Les échéances sont connues, les objectifs clairs : avec l'interdiction des ventes de voitures thermiques neuves d’ici 2035 et plus de 15 millions de véhicules électriques en circulation en 2035, la France doit s'équiper de 400 000 points de recharge accessibles au public d’ici 2030 (contre 100 000 en 2023) mais également d'IRVE (infrastructure de recharge pour véhicule électrique) à usage privatif, dans les logements collectifs.
Un développement qui doit se faire rapidement mais pas dans le désordre. C'est ce qu'a jugé l'Autorité de la concurrence qui, afin de dresser un panorama du paysage concurrentiel du secteur des IRVE, s’est autosaisie pour avis en février 2023.
A la suite d'une consultation publique (81 réponses, six contributions libres) et de l'étude des travaux des régulateurs sectoriels concernés (la Commission de régulation de l’énergie, CRE, et l’Autorité de régulation des transports, ART), l'Autorité a émis des recommandations à destination des pouvoirs publics, des régulateurs sectoriels et des acteurs.
Des recommandations d’ordre législatif, réglementaire et organisationnel destinées à compléter le cadre juridique dans lequel évoluent les multiples acteurs du marché de la recharge électrique et optimiser l’accompagnement par les pouvoirs publics de ces secteurs en croissance. « La finalité est double : créer les conditions propices à l’émergence d’un secteur concurrentiel et soutenir les consommateurs dans leurs changements d’habitudes de consommation », explique ainsi l'Autorité de la concurrence dans son avis publié le 11 juin.
Du maillage du réseau routier à l'installation dans les coproriétés
Premier angle d'attaque : le maillage. L’instruction menée par l’Autorité a permis de constater la persistance de disparités territoriales dans le déploiement des IRVE. Des disparités qui s’expliquent notamment, selon l'Autorité « par la multitude des donneurs d’ordres, ce qui peut nuire à l’émergence d’une vision d’ensemble».
Multiples donneurs d'ordres mais aussi multiples "fournisseurs". Ainsi, le secteur s'articule entre les opérateurs de recharge (« OdR »), qui installent et exploitent les IRVE et les opérateurs de mobilité (« OdM »), qui proposent des services de recharge à l’utilisateur final, à travers des applications et des badges dédiés ou éventuellement dans le cadre d’un abonnement. Schématiquement, la relation entre les deux s'établit comme suit : les OdM se fournissent auprès des OdR et négocient des tarifs pour leurs clients.
Concernée par les stratégies et les politiques tarifaires de ces acteurs à qui elle adresse par ailleurs des recommandations (voir encadré), l'Autorité insiste sur leur rôle dans le maillage du territoire.
Encadrer les politiques tarifaires
L’Autorité recommande d’imposer aux OdR et aux OdM une tarification de la recharge au kWh (à laquelle pourront s’ajouter, pour les OdR, des frais à la minute et, pour les OdM, les éventuels frais appliqués). Elle recommande également de leur imposer la transmission de ces tarifs au kWh et leur mise à jour en temps réel, par point de recharge pour faciliter l’émergence de comparateurs de prix.
L’Autorité considère que les OdM devraient également être tenus de présenter le prix au kWh par point de recharge (précisant que ce prix est susceptible d’évoluer selon le tarif de l’OdR) et les autres frais applicables.
L’Autorité suggère l’expérimentation sur autoroutes de l’installation de totems affichant le prix de la recharge à l’acte en amont de la station et aux entrées principales d’autoroutes.
Enfin, elle préconise d’obliger les OdR et les OdM à procéder, à la fin de toute session de recharge, à l’affichage instantané du prix effectivement payé par l’utilisateur du véhicule électrique, sur la borne en cas de recharge à l’acte et sur l’application de l’OdM en cas de recharge en itinérance.
Estimant que sans intervention publique ciblée et plus poussée, les zones denses devraient continuer à attirer prioritairement les OdR, compte tenu de leur rentabilité, au détriment des zones peu denses, l’Autorité recommande que soit réalisée une identification plus fine des zones à très faible densité en bornes de recharge et un meilleur ciblage des aides.
Elle préconise par ailleurs de renforcer les moyens du coordonnateur interministériel, via la création d’un organe interministériel, afin d’assurer la coordination entre les différents donneurs d’ordres, la planification et le suivi du déploiement au niveau national, toute puissance confondue, dans le cadre de missions précisément définies.
