Un coup d’épée dans l’eau ! La requête portée par les associations Agir pour l’Environnement, Attac Tarn et Les Vallons contre le contrat de concession conclu entre l'Etat et la société Atosca pour l'autoroute A69 devrait très probablement être rejetée par le Conseil d’Etat, sans même que la Haute juridiction n’ait à se prononcer sur le fond de l’affaire. Les trois associations contestaient la durée de 55 ans fixée pour l’exécution de la concession, qui serait excessive selon elles.
Une clause réglementaire ou non ?
Mais leurs demandes ont achoppé sur une question juridique éminemment technique et inédite, comme l’a souligné le rapporteur public lors de l’audience mercredi 14 mai 2025: la clause relative à la durée d’une concession peut-elle être qualifiée de clause réglementaire ? Si oui, la requête des associations pourra être examinée dans le détail par le Conseil d’Etat. Dans le cas contraire, la Haute juridiction devra la rejeter avant même de se prononcer sur le caractère excessif ou non de la durée de la concession.
Recours pour excès de pouvoir ...
Le nœud du problème réside dans la nature du recours exercé par les associations. Elles ont saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir, non pas directement contre le contrat mais contre plusieurs décisions par lesquelles l’Etat a rejeté (sans même y répondre, silence valant rejet implicite) leur demande formulée en avril 2024 visant à obtenir l’abrogation de l’article 29 du cahier des charges de la concession qui fixe sa durée à 55 ans. Une telle abrogation devant conduire, espéraient les associations, à la résiliation pour motif d'intérêt général de la concession, actant alors l'arrêt définitif du projet de l'A69.
Mais s’agissant d’un contrat administratif, le recours pour excès de pouvoir n’est ouvert que contre les clauses du contrat qui revêtent un caractère réglementaire. « Les clauses réglementaires d’un contrat administratif suivent le régime contentieux des actes réglementaires », a rappelé le rapporteur public, précisant qu’une demande d’abrogation contre de tels actes peut intervenir à tout moment.
... ou recours « Tarn-et-Garonne »
Les autres clauses du contrat, qualifiées de « clauses contractuelles », ne peuvent faire l’objet que du recours en contestation de leur validité dit « Tarn-et-Garonne » dans un délai de deux mois suivant la publication du contrat. En l’occurrence, la concession de l’A69 ayant fait l’objet d’un décret d’approbation publié au « Journal officiel » le 22 avril 2022, ce délai était donc déjà largement dépassé lorsque les associations ont lancé leur action en 2024. Ce qui explique qu'elles aient été contraintes d'agir de manière indirecte contre le contrat par la voie du recours pour excès de pouvoir, qui n'a pas de bornes temporelles mais est plus restreint quant aux clauses pouvant être contestées.
Pas de lien avec l’organisation et le fonctionnement du service
Le rapporteur public, dont les conclusions sont suivies dans la très grande majorité des cas par la formation de jugement, a considéré que la clause fixant la durée d’un contrat de concession n’est pas une clause réglementaire.
Pour étayer sa démonstration, il s’est notamment appuyé sur la décision « Commune de Val d’Europe » rendue par le Conseil d’Etat en 2018 (CE, 9 février 2018, 409952, publié au recueil Lebon). Il avait été jugé que « revêtent un caractère réglementaire les clauses d'un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public ». Or, « une clause sur la durée ne change rien à l’organisation ou au fonctionnement du service », a estimé le rapporteur public.
Une clause financière
En 2018, le Conseil d’Etat avait aussi précisé que les clauses d’une concession relatives à son régime financier « sont dépourvues de caractère réglementaire et revêtent uniquement un caractère contractuel ». Faisant application de cette règle, le rapporteur public a considéré que la durée d’une concession étant fonction de l’amortissement des investissements mis à la charge de son titulaire, elle relève donc du régime financier du contrat.
La décision « Commune de Val d’Europe » portait déjà sur une concession d’autoroute. Le Conseil d’Etat a reconnu le caractère de clause réglementaire à celles qui définissent l’objet du contrat, les règles de desserte, les conditions d’utilisation des ouvrages et les tarifs des péages applicables. La Haute juridiction ne s’était pas prononcée sur la durée.
Clause réglementaire ou clause contractuelle ?
Le rapporteur public a également précisé la distinction entre clause réglementaire et clause contractuelle. Les premières sont celles qui ont « une raison d’être que le service soit délégué ou assuré en régie ». Les secondes sont celles qui n’ont pas « de sens lorsque le service est assuré directement par la puissance publique ».
A cet égard il a relevé que « si l’autoroute A69 était exploitée directement par l’Etat il n’y aurait pas besoin de prévoir de clause sur la durée d’exécution du service ».
Pas d’impact direct sur les usagers
Dernier argument du rapporteur public, le principe issu d’une décision du Conseil d’Etat de 2009 (CE, 8 avril 2009, Association Alcaly, n°290604, publié au recueil Lebon) selon lequel « les clauses réglementaires d’un contrat sont par nature divisibles de l’ensemble du contrat » notamment car elles ont vocation à intéresser les rapports entre le concessionnaire et les usagers du service.
Or tel n’est pas le cas de la clause sur la durée qui n’est pas « constitutive de la bonne exécution du service pour les usagers », mais est seulement « consubstantielle à l’engagement des parties », a souligné le rapporteur public.
Décision dans les prochaines semaines
Le Conseil d’Etat rendra sa décision dans les prochaines semaines. A noter que s’il devait juger dans le sens contraire des conclusions du rapporteur public, il ne serait toutefois pas en mesure de se prononcer d’ores et déjà sur le caractère excessif ou non de la concession de l’A69. « L’affaire devrait être renvoyée en instruction, les éléments transmis ne permettant pas de trancher en l’état », a indiqué le rapporteur public.