Les maires des grandes villes de France réfléchissent au devenir des métropoles en mettant l'accent sur la notion de « ville-monde ». L'association qui réunit ces grands édiles en a fait le thème central de sa récente conférence annuelle (1). Qu'en est-il ?
Ce rapprochement un brin paradoxal des mots ville et monde a d'évidence pour fonction de souligner la dialectique du local et du global qui met sous tension les grandes agglomérations françaises voulant exister avec un rang international. S'en remettant aux préconisations du marketing territorial, elles promeuvent leur ouverture et leur capacité à accueillir. Elles se mettent en quatre pour attirer à elles tout type d'activités susceptibles de contribuer durablement au développement économique des grands ensembles urbains qu'elles constituent.
L'expression « ville-monde » mérite néanmoins d'être discutée. Elle suscite surtout des interrogations légitimes : combien faut-il d'habitants à une grande ville pour atteindre ce grade ? Quelles sont les qualités lui conférant ce statut mondialisé ? Et, après tout, à l'heure d'Internet, pourquoi certains villages ne pourraient-ils pas devenir aussi des « villages-monde » ?
Au registre des critères, le nombre d'habitants offre à lui seul un vaste champ de discussion.
Ainsi, dans l'actuel projet de loi pour réformer les collectivités territoriales, le seuil fixé pour la création de métropoles est de 450 000 habitants. Or, le maire de Grenoble, Michel Destot, qui préside l'Association des maires des grandes villes de France, estime que « c'est trop ou pas assez : soit la taille métropolitaine est fondée sur une base exclusivement démographique, et il ne faut retenir que Paris, Lyon, Marseille et Lille. Soit l'idée de métropolisation s'inscrit dans une démarche dynamique, et il faut descendre le curseur à 400 000 ou 300 000 habitants pour des agglomérations qui mènent véritablement des politiques d'attractivité ambitieuse » (2).
Certes, la correction qualitative du seul critère quantitatif paraît justifiée : le couperet d'un chiffre ne peut suffire à classer une agglomération dans une catégorie plutôt que dans une autre. Cependant, si le seuil même au-delà duquel une métropole peut être considérée comme constituée pose question, alors cela montre les limites de la prise en compte politique du fait métropolitain. Lequel suppose des organisations nouvelles dont l'avènement bute sur les réalités du terrain.
Les blocages institutionnels qui pourraient affecter la progression de la construction d'un Grand Paris Métropolitain, après la consultation des architectes, ressortissent bel et bien de cette introuvable (pour l'instant) convergence vers une nouvelle organisation des pouvoirs locaux. La négociation de cette convergence suppose des compromis historiques. Elle est urgente - et pas seulement dans l'agglomération parisienne - parce que des risques graves existent un peu partout. En l'absence d'avancées notables, se creuseront durablement les fossés déjà larges entre des centres dynamiques et de vastes délaissés. Les uns en connexion avec le monde. Les autres en connexion avec eux-mêmes.
La ville de demain sera acceptable si les processus de ghettoïsation trop souvent à l'œuvre sont maîtrisés puis contrés par une volonté politique sans faille. Pour y parvenir, les élus et tous les professionnels de la ville ne peuvent se contenter du catalogue de bonnes intentions généralement résumé par l'expression mixité sociale. Celle-ci ne se décrète pas mais se construit à condition notamment d'Agir sur les grands territoires, titre d'un livre (3), cosigné par l'urbaniste Ariella Masboungi et l'architecte David Mangin, dans lequel auteurs et contributeurs s'assignent l'objectif d'inciter à penser les territoires suburbains comme des « lieux à projets » et tentent de prouver qu'« aucun territoire n'est désespéré ».
Dans la postface de ce livre, Laurent Théry, directeur général de la SAMOA (4), propose pour aborder les grands territoires « d'abandonner toute vision normative », notamment parce que, pense-t-il, « il s'agit davantage d'un champ d'expérimentation que de planification et d'institutionnalisation ». Notons cependant que ces trois mots - expérimentation, planification et institutionnalisation - déterminent des grands axes vers lesquels doivent se focaliser les efforts de tous ceux qui croient aux potentiels civilisateurs de la ville dans une perspective de développement durable. C'est bien sûr le grand enjeu du XXIe siècle. Et, dans cette perspective, avant peut-être des « villes - monde », ce sont d'autres notions qui prévalent. Des villes ouvertes. Des villes perméables. Des villes poreuses. Des villes écologiques. Des villes plurifonctionnelles. Et aussi des villes-territoire. En somme, des villes universelles.