Après dix années d'application de l'ordonnance de 1986 et une réforme en 1993, la dernière réforme du droit de la concurrence en date du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales suscite développements et commentaires, réunions et colloques comme celui organisé récemment à Lyon par l'Association française des crédit managers Rhône-Alpes-Centre Est.
La loi 96-588 du 1er juillet (1) constitue une première dans le droit de la concurrence puisque le gouvernement a préféré agir par voie législative et non par ordonnance. Signe de l'importance de l'enjeu : l'équilibre des marchés. Préparer cette réforme s'est révélée un exercice de longue haleine avec un an de travaux préparatoires et la rédaction de deux rapports pour un même constat, la dégradation des relations commerciales entre producteurs et acheteurs, et deux solutions proposées de type opposé : libéral ou encadré. « Le nouveau dispositif législatif préserve les acquis de l'ordonnance de 1986 », analyse Andrée Grizaud, inspecteur principal à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui a tenu un rôle non négligeable dans l'élaboration de la réforme. « C'est un texte d'équilibre qui rejette les extrêmes. » (2)
Le champ pénal quasi inchangé (même s'il existe un nouveau dispositif de lutte contre les prix bas) est mieux cadré avec un renforcement des sanctions qui augmente l'efficacité des textes. La lutte contre les prix bas s'annonce, d'ores et déjà, délicate à définir et à mettre en oeuvre. « Le texte vise la fausse concurrence qui mettrait en péril des entreprises parfaitement saines. » Pour qu'un prix soit détecté comme aberrant, il devra répondre à une double condition : être au-dessous du calcul du prix de revient (les circulaires sont à venir) et être insoutenable par une entreprise concurrente.
Depuis 1986, la facture est l'instrument premier du contrôle de la concurrence : elle doit révéler la totalité de la relation commerciale acheteur/vendeur. La réforme de l'article 31 simplifie et clarifie les obligations qui pèsent sur l'émetteur et parle de l'obligation de mentionner toute réduction de prix (et non plus rabais, remise et autre ristourne) acquise à la date de la vente ou de la prestation, directement liée à cette opération, à l'exclusion des escomptes non prévus sur la facture.
Régime de certitude
« Nous passons d'un régime d'estimation ou de probabilité à un régime de certitude », insiste Me Marie du Gardin, avocat associé du bureau lyonnais du cabinet Fidal. Cet élément est d'autant plus important que le prix facturé détermine désormais le seuil de revente à perte. Et Andrée Grizaud d'ajouter : « Face à la facturation, la responsabilité réciproque du vendeur et de l'acheteur est engagée. » Le nouveau contenu de l'article 32 sur la revente à perte simplifie la mise en oeuvre de l'interdiction de revente à perte (suppression de la présomption, nouvelle notion de prix unitaire, annonce de la revente égale revente, « prix » du transport), renforce les sanctions encourues (500 000 francs d'amende et cessation de l'annonce publicitaire) et affine la définition des exceptions (alignement, réapprovisionnement et produits périssables).
« Les articles 36-3, 4, 5, et 6 tendent à isoler certaines pratiques particulièrement abusives, révélatrices de la dépendance économique, pour faciliter l'établissement de la preuve devant le juge », analyse Marie du Gardin. De ces articles qui visent directement la grande distribution, on retirera une leçon : établir des conditions générales de ventes, « une force probante qui prévaut désormais », est particulièrement encouragé. Ce que confirme André Roux, ex-directeur commercial du groupe Gerflor-Gerflex. Encore faut-il en avoir ?
Enfin, pour la prohibition énoncée par l'article 36-5, on parle de rupture brutale, même partielle, d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit, tenant compte des relations commerciales antérieures, soit des usages reconnus par des accords interprofessionnels. Ainsi ces nouvelles pratiques qui s'imposent tout aussi bien au vendeur qu'à l'acheteur sont-elles désormais définies et réprimées en tant que telles.
Chacun des participants a admis qu'il est prématuré de dire si, avec cette loi pourtant inscrite au coeur de la réalité économique, le législateur a réussi à placer les relations commerciales sous le double signe de l'équilibre et du partenariat. Ce que Marie du Gardin traduit par ce raccourci : « Il est difficile de modifier des habitudes économiques vieilles de 30 ans. » Surtout quand trois articles ne sont applicables que depuis le 1er janvier 1997.
(1) Publiée dans le cahier «Textes officiels» du «Moniteur» du 12 juillet 1996, p. 262. (2) Ce texte rejette ce que le législateur a considéré comme des dérives. Il dit non à l'extension du champ d'application des prix bas, à l'encadrement généralisé, au maintien de l'interdiction du refus de vente, etc.