2. La portée de la trame verte et bleue : réelle, mais restreinte

Urbanisme et environnement -

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La trame verte et bleue constitue le cœur du dispositif de préservation de la biodiversité. Le premier paragraphe de l’article L371-1 du code de l’environnement assigne à la trame six objectifs :

1. Diminuer la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels et habitats d’espèces et prendre en compte leur déplacement dans le contexte du changement climatique ;

2. Identifier, préserver et relier les espaces importants pour la préservation de la biodiversité par des corridors écologiques ;

3. Mettre en œuvre les objectifs visés au IV de l’article L212-1 du code de l’environnement et préserver les zones humides visées aux 2° et 3° du III du présent article ;

4. Prendre en compte la biologie des espèces sauvages ;

5. Faciliter les échanges génétiques nécessaires à la survie des espèces de la faune et de la flore sauvages ;

6. Améliorer la qualité et la diversité des paysages.

La mise en œuvre de la trame verte et bleue a conduit le législateur à l’imposer aux principaux actes d’urbanisme, mais le choix en faveur d’un rapport de prise en compte reflète aussi la volonté de laisser aux autorités publiques la possibilité de composer avec les orientations fixées au niveau national et régional.

Les actes d’urbanisme impactés par la trame

Les deux composantes de la trame (nationale et régionale) ont des répercussions différentes sur les décisions prises en application du code de l’urbanisme.

Les effets des orientations nationales

Élaborées par les services centraux de l’État en association avec le comité national trames verte et bleue composé des principaux acteurs de la préservation des espaces naturels (représentants des collectivités territoriales, des partenaires socioprofessionnels, des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux, des comités de bassin, des associations de protection de l’environnement agréées concernées et des personnalités qualifiées, voir article L371-2 du code de l’environnement), les orientations nationales sont approuvées par décret en Conseil d’État. Elles présentent des choix stratégiques de nature à contribuer à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques et comportent un guide méthodologique explicitant les enjeux de la biodiversité au niveau national et transfrontalier ainsi que les conditions d’élaboration des SRCE (article L371-2 du code de l’environnement).

Ce cadrage national est donc essentiellement destiné à fixer le cap des planifications régionales. Sa portée va néanmoins au-delà. En effet, l’article L371-2 du code de l’environnement impose aux « documents de planification et aux projets relevant du niveau national » d’être compatibles avec les orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques.

La catégorie des documents et projets « relevant du niveau national » n’est pas aisément identifiable. On peut néanmoins admettre sans hésitation que les directives territoriales d’aménagement et de développement durable (DTADD) en font partie et doivent donc être compatibles avec les orientations nationales. Bien que ces documents ne soient appelés à ne couvrir qu’une portion restreinte du territoire national, ils permettent à l’État de formuler des objectifs et des orientations dans les domaines énumérés à l’article L113-1 du code de l’urbanisme pour des espaces qui, précise cet article, présentent des enjeux nationaux.

Les projets relevant du niveau national ne correspondent pas non plus à un type de décision d’urbanisme bien identifié, à l’exception des grands projets d’infrastructures linéaires de l’État et de ses établissements publics expressément visés par la loi. Leur impact sur la faune et la flore est régulièrement dénoncé. De tels projets sont dispensés d’autorisation d’urbanisme (article R421-3 b du code de l’urbanisme). Ils peuvent cependant être qualifiés de projets d’intérêt général en application de l’article L121-9 du code de l’urbanisme ou donner lieu à une déclaration de projet (article L300-6 du code de l’urbanisme) afin de faciliter l’évolution des documents locaux d’urbanisme. Ces décisions ne sauraient donc s’écarter des orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques.

Les opérations d’intérêt national (OIN) prévues par les articles L121-2 et L121-9-1 du code de l’urbanisme, dont la liste figure à l’article R121-4-1 du même code, entrent également dans la catégorie des projets relevant du niveau national. La stratégie d’aménagement définie dans le cadre de ces opérations, en particulier celle établie par les établissements publics d’aménagement en charge de leur mise en œuvre, doit donc respecter le cadrage national en matière de biodiversité. On peut toutefois douter de l’existence d’une obligation de compatibilité entre les orientations nationales et chacune des décisions d’urbanisme prise dans le périmètre d’une OIN.

