Décryptage

Agrivoltaïsme : le cadre réglementaire qui va permettre « d’enclencher la machine » est paru

Prévu par la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables, le texte paru ce 9 avril au « Journal officiel » pose le cadre de deux activités : d’une part, l’agrivoltaïsme, et d’autre part le développement de projets photovoltaïques au sol sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers. Le gouvernement attend un « afflux massif » de dossiers dans les prochains mois. Décryptage du décret du 8 avril 2024.

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agrivoltaïsme
Le décret posant le cadre du développement de projets agrivoltaïques est paru.

Faire cohabiter agriculture et production d’énergie solaire. Tel était l’un des objectifs de la loi du 10 mars 2023 (art. 54 - art. L. 314-36 et s. du Code de l’énergie). Mais pas si simple de faire se rencontrer deux mondes qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Aprement discuté entre l'administration, les énergéticiens et le monde agricole, son décret d’application « relatif au développement de l'agrivoltaïsme et aux conditions d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers » est finalement publié ce 9 avril 2024.

Agrivoltaïsme, la priorité donnée à la production agricole

Le texte offre un « cadre consensuel pour enclencher la machine », rapporte le cabinet de Roland Lescure, titulaire du portefeuille de l'Industrie et de l'Energie à Bercy.

La première partie du texte est consacrée à l’agrivoltaïsme - désormais codifié aux articles R. 314-108 et suivants du Code de l’énergie - qui « implique de donner, sur les terrains exploités, la priorité à la production agricole sur la production d’énergie », insiste le cabinet du ministre.

Le décret vient préciser les termes introduits par la loi. Ainsi, les services devant être apportés à l’activité agricole par les projets agrivoltaïques (amélioration du potentiel et de l’impact agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas et amélioration du bien-être animal) y sont définis, tout comme la notion de production agricole significative et de revenu durable en étant issu.

Production significative

Dans le cas des cultures par exemple, la production agricole est considérée comme significative, si la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle « est supérieure à 90 % de la moyenne du rendement par hectare observé sur une zone témoin ». Le préfet du département peut réduire cette proportion « soit, sur demande dûment justifiée, pour un projet soumis à des événements imprévisibles, soit si l'installation agrivoltaïque permet une amélioration significative et démontrable de la qualité d'une production agricole ».

Des dérogations à l’obligation de se référer à une zone témoin sont prévues : taux de couverture inférieur à 40 % et incapacité technique pour l’exploitant de créer une zone témoin ; taux de couverture inférieur à 40 % et existence d’une installation similaire au niveau départemental ou régional et comportant une zone témoin ; utilisation de technologies agrivoltaïques éprouvées listées par un arrêté ministériel sur proposition de l’Ademe.

L'activité agricole doit rester l’activité principale

Le décret détaille également les modalités garantissant que l’activité agricole reste l’activité principale de la parcelle. Deux conditions doivent être réunies :

- la superficie qui n'est plus exploitable du fait de l'installation agrivoltaïque ne doit pas excéder 10 % de la superficie totale couverte par ladite installation ;

- la hauteur de l'installation agrivoltaïque ainsi que « l'espacement inter-rangées » doivent permettre une exploitation normale et assurer entre autres la circulation, la sécurité physique et l'abri des animaux ainsi que, si les parcelles sont mécanisables, le passage des engins agricoles.

Taux de couverture des sols fixé à 40 %

Dans le même esprit, pour les installations de plus de 10 MW crête, le taux de couverture des sols par l’installation agrivoltaïque ne doit pas excéder 40 %.  Ce taux de 40 % est un seuil maximal, explique le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire : « On considère qu’au-delà de 40 % de taux de couverture, le rendement agricole a de fortes chances de baisser. » Pour autant, « ce seuil n’est pas gravé dans le marbre : si la démonstration est faite de la compatibilité de certains types de culture avec un taux de couverture supérieure, les technologies agrivoltaïques dites éprouvées pourraient permettre de le rehausser dans ces cas spécifiques. » Un arrêté ministériel fixera alors « la valeur maximale de taux de couverture pouvant permettre de garantir que la production agricole reste l'activité principale de la parcelle. »

En pratique, « le maintien de la production agricole sera contrôlé et mesuré par différents moyens par les directions départementales des territoires (DDT), dont la comparaison aux rendements observés sur des parcelles témoin », indique le ministère.

Projets photovoltaïques sur des terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière

La deuxième partie du décret définit le cadre de développement des projets photovoltaïques sur terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière (art. R. 111-56 et suivants du Code de l’urbanisme). Rappelons que ces projets ne pourront se développer que sur des terrains identifiés dans un document-cadre départemental établi par les préfets sur proposition de la chambre d’agriculture et après consultation de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) (art. L. 111-29 du Code de l’urbanisme).

A noter que les chambres départementales d'agriculture ont jusqu’au 9 janvier 2025 pour transmettre leur proposition de document-cadre au préfet.

Sols incultes

Le texte définit les modalités d’élaboration de ce document cadre et apporte des précisions sur les terrains pouvant y être identifiés. Il ne pourra s'agir que de sols réputés incultes ou non exploités depuis une durée minimale de 10 ans.

