Avec l’arrivée imminente de la RE 2020 (ou réglementation environnementale 2020), les constructions devront se décarboner. La terre crue, matériau géosourcé, est une excellent candidat pour y contribuer, mais son emploi reste encore limité. Pour l’heure, sa mise en œuvre n’est encadrée par aucune norme ou règle professionnelle, et l’absence de Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) ralentit encore son développement.
Pour accroître son utilisation, différentes initiatives ont vu ou vont voir le jour. La filière, sous la houlette de la Confédération de la construction en terre crue, a notamment publié en avril 2019 des guides de bonnes pratiques, mis à jour régulièrement depuis. Dans la continuité, le Projet national terre crue doit être lancé à l’été 2021.
Reste des freins à lever, dont l’identification de terres appropriées pour la construction. Un problème sur lequel alertent les scientifiques.
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Le fuseau granulométrique, critère insuffisant
« Historiquement, les travaux menés dans les années 40 et repris dans les années 80 préconisent la caractérisation de terres particulières pour la construction », introduit Erwan Hamard, chercheur au Laboratoire Granulats et Procédé d'Elaboration des Matériaux (GPEM) de l’Université Gustave Eiffel. Ils définissent un fuseau granulométrique, c’est-à-dire qu’ils inscrivent les terres à l’intérieur de courbes selon leur granulométrie, afin d’évacuer les terres qui naturellement ne conviendraient pas pour la construction.
« Repris dans le Traité de construction en terre de Craterre, ce document fait référence. En l’absence d’autres référentiels, concepteurs et bureaux de contrôle l'utilisent pour définir des critères de convenance imposés dans les CCTP (cahier des clauses techniques particulières), alors qu’il est clairement stipulé qu’en aucun cas les terres inscrites dans ce fuseau vont bien se comporter et que celles en dehors ne peuvent être utilisées », déplore le chercheur. « Ce manque de connaissance conduit alors à modifier les terres pour les faire rentrer dans ce fuseau, en ajoutant du sable ou des graviers d’autres provenances, ou des adjuvants comme le ciment, ce qui conduit bien souvent à abaisser leur performance ou leur faible bilan carbone », surenchérit Antonin Fabbri, directeur de recherche au Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes (LTDS) de l’école de l’aménagement durable des territoires (ENTPE).
Les chercheurs sont unanimes : caractériser une terre sur la base de sa seule granulométrie est inadéquat.

Prélèvement sur patrimoine
Depuis une dizaine d’années, ils ont entrepris d’analyser le patrimoine de la construction en terre. 25 échantillons d’environ 50 kilos chacun ont été prélevés sur des chantiers de rénovation ou de déconstruction de bâtiments patrimoniaux en pisé en France. La terre utilisée dans ces constructions ayant résisté au temps est alors considérée comme éprouvée.
« Leurs caractéristiques, principalement la granularité et l’activité de l’argile, ont été analysées, selon un système similaire à celui de la classification des sols pour la géotechnique routière », explique Fabrice Rojat, chef de groupe du département infrastructures et matériaux au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Des essais au bleu de méthylène ont été réalisés pour déterminer la propreté d'un sable, d'un granulat et plus généralement des sols, et les différents types d'argiles qu'ils contiennent. Les limites de plasticité des sols, au travers de l’essai d’Atterberg, ont été étudiées. Un regard a également été porté sur les proportions de particules fines dans les matériaux.
Vers une approche performantielle
« Ces recherches, en croisant granulométrie et activité de l’argile, permettent d’établir des critères qui servent à pré-identifier les terres pour la construction. Mais du fait de la variabilité de ce matériau naturel, nous ne sommes pas en mesure de prédire la performance finale d’une construction à partir d’une caractérisation des matériaux », prévient Erwan Hamard. Ces données peuvent être utiles aux terrassiers, aux aménageurs, ou aux collectivités qui gèrent la ressource et vont alors pouvoir imaginer un potentiel de réemploi pour ces terres, qui devra alors être validé par un spécialiste.
Pour son utilisation dans le bâtiment, là encore, les chercheurs n’ont qu’une seule voie. Ils préconisent des études de performances du bloc fini sur le chantier, afin de valider l’ouvrage final produit par le maçon.
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L’ensemble de ces recherches a abouti à un article scientifique paru en 2020, auxquels ont également participé Jean Claude Morel, directeur de recherche au LTDS de l’ENTPE, Fionn McGregor, chargé de recherche également au LTDS de l’ENTPE et Bernard Carnus, technicien au département Infrastructures et matériaux au Cerema.