Les effets des schémas régionaux de cohérence écologique

C’est essentiellement sur les documents-cadres régionaux que le législateur mise pour parvenir à « enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural » (objectifs de la trame verte et bleue définis à l’article L371-1-1 du code de l’environnement). Le SRCE est élaboré conjointement par la région et l’État en association avec un comité régional trames verte et bleue composé des acteurs locaux de la protection de l’environnement (représentants des départements, des groupements de communes compétents en matière d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme, des communes concernées, des parcs nationaux, des parcs naturels régionaux, des associations de protection de l’environnement agréées concernées et des partenaires socioprofessionnels intéressés). Il comporte principalement un état des lieux, un volet identifiant les espaces naturels, les corridors écologiques ainsi que les cours d’eau, parties de cours d’eau, canaux ou zones humides importants pour la préservation de la biodiversité, une cartographie de la trame verte et de la trame bleue ainsi que des mesures d’accompagnement. Le projet de document fait l’objet d’une enquête publique avant d’être soumis à délibération du conseil régional et approuvé par le préfet de région.

L’article L371-3 du code de l’environnement prévoit que les documents de planification et les projets publics prennent en compte les SRCE. Les Scot et les PLU sont principalement concernés compte tenu de leur impact sur l’aménagement de l’espace. Ils doivent donc respecter les orientations du SRCE. Les dispositions du code de l’urbanisme qui définissent le contenu de ces documents, en partie réécrites par la loi du 12 juillet 2010, le prévoient expressément (articles L122-1-12 et L123-1-9 du code de l’urbanisme).

Cette exigence doit toutefois être interprétée à la lumière du troisième alinéa de l’article L111-1-1, du code de l’urbanisme, dans sa version « grenellisée », qui redéfinit les relations entre les normes d’urbanisme. La hiérarchie des documents d’urbanisme s’organise désormais à partir du Scot qui en constitue le pivot. Un pivot qui fait obstacle à l’opposabilité directe des planifications sectorielles au PLU conformément au principe de compatibilité limitée. Ainsi, le SRCE s’impose directement au Scot mais pas au PLU. Il ne produit d’effets à l’égard des PLU que par l’intermédiaire du Scot qui l’a pris en compte. Les PLU doivent traduire à leur échelle les mesures en faveur de la biodiversité que le Scot a déduites du SRCE. Ce n’est qu’en l’absence de Scot que le PLU est tenu de prendre en compte, sans intermédiaire, le schéma régional.

Les DTADD et les cartes communales sont également soumises au SRCE. Les dispositions du code de l’urbanisme qui les concernent ne le prévoient pas expressément mais l’article L371-3 du code de l’environnement qui soumet aux SRCE l’ensemble des documents de planification les inclut nécessairement. Les cartes communales, qui n’entrent pas dans le champ d’application du troisième alinéa de l’article L111-1-1 du code de l’urbanisme, doivent d’ailleurs à la fois tenir compte du SRCE mais aussi être compatibles avec les dispositions du Scot en matière de biodiversité.

L’article L371-3 du code de l’environnement prévoit en outre que la trame régionale doit être prise en compte par les projets publics. Il peut s’agir de tout type de projet d’aménagement, d’infrastructure et de construction. Toutefois, la loi ne vise que les projets publics, ce qui signifie que le SRCE n’est pas opposable aux tiers. Il n’a pas à être appliqué lors de la délivrance d’une autorisation d’urbanisme à un opérateur privé. Le libellé de l’article L371-3 suggère qu’il puisse l’être aux autorisations demandées par une personne publique. Il est malgré tout peu probable que le juge retienne une telle interprétation qui conduirait à opérer une discrimination entre les pétitionnaires publics et privés, qui n’aurait pas de véritable justification. La notion de projet public paraît plutôt correspondre aux opérations d’aménagement au sens de l’article L300-1 du code de l’urbanisme ainsi qu’aux travaux de réalisation d’équipements publics d’infrastructure. Les décisions prises dans ce cadre, par exemple celles relatives à la création ou à la réalisation des ZAC, doivent prendre en compte le SRCE.

