Analyse

Le ministère de la Transition écologique accusé d’avoir provoqué « une purge » à la MRAe Ile-de-France

La crise provoquée par la démission collective de huit des neuf membres de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) Île-de-France, n’a pas eu de fin heureuse. Une solution avait été trouvée mercredi dernier mais le ministère a finalement fait « volte-face » en refusant de réintégrer les membres associés. Pour plusieurs personnes interrogées, cela démontre la difficulté de l’administration à accepter l’indépendance de ces instances chargées d’évaluer la qualité des études d’impact.

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MRAe
Le ministère de la Transition écologique accusé d'avoir provoqué "une purge" à la MRAE Ile-de-France

Le 16 juillet dernier, huit des neuf membres de la MRAe Île-de-France annonçaient leur « démission collective », dénonçant « neuf mois de dysfonctionnements ». La mission était « entravée dans l’exercice de ses compétences par le retrait de l’autorité fonctionnelle dont elle est supposée disposer sur le service dédié à la préparation des avis de la MRAe », dénonçaient-ils alors.

La démission du président de la mission Philippe Schmit, qui avait choisi d’annoncer son départ sur LinkedIn, et de Sylvie Banoun, tous deux membres de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), a pris effet dès le 21 juillet. Mais les autres membres ont décidé d’assurer « la continuité du service public rendu par la MRAe » en décalant au 15 septembre leur démission afin de tenter de discuter de « propositions concrètes pour une normalisation de la situation ».

Les trois membres associés écartés

Ce 16 septembre, l’un des membres de la MRAe, Denis Bonnelle, a annoncé l’échec des discussions avec le ministère de la Transition écologique, également via LinkedIn, dénonçant une « purge ». Selon nos informations, Guillaume Choisy, président par intérim, a présenté mercredi 10 septembre une feuille de route visant à mettre fin à la situation conflictuelle entre les membres de la MRAe et les fonctionnaires du service de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (Drieat) chargés de préparer les avis. Le lendemain, les membres de la MRAe ont réagi positivement à cette proposition. Mais le vendredi, Guillaume Choisy a annoncé que les trois membres associés (c’est-à-dire les membres désignés en raison de leurs compétences en matière d’environnement) qui souhaitaient rester ne seraient pas reconduits. Il s’agit de Denis Bonnelle, chercheur à l’Institut Pierre-Simon Laplace, de Brian Padilla, écologue au Museum national d’histoire naturelle, et d’Eric Alonzo, professeur à l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est.

Selon Denis Bonnelle, contacté par AEF info, le fait d’avoir parlé à la presse en juillet dernier explique notamment la décision ministérielle. Également joint par AEF info, Brian Padilla évoque la « douche froide » et « l’amertume » qu’il a ressenties le vendredi, « alors que deux jours avant, on voyait des signaux positifs ».

Les membres associés, une « garantie d’indépendance »

Pour plusieurs acteurs, cette crise est un énième symptôme de la grande difficulté des pouvoirs publics à accepter l’indépendance des autorités environnementales. Si celle-ci est protégée par le droit européen, elle n’a été imposée au gouvernement et aux préfets qu’après de nombreux recours de France Nature Environnement (FNE) devant le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne.

Encore en 2016, l’Autorité environnementale pour les plans, programmes et projets locaux était assurée par les préfets. « Le Conseil d’État a tordu le bras du gouvernement » pour qu’il signe le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 créant les MRAe, se souvient un haut fonctionnaire. C’est ce décret qui a introduit deux dispositions clés pour assurer l’indépendance de ces structures : le fait que les fonctionnaires instruisant les dossiers sont « placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale » ; et le fait de nommer systématiquement des « membres associés ».

« Les membres associés sont des garanties d’indépendance », insiste un autre haut fonctionnaire. « Toucher à ces membres, c’est dire : ceux-là sont trop indépendants, ils nous dérangent, je vais en prendre de plus souples. On est dans une reprise en main. »

Selon cette personne, « le dispositif actuel issu de la jurisprudence du Conseil d’État est bancal, car il reste à la merci de la bonne volonté des acteurs ». Tous les spécialistes interrogés par AEF info évoquent l’hypothèse d’une arrivée du Rassemblement national au pouvoir, qui pourrait utiliser ces fragilités pour ruiner une indépendance acquise de haute lutte (et encore, le dossier n’est pas clos, puisque la Commission européenne reproche encore aujourd’hui à la France de faire du préfet, non indépendant, l’autorité environnementale pour certains « cas par cas »).

L’autorité fonctionnelle « minimisée » par l’administration

Denis Bonnelle insiste sur la bonne volonté des membres de la MRAe. « Nous savons que nous sommes dans un contexte de cycle municipal, avec un pic d’activité. On ne demandait pas de multiplier par deux les effectifs, on n’était pas dans du tout ou rien, on était prêt à s’adapter. Mais nous nous référons à l’avis important du Conseil d’État qui ne tolère l’organisation des MRAe telle qu’elle a été décidée qu’à la condition que le président ait l’autorité fonctionnelle sur les agents. En face de nous, l’administration n’a cessé de minimiser ces règles de droit. »

De probables contentieux

Brian Padilla insiste sur le fait que les services de la Drieat, « largement sous-dotés », sont constamment « sous tension », ce qui « met les agents en difficulté ». « Le pôle est en souffrance, il n’est pas en capacité de bien travailler. Mais plutôt que d’avoir les moyens nécessaires, on nous a dit : baissez vos exigences. Or, en Île-de-France, les projets avec des enjeux faibles sont très rares, en raison notamment des problématiques sanitaires. »

Les deux membres associés sur la touche attendent désormais de savoir qui les remplacera. Et quand la nouvelle MRAe sera en capacité de reprendre ses travaux. Ils soulignent également que des contentieux pourraient émerger autour des récents avis rendus sans observation.

L’enquête administrative, évoquée en juillet par le ministère de la Transition écologique, est, elle, toujours en cours. Contacté par AEF info, le ministère n’a pas réagi.

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