Le « chantier de l’espoir » s’est achevé au début de cette année. David Ganahl, directeur du monastère de Saint-Gérold, résume par cette expression l’esprit de la rénovation du monument : une opération de 14M€, confiée à l’architecte autrichien Hermann Kaufmann, figure emblématique de la renaissance de la filière locale du bois construction. « Nous l’avons pensé comme l’expression architecturale de l’encyclique Laudato Si’ du pape François », déclare le porte-parole de la maîtrise d’ouvrage.
Hymne à la nature
Sans surprise, la traduction construite de l’hymne papal à la nature s’alimente dans les forêts locales, riches en sapin blanc, essence longtemps considérée comme incompatible avec les exigences du bâtiment. Le bois emblématique de la Grande vallée des Valaisans (« Grosses Walsertal »), dans le Vorarlberg, land autrichien réputé pour son approche écologique de la construction, s’ajoute à la terre crue. Un matériau qui a fait son retour dans le marché sous la houlette du céramiste local Martin Rauch, pionnier européen de la construction en terre depuis les années 90.
En contrebas des bâtiments conventuels, le vivant et l’inerte conjuguent leur potentiel dans les murs et la charpente du manège hippique. L’ingénieur bois Konrad Merz a donné sa légèreté à la seconde, pour que la beauté de la vallée se diffuse à l’intérieur, jusque dans les âmes des chevaux et des hommes, utilisateurs du lieu à vocation thérapeutique.
Vitrine bénédictine
L’équipement neuf complète une rénovation où le bois règne en maître, dans l’aménagement intérieur. Des lits aux murs des chambres, des couloirs à la salle capitulaire utilisée pour les séminaires, la rigueur des lignes renvoie à la frugalité de la règle bénédictine.
Premier employeur de la vallée avec 35 personnes à plein temps et une programmation culturelle et spirituelle adressée autant aux habitants qu’aux touristes, le monastère offre une vitrine à la marque Bergholz, fédératrice locale des acteurs de la forêt et du bois. Seize entreprises totalisant 180 salariés adhèrent à l’association, aux côtés des six communes qui regroupent 3500 habitants.
Le décollage d’un cluster
« L’impulsion est venue en 1999 d’un médecin allemand déçu par l’offre du marché pour la construction de sa maison », raconte le menuisier Gottlieb Kaufmann, un des sept fondateurs de Bergholz, à la tête d’une entreprise de 12 salariés à Blons. D’emblée, la marque a soudé tous les maillons de la chaîne : un forestier, un scieur, un charpentier, deux menuisiers, un fabricant de poêles et un consultant qui accompagne la démarche commerciale.

Menuisier à Blons, Gottlieb Kaufmann incarne le cluster bois de la grande vallée des Valaisans depuis 1999.
Le programme européen Leader, dédié à l’économie rurale, a contribué au démarrage de l’association épaulée par les communes. Entretenue par une présence systématique au salon du Bâtiment de Dornbirn, capitale économique du Vorarlberg, l’offre locale trouve un second souffle deux décennies plus tard : les difficultés d’approvisionnement occasionnées par la pandémie suscitent une nouvelle vague d’adhésion à Bergholz.
L’entretien du paysage, socle de la biosphère
Fondateur, l’engagement écologique des membres bénéficie d’un autre événement marquant dans l’histoire de la Grande vallée des Valaisans : l’année de la naissance de la marque du bois local, l’Unesco accorde aux six communes le label de réserve mondiale de la biosphère. Comme un hommage au peuple qui a colonisé le territoire austère au XIIIème siècle, cette reconnaissance cible l’entretien du paysage d’alpages réparti en deux étages, le long des pentes abruptes de la vallée dont l’altitude varie entre 580 et 2700 m.
L’encouragement de la communauté internationale s’adresse aux forestiers payés par le Land. Les parcelles qu’ils entretiennent, pour le compte d’une coopérative locale, contribuent à la prévention des avalanches. La catastrophe du 11 janvier 1954 à Blons a mis en lumière ce rôle : le village déplore 54 des 125 victimes recensées ce jour-là, suite à l’accumulation de deux mètres de neige tombés en une nuit sur un sol chaud, après un début d’hiver exceptionnellement doux.
Gestion écologique des ceintures forestières
Engagée alors, la consolidation des ceintures forestières de protection des villages et des alpages s’inscrit aujourd’hui dans une politique de renouvellement écologique de la ressource. L’entretien de la réserve mondiale exclut les coupes rases. Il privilégie la régénération naturelle, selon le principe des futaies jardinées. Pour favoriser la biodiversité, les forestiers maintiennent les souches en place, dans le cadre d’une planification subventionnée qui prévoit 35 m3 de bois mort par ha. Les randonneurs peuvent vérifier ce résultat aux abords des chemins forestiers.
Pivot du système Bergholz et leader du sciage dans le Vorarlberg avec une production annuelle de 50 000 m3, l’entreprise Erhart tire la qualité de l’offre. « Comme le boucher qui maîtrise l’art de lever les filets, ce scieur sait tirer le meilleur parti de chaque morceau de l’arbre », admire l’architecte et urbaniste Andrea Spoecker. En aval, le menuisier Kaufmann amplifie l’élan : deux ans de séchage naturel amènent le matériau à 17% d’humidité, avant le passage en séchoir qui réduit cette proportion à 8%.
L’emblème contemporain de Saint-Gérold
Parmi les chantiers publics emblématiques qui ont donné à Bergholz ses vitrines locales, le « centre de services aux citoyens » de Saint-Gérold occupe une place de choix, à l’entrée de la vallée. Sur quatre niveaux coiffés par une toiture plate qui bouscule les habitudes locales, le bâtiment abrite l’épicerie communale ouverte tous les matins, les écoles maternelle (13 enfants) et primaire (20) ainsi que la mairie. L’opération a mobilisé 2M€ pour 800 m².
Lauréat du concours d’architecture lancé en 2007 par la commune de 385 habitants, la jeune agence d’architectes Cukrowicz + Nachbaur a dégagé l’espace d’une placette, avec ses bancs et sa fontaine. Rendu possible par la compacité du projet architectural, ce parti donne à l’équipement sa vocation de centralité, dans le tissu urbain dispersé qui caractérise l’habitat rural du Vorarlberg. Il appartient à la première génération de bâtiments passifs des années 2000, avec ses points faibles : l’absence d’ouvrants et le dessèchement de l’air renouvelé par la ventilation double flux.
Locomotive énergétique
Ici, seules les circulations verticales en CLT échappent à la systématisation du sapin blanc de la vallée. Les parquets non traités, y compris dans l’épicerie, valorisent le savoir-faire de la scierie Erhart. L’équipement a donné l’une de ses premières références au système de fixation sans colle ni clou qui contribue au développement du marché : les tourillons. Ces goujons jouent sur le transfert d’hygrométrie pour souder des pièces de bois massif.

Alwin Muller, maire de Saint-Gérold, présente le centre de services communal à Andrea Spoecker, architecte urbaniste.
« Cet équipement a contribué à faire rentrer les six communes de la vallée dans le programme qui valorise l’efficience énergétique dans le Vorarlberg », se réjouit Alwin Muller, édile de Saint-Gérold. La dynamique se prolonge avec l’entrée des mêmes villages dans le réseau européen Alliance pour le climat. Déjà neutre sur le plan énergétique depuis 2014, la Grande vallée des Valaisans s’est fixé un nouvel objectif pour 2030 : l’éradication complète du fuel dans la production de chaleur.