environ la moitié du marché, NDLR] : plus des deux tiers sont réalisés par les majors, et ce qui reste se partage entre des ETI (aux deux tiers) et des PME (un tiers). Et cette répartition n'a pas vocation à changer dans l'immédiat », estime Yannick Saint Roch. Il estime en effet que, sur les grands projets où l'électrique occupe aujourd'hui une place majeure, les clients s'adressent à des électriciens, pas à des entreprises de pur génie civil. Et d'illustrer son propos : « Lorsqu'un Gafam, quel qu'il soit, s'installe en Europe, il va chercher des spécialistes du génie électrique ou climatique. Cette tendance oblige ces derniers à se structurer pour monter au premier rang lorsqu'ils répondent sur ces projets. »

Les leaders se déploient au niveau mondial

La part croissante des activités liées à l'énergie dans le chiffre d'affaires global des majors n'a pas véritablement accentué la concentration du marché en France. « Sa consolidation au niveau national a commencé il y a quinze ou vingt ans, même si le dernier événement majeur - la reprise d'Equans par Bouygues en 2022 - peut donner l'impression d'un phénomène récent. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est la politique d'acquisition des entreprises françaises à l'international », note Yannick Saint Roch, directeur général du Serce. Citons le rachat par Eiffage Energie Systèmes de l'allemand Eqos avec ses 459 M€ de chiffre d'affaires (CA) en 2023, ses 43 sites et 1 700 collaborateurs, spécialisé dans les infrastructures énergétiques, les télécommunications et le ferroviaire.

Vinci Energies a, de son côté, acquis 21 nouvelles entreprises hors de France depuis le début de l'année 2024, représentant un CA d'environ 480 M€ en année pleine. « La plus significative est celle - finalisée le 30 septembre dernier - du groupe Fernao (CA pro forma d'environ 260 M€ en 2024), un leader des services de cybersécurité en Allemagne et en Suisse », a rappelé le groupe, lors de la présentation de ses résultats du troisième trimestre. Cette acquisition « permettra à Vinci Energies, à travers sa marque dédiée Axians - 3,6 Mds € de CA en 2023 réalisé dans 38 pays - de renforcer et de compléter ses expertises dans ces deux pays dans les domaines de la cybersécurité, des services informatiques et du cloud. Ces activités, au cœur de la transformation numérique, sont en forte croissance », a expliqué le groupe.

Spie, indépendant et gourmand

Au milieu des majors, Spie conserve vaillamment son indépendance. Sur les neuf premiers mois de l'année, le « pure player » des services multitechniques a enregistré un chiffre d'affaires de 7,13 Mds €, en progression de 13,9 % sur un an. « Cette dynamique demeure soutenue par des tendances structurelles, comme la décarbonation, l'électrification et les solutions d'efficacité énergétique. […] Notre positionnement stratégique nous permet de répondre à l'accélération des activités de transmission et de distribution et il nous assure une excellente visibilité », a expliqué le P-DG de Spie, Gauthier Louette, lors de la présentation des résultats.

Avec une croissance organique de 4,4 % sur la période, le groupe a notamment pu compter sur la vigueur des marchés allemand et néerlandais. Mais ces bons résultats sont également portés par la poursuite de sa stratégie d'acquisitions « bolt-on » - le rachat en série d'entreprises de plus petite taille pratiquant le même métier. Ces différentes opérations ont contribué à hauteur de 578,2 M€ au chiffre d'affaires, apportant 9,4 % de croissance sur les neuf premiers mois de l'année.

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