Le choix d’un rapport de prise en compte pour assurer la mise en œuvre des srce

Pour déterminer la portée du SRCE à l’égard des planifications et des projets publics, le parlement a hésité entre deux types d’obligations : une obligation de compatibilité ou une obligation de prise en compte. Il a finalement retenu l’obligation de prise en compte en exigeant toutefois la compatibilité des documents et projets d’envergure nationale avec les orientations nationales.

Le rapport de prise en compte est porteur de véritables contraintes. Les débats parlementaires ont clairement fait apparaître que législateur a voulu rendre les SRCE opposables à certaines décisions, notamment des décisions d’urbanisme. Il n’a pas souhaité faire de la déclinaison régionale de la trame verte et bleue une planification purement indicative.

L’article L371-3 du code de l’environnement donne quelques indications sur la nature des effets de la trame régionale. Il prévoit que les documents de planification et les projets de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements publics « précisent les mesures permettant d’éviter, de réduire et, le cas échéant, de compenser les atteintes aux continuités écologiques que la mise en œuvre de ces documents de planification, projets ou infrastructures linéaires est susceptible d’entraîner ».

Le dispositif législatif rejoint l’interprétation que le juge administratif a déjà pu faire de la notion de prise en compte. Dans un arrêt relatif à l’article L212-1 du code de l’environnement qui dispose que certaines décisions administratives prennent en compte les schémas d’aménagement et de gestion des eaux, le Conseil d’État a estimé « qu’il résulte de ces dispositions que les décisions administratives prises au titre de législations distinctes de celle de l’eau ne doivent pas, en principe, s’écarter des orientations fondamentales du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux sauf, sous le contrôle du juge, pour un motif tiré de l’intérêt de l’opération envisagée et dans la mesure où ce motif le justifie » (Conseil d’État, 28 juillet 2004, Association de défense de l’environnement, n° 256511). La loi s’inspire de ce raisonnement. Elle reconnaît au SRCE un caractère obligatoire tout en tolérant certains écarts puisqu’elle envisage expressément les conséquences des atteintes aux continuités écologiques entraînées par la mise en œuvre des planifications et des projets d’aménagement. Ces atteintes doivent impérativement faire l’objet de mesures de compensation. Les autorités compétentes sont donc tenues de respecter les objectifs essentiels de la trame verte et bleue et ne peuvent s’en éloigner qu’à la double condition que l’intérêt du projet le justifie et que toutes les mesures soient prises pour en contrebalancer les effets négatifs sur l’écosystème. La portée des SRCE est donc réelle mais restreinte. Le choix en faveur du rapport de prise en compte manifeste la volonté de laisser une marge d’appréciation aux porteurs de projet. En renonçant au rapport de compatibilité en dépit de la souplesse qui lui est inhérente, les parlementaires ont voulu éloigner le spectre d’un maillage écologique trop rigide, susceptible de compromettre la réalisation des projets d’aménagement sans arrangement possible.

Les craintes du législateur se sont également exprimées dans l’obligation faite aux collectivités territoriales et à leurs groupements de prendre en compte les SRCE « lors de l’élaboration ou de la révision de leurs documents d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme » (article L371-3, al. 8 du code de l’environnement).

Une précision qui a deux conséquences importantes pour les autorités locales. En premier lieu, toute évolution d’un document d’urbanisme réalisée au moyen d’une autre procédure que la révision, à laquelle il faut assimiler la révision simplifiée, n’impose pas la prise en compte de la trame. C’est notamment le cas de changements réalisés par la voie de la modification ou de la modification simplifiée. Le schéma régional produit ses effets à l’égard du Scot ou du PLU essentiellement lorsque les autorités compétentes décident de faire évoluer en profondeur les orientations de leur document. En second lieu, l’adoption d’un SRCE comme sa révision n’exigent pas l’adaptation des documents d’urbanisme dans un délai déterminé. En effet, ce n’est que lorsqu’un Scot ou un PLU doit être rendu compatible avec un document supérieur approuvé postérieurement que les autorités locales disposent d’un délai de trois ans pour adapter leur document. Rien n’est prévu pour les documents devant être simplement pris en compte. Cette prise en compte doit en principe intervenir à la première révision qui suit l’adoption ou la révision du SRCE, donc, éventuellement, très tardivement.

Toutes les précautions semblent avoir été prises pour que les trames vertes et bleues ne constituent pas un obstacle incontournable au développement local.

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