Le coût des travaux nécessaires pour atteindre les objectifs du dispositif Eco Energie Tertiaire (ex-décret tertiaire) s’élèvera de « quelques dizaines d’euros par m² à horizon 2030, certainement quelques centaines pour les échéances 2040 et 2050, soit plusieurs millions, voire dizaines de millions d’euros par portefeuille », estime Emmanuel Verhoosel, directeur général de Square Sense, installateur de capteurs pour croiser les données énergétiques et d’occupation des bâtiments.
Le montant de la facture dépend des éléments techniques du bâtiment, de sa typologie, son usage et son âge. « Le bureau haussmanien, réputé pour son inertie thermique et situé dans des quartiers centraux très recherchés, offrira un retour sur investissement plus rapide que l’immeuble des années 50 à 80, car il sera loué plus rapidement et plus cher », complète Philippe Khoury, responsable de la gestion des données immobilières de Square Sense.
Fortes variations
En avance sur le marché, deux investisseurs institutionnels (anonymes) ont déjà estimé le coût au m² des actions nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction de consommations énergétiques de ce dispositif franco-français, appelé communément décret tertiaire par la profession.
La filiale immobilière d’une banque suisse devrait ainsi dépenser environ 45€/m² pour ses bureaux et entrepôts. Elle a déjà commencé à investir dans de nouveaux systèmes de Gestion technique du bâtiment (GTB) pour piloter les consommations et la télé-mesure pour analyser, via des capteurs, les sources de consommations énergétiques (électrique, gaz naturel, eau chaude sanitaire…) et identifier les anomalies. D’autres actions doivent suivre.
Les coûts varient fortement chez ce gestionnaire d’actifs américain : de 5€/m² pour un ensemble immobilier de bureaux de 2.000m² à Paris (XVIIe) à 53€/m² pour un immeuble de bureaux Arts Déco d’une surface similaire à Paris (IVe). Le lancement des travaux synonymes d’économies d’énergie, en ligne avec le décret tertiaire, est prévu cette année. Sont concernés des bureaux et des entrepôts.
Ivanhoé Cambridge investira « entre 3 et 5 M€ »
D’autres grands propriétaires de bâtiments non résidentiels de plus de 1.000m² sont en train d’affiner leurs estimations.
Pour sa vingtaine de bureaux, entrepôts et hôtels français en investissements directs visés par le décret tertiaire, le canadien Ivanhoé Cambridge n’a pas créé un véhicule dédié aux travaux nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des consommations énergétiques. Mais à date, l’investissement est estimé « entre 3 et 5 M€ d’ici 2030 sur une dizaine d’actifs », confie Stéphane Villemain, responsable de l’investissement durable.
« Nous n’avons pas encore de chiffre précis car nous finalisons la stratégie avec notre partenaire, ajoute-t-il. Le portefeuille étant techniquement hétérogène, nous n’avons pas calculé le coût moyen au m². » En attendant, Ivanhoé Cambridge n’a pas hésité à actionner le levier Certificats d’économie d’énergie (CEE), dans le cadre de l’installation de systèmes de GTB, jugés nécessaires par le législateur pour piloter les consommations d’un bâtiment et in fine les réduire.
Pour être éligible aux CEE, la GTB doit être destinée aux usages de chauffage, refroidissement, climatisation... La fiche relative à cette opération standardisée est la BAT-TH-116.
Ivanhoé Cambridge prend en charge la totalité des investissements liés aux « gros travaux touchant au clos et au couvert et au second-œuvre comme l’isolation », explique Stéphane Villemain. Les coûts sont en revanche partagés pour « les travaux de maintenance et de régulation » comme le passage au LED.
Pour des rénovations légères, Ivanhoé Cambridge demande au property manager de l’actif concerné de mener le projet. Pour des restructurations lourdes, l’investisseur met en place un contrat de maîtrise d’ouvrage avec un partenaire.
Swiss Life AM installe des GTB
Chez Swiss Life Asset Managers (AM), dont le patrimoine français de 21Mds€ est composé à plus de 80% de bureaux, entrepôts, hôtels, campings et commerces concernés par le dispositif, une deuxième vague d’audits est en cours auprès de quatre sociétés de conseil : Elan, Enerlis, Sinteo et Terao. « Un acteur seul n’a pas les ressources humaines suffisantes pour auditer tout notre parc », observe Fabrice Lombardo, directeur des activités immobilières de Swiss Life AM, filiale de l’assureur éponyme suisse.