Et elle invite « les OdR qui réfléchiraient à une mutualisation de leurs investissements pour équiper en IRVE des zones à très faible densité » à engager un dialogue informel avec elle.
Deuxième angle d'attaque : le marché de l'installation et l'exploitation des IRVE accessibles au public. L'Autorité de la concurrence a identifié 410 acteurs - OdR - actifs, dont elle estime que les modèles d’affaires ne sont pas encore stabilisés. Elle juge l’offre relativement fragmentée et note que « si des barrières à l’entrée et à l’expansion existent, elles n’ont pas empêché l’apparition de nouveaux entrants ».
Afin d'assurer un jeu équitable entre des « pure players » (Electra, Fastned, etc.) et les grands énergéticiens (EDF, TotalEnergies, Engie, etc.) ou les pétroliers qui disposent d'un avantage concurrentiel relatif à la détention du foncier, à l’accès privilégié à des emplacements stratégiques, à l'approvisionnement en électricité, voire aux trois en même temps, l'Autorité de la concurrence recommande ainsi notamment aux sociétés concessionnaires d'autoroutes de limiter, à des cas exceptionnels et justifiés, le recours à des processus de gré à gré pour l’allocation de leurs emplacements et de privilégier le lancement d’appels d’offres distincts pour chaque type d’activités sur une ou des aires données et, en tout état de cause, des appels d’offres spécifiques aux IRVE.
Sur le domaine public des collectivités territoriales (selon l’UFC-Que Choisir, en 2021, 60 % des bornes accessibles au public ont été financées par des collectivités territoriales ou des établissements publics), l’Autorité recommande de limiter l’inclusion de clauses d’exclusivité au profit de l’OdR concernant la gestion du service de recharge et de prévoir, dans la mesure du possible, plusieurs lots constitués d’un certain nombre de bornes pour in fine sélectionner plusieurs OdR dont les bornes seront en concurrence sur la zone. Les lots devront être construits de façon à mixer des zones attractives et des zones moins attractives. L’Autorité invite les collectivités compétentes à fixer une durée des contrats corrélée à la nature et au montant des investissements de l’OdR.
Par ailleurs, l'Autorité recommande de rendre obligatoire les SDIRVE (Schémas directeurs de développement des IRVE) et d’associer les DIR à leur élaboration et de prévoir une sanction administrative en cas de non-respect des articles L. 353-6 et D. 353-6 du code de l’énergie (obligation de transmission des informations par les OdR pour établir le SDIRVE).
Pour les terrains privés enfin (enseignes de la distribution alimentaire et spécialisée, centres commerciaux, hôtels, chaînes de restauration rapide) à qui la loi qui impose des obligations d’équipement et de pré-équipement, l’Autorité appelle l’attention des opérateurs sur les risques associés aux caractéristiques de certains contrats conclus à une échelle nationale, susceptibles de figer la situation concurrentielle, a fortiori sur des sites particulièrement attractifs, pendant une longue période.
EDF et Enedis sous surveillance
Troisième angle d'attaque : le secteur des bornes de recharge au sein des immeubles collectifs. Le taux d’équipement des copropriétés reste très faible puisque seules 2 % d’entre elles seraient dotées d’infrastructures de recharge. En cause notamment, la barrière financière liée au besoin de financement de l’installation de l’infrastructure collective au sein de l’immeuble, une barrière technique liée à la configuration des parkings à équiper et une barrière réglementaire liée au processus décisionnel.
Pour faciliter et fluidifier l’accès à la recharge dans les immeubles collectifs et garantir le développement d’une concurrence saine dans le secteur, l'Autorité recommande notamment d'encadrer strictement le rôle du gestionnaire du réseau de distribution (« GRD ») en situation de monopole légal, concernant l’activité de raccordement des infrastructures collectives au réseau. Elle recommande ainsi au gouvernement d’imposer au GRD, dans le cadre de la convention conclue avec le propriétaire ou le syndicat de copropriétaires, de renforcer la transparence de l’ensemble des coûts collectifs et individuels qui seront supportés par le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires et les utilisateurs finals afin de faciliter leur arbitrage entre cette solution et la solution privée.