La décision était attendue : suivant les conclusions de la rapporteure publique, le tribunal administratif de Toulouse a décidé d'arrêter le projet de liaison autoroutière A69 entre Castres et Toulouse.
« L'arrêté du 1er mars 2023 par lequel les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn ont délivré à la société Atosca une autorisation en vue de la réalisation des travaux de la liaison autoroute entre Verfeil et Castres, dite A69 » est « annulé », indique précisément la notification du tribunal aux parties.
« Au vu des bénéfices très limités qu’auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il n’est pas possible de déroger aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées », explique le TA. Ces dérogations, jugées « illégales » par le tribunal constituaient en effet la base des autorisations préfectorales ayant permis le lancement du chantier.
Les conditions pour une dérogation au droit de l'environnement pas réunies
Rappelant que la dérogation n'était possible que si trois conditions - maintien des espèces protégées, pas de solution alternative, raison impérative d’intérêt public majeur - étaient réunies, le tribunal administratif a estimé que le projet ne répondait pas à la dernière condition car les bénéfices économiques, sociaux et de sécurité publique étaient « trop limités ».
Dès lors « l’A69 et l’élargissement de l’A680 n’ayant que des bénéfices de portée limitée, il n’y a pas de nécessité impérieuse à les réaliser, et les arguments présentés en faveur de ces projets ne justifient pas qu’il soit dérogé à l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages », a conclu le tribunal. La dérogation qu'avait obtenue le concessionnaire portait sur cinq spécimens d'espèces végétales et 157 spécimens d'espèces animales protégées, rappellent les juges.
C'est la première fois en France qu'une infrastructure routière d'une telle importance est interrompue par un jugement, et non par une décision politique, comme l'abandon du projet d'A45 Lyon/Saint-Etienne en 2018.
Sécuriser le chantier
Conséquence immédiate : le chantier doit s'arrêter. A Castres, les engins étaient rangés à la mi-journée, contrairement à l'habitude, a constaté un journaliste de l'AFP, qui a vu une petite pelleteuse en train d'être hissée sur un camion, à quelques dizaines de mètres du site où des « écureuils » occupent encore un arbre marqué pour être abattu.
Il faut maintenant stabiliser des ouvrages en cours de réalisation, protéger ceux déjà édifiés, surveiller des matériels entreposés ou encore installer des clôtures autour des bassins et fossés ouverts. Cette sécurisation du chantier, ajoutée à l'application des clauses de suspension du contrat, coûtera plusieurs millions d'euros expliquaient avant le verdict le concessionnaire, Atosca, et l'Etat. Ce dernier a annoncé sa décision de faire appel « en demandant un sursis à exécution de la décision du tribunal administratif ».
L'Etat au soutien
Entre autres arguments de soutien au projet, l'Etat rappelle que « la liaison a été déclarée d’utilité publique en 2018 », « qu’elle bénéficie d’un large soutien local » ou encore que les travaux ont pu démarrer en mars 2023 « à la suite de l’obtention de l’ensemble des autorisations prescrites par la réglementation et, jusqu’à ce jour, confirmées par toutes les décisions de justice, soit six décisions favorables au projet depuis le début des travaux ».
300 M€, soit les deux tiers du coût de la construction, ont été engagés sur le chantier jusqu’à présent. « 70 % des ouvrages d'art sont réalisés, la fin des travaux est prévue en fin d’année, et la justice sonne maintenant l’arrêt du chantier… Quel sens du timing ! On marche sur la tête ! », a réagi le président du conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond, « atterré par cette situation ubuesque ». « Cela fait 40 ans que le sud du Tarn réclame son désenclavement pour être relié à la métropole toulousaine. Cette liaison est vitale pour notre territoire », ajoute-t-il dans son communiqué.
De son côté la FNTP a dénoncé un « scandale démocratique » et s'est « indignée de la décision du tribunal administratif de Toulouse, qui donne raison à une poignée de militants radicaux contre l’avis de l’Etat et de l’ensemble des collectivités concernées ». Plus grave, pour Alain Grizaud, son président, « cette décision vient aujourd’hui mettre en péril l’avenir de l’ensemble des projets d’infrastructures en France. Quel acteur économique pourrait raisonnablement s’engager dans un nouveau projet, en sachant que ce dernier peut se retrouver remis en question du jour au lendemain ? » se demande-t-il.
TA de Toulouse, 27 février 2025, n° 2303830
Atosca va chercher à « limiter les impacts de cette décision »
Dans un communiqué Atosca a déclaré « prendre acte de la décision ». « Dès lors que le Tribunal administratif de Toulouse vient d’annuler l’autorisation environnementale en s’interdisant de reconnaître une raison impérative d’intérêt public majeur au projet, Atosca prend acte de l’impossibilité de poursuivre les travaux et de l’intention de l’Etat d’engager "toutes les voies de recours permettant la reprise du projet dans les meilleurs délais possibles et dans le respect de la réglementation"», écrit le concessionnaire. Qui assure qu'il mettra dans l’intervalle, « tout en oeuvre à court terme pour limiter les impacts de la décision de justice sur le millier de personnes pour la plupart originaires du Tarn et d’Occitanie employées sur le chantier, en préservant avant tout leurs droits et leur sécurité dans un contexte exceptionnel au regard de l’ampleur des travaux déjà réalisés ».
« Nos équipes de construction, les entreprises locales et les sous-traitants sont engagés depuis bientôt 2 ans pour construire une infrastructure attendue et soutenue depuis des décennies. Nous avons répondu à une commande de l’Etat après qu’il a retenu notre proposition, jugée la meilleure. Depuis, nous n’avons cessé d’améliorer notre offre. Au total, près d’un quart de l’investissement du projet a été consacré à la préservation de l’environnement. Ce projet d’utilité publique s’inscrit dans nos missions et est une fierté pour toutes les parties prenantes qui contribuent à ce chantier au service de la sécurité, de l’emploi et de l’avenir du Sud du Tarn », a déclaré Martial Gerlinger, directeur général d’Atosca.