Est considéré comme inculte un sol dont soit « l’exploitation agricole ou pastorale y est impossible au regard du territoire environnant en raison de ses caractéristiques topographiques, pédologiques et climatiques ou à la suite d'une décision administrative », soit il n'entre dans aucune des catégories de forêts définies par arrêté ministériel comme présentant de forts enjeux de stock de carbone, de production sylvicole ou d'enjeux patrimoniaux sur le plan de la biodiversité et des paysages.

Terrains potentiels

Seront ouverts à l’installation de projets photovoltaïques, notamment les anciennes carrières ; les friches industrielles ou les sites pollués ; les anciens aérodromes, les délaissés fluviaux, portuaires, routiers ou ferroviaires, etc. L’idée est de « s’assurer qu’un terrain récemment cultivé ne pourra pas être transformé en champ photovoltaïque au sol », précise le ministère. Le décret dresse aussi la liste des zones et périmètres exclus du document-cadre.

Autorisations d’urbanisme

Les autorisations d’urbanisme nécessaires à la construction des projets agrivoltaïques seront délivrées par le préfet (art. R. 422-2 b bis du Code de l’urbanisme). Les documents et pièces démontrant que le projet (agrivoltaïsme ou installation photovoltaïque sur des terrains agricoles) répond bien aux critères et conditions fixés par le décret devront figurer dans le dossier de demande d’autorisation de construire (art. R. 431-27 du Code de l’urbanisme).

Les autorisations sont délivrées pour 40 ans, prorogeables pour 10 ans « lorsque l'installation présente encore un rendement significatif ».

Démantèlement et remise en état

Le texte détaille également les obligations de démantèlement et de remise en état du site après exploitation. Ces opérations « doivent être réalisées dans un délai d'un an à compter de la fin de l'exploitation de l'installation énergétique ou de la date d'échéance de son autorisation ». Ce délai peut être étendu jusqu'à trois ans en cas de difficultés matérielles tenant à la topographie du terrain et sur avis de la CDPENAF.

Les travaux de démantèlement et de remise en état du site font l'objet d'un rapport établissant un relevé technique du terrain. Ce rapport doit être transmis sans délai à l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme.

En outre, l’arrêté d’autorisation d’urbanisme peut prévoir la constitution, par le bénéficiaire de l’autorisation, de garanties financières destinées à couvrir le coût prévisionnel du démantèlement et de la remise en état en cas de défaillance du propriétaire du terrain. A noter que les installations sur bâtiment ne sont pas soumises à garanties financières.

Contrôles et sanctions

Autre point important du décret : le dispositif de contrôle – préalable à la mise en service puis durant l’exploitation - et de sanctions (mise en demeure, démantèlement, mise en œuvre des garanties financières…) afin de garantir que les caractéristiques imposées aux installations agrivoltaïques soient respectées. L’enjeu est de taille, rappelle l’entourage de Roland Lescure : il s’agit de s’assurer que le porteur de projet qui déploie du photovoltaïque sur un champ en cohabitation avec une activité agricole respecte bien les conditions pour répondre aux impératifs de souveraineté alimentaire. Le projet doit en effet apporter un bénéfice à l’activité agricole : ne pas dégrader les rendements, apporter de l’ombre, protéger la parcelle contre les intempéries, etc. En « cas de fraude avérée, la suspension ou la résiliation du contrat de rachat de l’électricité pourra aussi être mise en œuvre », précise le gouvernement par voie de communiqué.

Ces contrôles sont réalisés par un organisme scientifique, un institut technique agricole, une chambre d'agriculture ou un expert foncier et agricole. L'exploitant de l'installation doit transmettre à l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme le rapport de contrôle établi par cet organisme. Chaque année, l'exploitant d'une installation agrivoltaïque et, le cas échéant, de la zone témoin associée doit transmettre à l’Ademe les informations nécessaires au suivi de la production énergétique et agricole de la parcelle.  Un arrêté, soumis récemment à la consultation du public, est attendu dans les prochaines semaines pour préciser les modalités de contrôle et de sanctions des installations.

Mesures transitoires

Enfin, le décret prévoit des mesures d'application différée. Ainsi, les dispositions s’appliquent :

- aux installations dont la demande de permis ou la déclaration préalable porte sur une installation agrivoltaïque et est déposée à compter du 9 mai 2024 ;

- aux installations photovoltaïques sur des terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière dont la demande de permis ou la déclaration préalable est déposée à compter d'un mois après la publication du document-cadre départemental.

Charte de bonnes pratiques

Le décret étant paru, un afflux massif de projets agrivoltaïques est attendu dans les services dans les prochains mois, estime le cabinet d’Agnès Pannier Runacher. Le travail du gouvernement ne s'arrête pas là pour autant. Une charte de bonnes pratiques va être réalisée avec la filière photovoltaïque et le monde agricole pour identifier ce que pourrait être un développement harmonieux et raisonné d’un projet agrivoltaïque, afin de redonner de la confiance et de fédérer les acteurs.

Des instructions seront également adressées aux services déconcentrés pour accompagner et faciliter l’instruction des projets.

Le gouvernement va aussi travailler avec les chambres d’agriculture en particulier dans l’identification de terrains pour le document cadre. « Ce travail complétera les données de connaissance sur le développement du photovoltaïque dans les territoires, lesquelles seront rendues disponibles sur le portail cartographique des énergies renouvelables ». Et rendez-vous est pris dans un an pour faire le bilan.

Décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l'agrivoltaïsme et aux conditions d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers

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