Près d’un an après la catastrophe de Gênes, le 24e colloque Le Pont organisé par le Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et de renforcement des structures (Stress) les 15 et 16 octobre 2019 est revenu sur des cas célèbres de défaillances d’ouvrages dans le monde.
Le « cas Morandi » n’est en effet pas isolé. Le 25 janvier 2018, le pont haubané de Chirajara, en Colombie, s’effondrait de façon spectaculaire, faisant dix morts. Récemment, le 1er octobre 2019, le tablier d’un pont de 140 m de long à Nanfangao, sur la côte est de Taiwan, s’est retrouvé dans la baie du port de pêche qu’il permettait à l’origine de traverser.
Comprendre la cause
Depuis environ vingt ans, une science s’attèle à comprendre les causes de ces effondrements : « l’ingénierie forensique ». Cette discipline, très développée dans les pays anglo-saxons, est pour le moment moins répandue en France.
Jonathan GM Wood, un ingénieur civil anglais, est venu partager ses connaissances du domaine avec les participants du colloque. « Il est important de revenir rapidement sur l’échec qui a conduit à la catastrophe. Or, la triste réalité, c’est que les résultats de l’enquête sont rarement dévoilés au grand jour. La catastrophe continue d’alimenter les spéculations. Les normes réglementaires, elles, ne sont revues qu’une dizaine d’années plus tard », a regretté l’expert.
Prise de conscience
En matière d’ingénierie forensique, l’exemple Morandi pourrait toutefois devenir un cas d’école. Si d’autres défaillances ont suivi le cas italien, l’événement a eu un retentissement particulier. « Cet effondrement a créé un choc qui a conduit de nombreux pays à se poser la question de l’entretien de leurs ouvrages d’art », analyse Michel Virlogeux, ingénieur des ponts et chaussées, également concepteur du célèbre viaduc de Millau.
En France, le retentissement médiatique de la catastrophe a été tel qu’il a conduit à la rédaction d’un rapport d’enquête sénatorial sur le sujet. Rassemblé lors de ce 24e colloque, le monde du génie civil a applaudi et salué un texte « sans langue de bois ». « J’ai lu le rapport, mais cela fait en réalité vingt ans que nous le répétons, et que nous répétons que le parc d’ouvrages français a besoin d’être entretenu », a asséné Rémi Loloum, l’animateur de la journée.
Capitaliser les connaissances
Vieillissant, le parc des ouvrages hexagonaux, dont une bonne partie a désormais franchi le seuil fatidique des 70 ans, n’est pas à l’abri d’un « nouveau Gênes ». Mais son inventaire et sa rénovation nécessitent des moyens financiers conséquents, alors que les collectivités locales souffrent des manques de moyens financiers qui leur sont allouées.
Trop souvent, les archives qui permettraient de suivre l’état d’un ouvrage ont même été perdues. Dans ce contexte, il est difficile d’effectuer un suivi en bonne et due forme d’un ouvrage, encore plus de prévenir un éventuel effondrement. « Cette perte de documents a un coût énorme, et cela complique la tâche des entreprises qui doivent intervenir », déplore Pascale Dumez, présidente de l’association Ingénierie de maintenance du génie civil (IMGC).
Un marché en plein essor
De l’autre, les services de l’Etat et les bureaux d’études, eux, voient leur activité accélérer. « Nous formons des personnels en ce moment même car les besoins en réparation s’accroissent. Nous allons devoir monter en charge dans ce domaine industriel », prédit la présidente.
Depuis quelques années, en parallèle à l’ingénierie forensique, une autre discipline connaît un bel essor. Jusqu’à présent réservée aux ponts de grande envergure, la surveillance des ouvrages ou « monitorings » se démocratise de plus en plus pour être utilisée sur des plus petits ouvrages.
Michel Virlogeux a toutefois tenu à rappeler que ce suivi, aussi intéressant soit-il, « nécessite d’avoir des personnes compétentes pour effectuer cette analyse ». « Il m’est arrivé d’obtenir les résultats d’un de ses monitoring que personne sur un chantier ne pouvait interpréter. Ils ont fini à la poubelle ! » se souvient l’ingénieur.