Interview

Conception : « Prendre la parole dans le débat politique fait partie du rôle de l'architecte », Christophe Millet, président du Conseil national de l'ordre des architectes

Le nouveau président du Cnoa entend remettre les professionnels du cadre bâti au centre du jeu dans les territoires.

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Comment accueillez-vous le maintien de Rachida Dati au ministère de la Culture, tutelle des architectes ?

Le Cnoa prend acte de cette reconduction. Avant les dernières législatives, nous avions travaillé avec la ministre sur le second volet de la Stratégie nationale pour l'architecture (SNA).

Nous l'interpellerons prochainement pour voir quelle suite sera donnée à ces échanges. Nous veillerons également à ce que l'Observatoire de l'économie de l'architecture se recentre sur son objet et sur les conditions d'exercice de la profession. La ministre a, par ailleurs, montré son intérêt pour la ruralité, en phase avec le cycle de 26 conférences - « Architectures et territoires » - que nous co-organisons et qui s'achèvera à Cayenne (Guyane) ce 25 octobre. L'idée est ici de remettre l'architecte au cœur des questions territoriales d'aménagement, à moyen et long terme. Côté logement, la nomination d'une ministre de plein exercice est un signal fort et ledit ministère a clairement identifié l'Ordre comme un partenaire compétent dans sa réflexion. Il nous reste à rencontrer Valérie Létard et voir comment travailler avec elle et ses collègues sur les grands sujets du moment.

Vous avez été élu à la tête du Cnoa le 13 juin. Comment vous situez-vous par rapport à votre prédécesseur ?

Christine Leconte et son équipe nous ont légué un projet de société, une vision de ce que pourrait être le rôle de l'architecture en France. A nous de nous en emparer pour le faire évoluer vers ce que j'appelle « Architecturer l'habitabilité d'un monde qui protège le vivant », autour de la réhabilitation, de l'écologie, des filières de matériaux, de la biodiversité, etc.

Le précédent mandat a porté ce projet très haut, auprès des ministères et des décideurs publics. Il s'agit à présent de le décliner en direction des élus locaux, des partenaires, des conseils régionaux (Croa) et - surtout - des architectes, afin qu'ils le traduisent dans leur activité au quotidien.

Objectif : réinscrire l'architecture dans l'intérêt public, comme proclamé par la loi de 1977. Prendre la parole dans le débat politique fait partie de notre rôle, et j'y suis attaché.

Quelles sont vos priorités pour les trois ans de votre mandat ?

Il y a, d'abord, une réorganisation interne, avec l'installation de commissions permanentes chargées du budget, du tableau, du juridique (déontologie), de la formation ou encore des affaires publiques. Concernant le tableau, l'outil sera refondu pour assurer une totale interactivité avec les agences, assortie d'une mission de contrôle de l'Ordre. Par ailleurs, je souhaite ardemment que la réhabilitation soit inscrite dans la loi de 1977, car elle ne peut pas se faire sans architecte. C'est un chantier abordé sous plusieurs angles : simplification des autorisations d'urbanisme, accélération de l'instruction, efficacité de l'action publique pour la transition écologique, protection de l'identité des patrimoines ruraux, etc.

La réhabilitation n'est pas qu'une question d'isolation thermique et il n'y a pas de petit patrimoine.

La récente mise en ligne des décisions des chambres de discipline semble faire de la déontologie l'une des priorités du Cnoa…

J'observe un traitement, parfois très inégal, de ce sujet dans les territoires. Ce n'est pas acceptable. J'ai demandé à mes équipes un rapport sur le fonctionnement des chambres régionales de discipline : comment sont nommés et rémunérés les assesseurs ? Qui juge ? Pour quelles décisions ?

Qui fait appel ? Quelles sont les questions abordées ? etc.

La signature de complaisance reste le sujet majeur, avec les risques potentiels associés comme la non-assurabilité du projet, la démolition ou encore la radiation du tableau. Sans oublier que de tels actes peuvent « assécher » un secteur, freiner l'installation de jeunes professionnels et favoriser les déserts architecturaux…

Le budget de l'Ordre a été contesté par voie de pétition, de même que le nouveau barème de cotisations.

Où en est-on aujourd'hui ?

La pétition en question a été lancée par l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa). Le Syndicat de l'architecture (SA) a, de son côté, saisi le Conseil d'Etat d'un recours relatif au barème. Nous leur avons répondu et nous avons produit tous les documents, de manière transparente.

Si le budget de l'institution est passé de 15 à 20 millions d'euros entre 2021 et 2023, c'est que nous y avons inclus la totalité de nos recettes (loyers, placements, etc.), ce qui n'était pas le cas auparavant. Le taux de recouvrement des cotisations s'est amélioré et le nombre d'inscrits a progressé. Le barème incriminé, inchangé de 2011 à 2023, bénéficie désormais à tous : 90 euros au minimum, jusqu'à 1 080 euros pour les agences, quel que soit leur chiffre d'affaires, avec des possibilités d'exonération facilitées. Derrière cette cotisation, il y a la faculté, pour les architectes, de pouvoir porter le titre en toute légalité et de défendre l'intérêt public de leur activité. J'ajoute que nous travaillons actuellement avec l'Unsfa et le SA en vue de présenter une convention internationale au prochain congrès de l'Union internationale des architectes (UIA) mi-novembre, à Kuala Lumpur (Malaisie). Nous devrions aboutir prochainement, sous réserve que le SA se désiste de sa demande devant le Conseil d'Etat.

« Je souhaite ardemment que la réhabilitation soit inscrite dans la loi de 1977 sur l'architecture. »

Dans la foulée de votre élection, vous évoquiez dans « Le Moniteur » la « fragilité de la profession ». Qu'est-ce à dire ?

Nous assistons aujourd'hui à une crise de confiance globale des maîtres d'ouvrage envers les professions réglementées - et singulièrement les architectes - qui passe par une limitation de leur champ d'action : les missions en amont sont dévolues à un programmiste ou un AMO, on ne leur confie pas l'économie, pas davantage l'OPC et parfois même plus le chantier ! Réduire notre rôle au dépôt du permis de construire revient à précariser le métier, décourager l'architecte et in fine le fragiliser. La bonne santé de la profession est aussi garante de la qualité architecturale de notre cadre de vie.

Une manifestation comme les Journées nationales de l'architecture (JNA) - qui se tiendront du 18 au 20 octobre cette année - est-elle bien utile ?

Evidemment ! Faire parler d'architecture par les architectes, vulgariser le propos sans excès, identifier des professionnels, montrer que le recours à l'architecte n'est pas un privilège de riches, etc. Tout ceci est important et les JNA y contribuent.

Nombre d'agences qui travaillent avec les particuliers se mobilisent à cette occasion. Apprendre à lire l'architecture, à valoriser et protéger tous les patrimoines sont autant d'approches indispensables.

La loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture célébrera bientôt ses 50 ans. Que prévoyez-vous à cette occasion ?

Je souhaite, pour cet anniversaire, que le Cnoa joue un rôle prépondérant dans la conception du pavillon « France » à la Biennale d'architecture de Venise 2027. Il s'agirait, dans cette vitrine mondiale, de montrer tout ce que notre système a pu produire d'utile et de beau, en gardant notre esprit critique.

Et faire en sorte que ce jubilé soit l'occasion de renforcer la loi de 1977 - plutôt que de la détricoter - en y inscrivant la réhabilitation. Il ne faut surtout pas rater le coche !

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