A date, 20% des 380 immeubles visés - les plus gros - ont déjà été audités. Fin 2023, l’investisseur prévoit d’en être à 60%. « En parallèle, des chantiers de différentes échelles sont lancés, dans le cadre de réflexions pré-décret tertiaire », poursuit-il. Exemple ? « Nous n’avons pas besoin d’attendre le plan d’actions pour installer une GTB, illustre-t-il. Pour les objectifs 2030 et 2040, la baisse des consommations pourra se traduire par des travaux d’isolation ainsi que le changement et le réglage des équipements. Pour 2050, il y aura une nouvelle phase de travaux, mais nous n’avons pas visibilité. » Le coût moyen au m² des actions à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs 2030 sera estimé d’ici fin 2023.
Swiss Life AM a l’habitude de lancer un appel d’offres par projet. « Pour de la restructuration lourde, nous sommes quasi exclusivement en entreprise générale. Pour les plus petits sujets, nous sommes en corps d’état séparés », détaille Fabrice Lombardo.
Audits en cours chez BNP Paribas REIM
Sur les 744 actifs français de BNP Paribas Real Estate Investment Management (REIM), 352 bureaux, commerces, hôtels et entrepôts sont assujettis au décret tertiaire. « A date, 314 audits ont été commandés : un peu plus d’un tiers ont été reçus et validés par nos équipes techniques, environ la moitié sont finis mais en cours de revue et finalisation par nos équipes techniques et enfin 15% sont toujours en cours de réalisation », détaille Nehla Krir, directrice du développement durable.
La machine est parfois longue à mettre en route en raison de ces actifs détenus en copropriété. Dans ce cas, c’est le syndic qui commande l’audit énergétique et non BNP Paribas REIM directement. « Ces audits analysent la consommation d’énergie actuelle du bâtiment, identifient les actions possibles pour réduire la consommation et précisent leur coût, le gain financier attendu et le délai de retour sur investissement », résume Nehla Krir. Il est donc trop tôt pour connaître le nombre de bâtiments qui pourrait faire l’objet de lourds travaux, ainsi que le coût au m² ou encore le retour sur investissement.
Une certitude : la branche immobilière du groupe bancaire, perquisitionné le 28 mars dans le cadre d’une opération anti-fraude fiscale, ne compte pas acter un plan d’investissement global, mais des « enveloppes budgétaires adéquates pour chaque actif », précise Nehla Krir. Plusieurs millions d’euros pourraient être investis au total. Chaque bâtiment à rénover fera l’objet d’un appel d’offres. Les changements du système de chauffage, de façades ou encore le doublement de façades intérieures font partie des travaux potentiels à réaliser.
Patrizia n’a pas de plan d’investissements dédié
Enfin, l’investisseur paneuropéen Patrizia, dont le patrimoine français est constitué à 70% de bâtiments logistiques, n’a pas validé de plan d’investissements dédié. « Nous avons acté il y a cinq ans une stratégie globale de décarbonation de nos immeubles et de réduction des consommations énergétiques, rappelle Jérôme Delaunay, responsable de la gestion des actifs français. De là découleront des investissements, selon les besoins identifiés. »
Patrizia n’a pas signé de contrats panareuropéens avec une seule entreprise pour auditer tout son parc immobilier et identifier les leviers d’action. « Nous préférons travailler localement, car les usages et les règlementations ne sont pas les mêmes », reprend-il. En France, Patrizia travaille notamment avec Socotec pour les audits et s’appuie sur Ambio, un prestataire interne, pour « fluidifier le système d’analyses des données et de préconisations, en lien avec les équipementiers comme Schneider Electric », souligne-t-il.
Les premières actions ont été lancées en 2022. Citons le « relamping », la détection de présence pour le renouvellement d’air et l’éclairage ainsi que l’inévitable GTB, « même dans les petits bâtiments car c’est le seul moyen de surveiller les consommations », relève Jérôme Delaunay. Des travaux plus importants sont prévus ces prochaines années. Au programme : « rénovation globale avec isolation, en particulier des ouvrants, agrandissement des puits de lumière et montée en puissance des énergies renouvelables », résume-t-il. Patrizia lance un appel d’offres par projet.