Décryptage

Démocratie environnementale : trente ans après sa création, la CNDP contribue toujours à l'amélioration des projets

Malgré des procédures longues et exigeantes, les débats publics et concertations préalables pilotés par la commission nationale restent incontournables pour les maîtres d'ouvrage.

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La Commission nationale du débat public (CNDP) vient de fêter ses trente ans. Cette autorité administrative avait été créée par la loi Barnier de 1995 relative au renforcement de la protection de la nature, à la suite de vives contestations autour des grands projets d'infrastructures de la fin des années 1980, en particulier le projet TGV-Méditerranée. Elle veille à ce que toute personne puisse être informée et participer aux politiques publiques, plans, programmes et projets ayant un impact significatif sur l'environnement et l'aménagement du territoire.

Concrètement, la CNDP est saisie par le maître d'ouvrage, très en amont de l'élaboration du projet, à un stade où l'opportunité de celui-ci peut facilement être débattue. Une fois saisie, elle décide souverainement d'organiser un débat public ou une concertation préalable. Depuis sa création, 121 débats publics ont ainsi été menés (dont 5 en 2024) et plus de 530 concertations préalables (76 en 2024), s'enorgueillit son président, Marc Papinutti : « En trente ans, nous sommes allés sur tous les territoires, avons organisé des débats et concertations pour tous types d'activités et avons touché tous les publics, y compris ceux qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer. » Il rappelle au passage que « le rôle de la CNDP n'est pas d'instruire les dossiers mais bien de garantir l'information et la participation du public, un droit à valeur constitutionnelle ».

Offensive. D'où l'incompréhension face à l'offensive menée contre elle depuis plusieurs mois. Le député RN du Gard Pierre Meurin a déposé une proposition de loi à l'automne dernier visant tout bonnement à supprimer cette autorité administrative indépendante. Que lui reproche-t-il ? Entre autres d'avoir « échoué à désamorcer des situations conflictuelles liées à des projets ayant des conséquences sur l'environnement », comme sur le site du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

Mais surtout, il dénonce le budget de la CNDP qui « n'a fait qu'augmenter ces dernières années » et qui n'est plus « supportable pour les finances publiques ». Si cette proposition a peu de chances d'aboutir, le décret visant à sortir les projets d'équipements industriels du champ de saisine de la CNDP pour accélérer leur réalisation pourrait, lui, bien voir le jour. Soumis à consultation publique fin 2024, le texte est entre les mains du Conseil d'Etat.

La participation du public sous l'égide de la CNDP ne représente-t-elle alors qu'une contrainte pour les opérateurs ? Antoine Ménager, directeur du débat public EPR 2 chez EDF, souligne l'importance d'un tel dialogue : « C'est le début d'une longue histoire entre un projet et son public, il est essentiel pour réussir son intégration sur son territoire. » Un avis que partage David Lefranc, directeur de l'aménagement et de l'environnement du port de Dunkerque : « L'un des points forts du débat public [concernant le projet Cap 2020 de développement des infrastructures pour accueillir de nouveaux conteneurs, NDLR] a été de pouvoir renouer le lien entre la population et le port et d'avoir une vision plus large sur la manière de partager le développement portuaire. » Jan Jacob Boom-Wichers, président de la société Holosolis dont le projet d'usine de construction de panneaux photovoltaïques à Hambach (Moselle) a fait l'objet d'une concertation préalable en 2023, reconnaît, lui, que « la procédure est longue [treize mois en moyenne pour un débat public, de la saisine de la CNDP à la publication de son bilan, et six mois pour une concertation préalable, NDLR] et contraignante. Mais ce processus démocratique est absolument nécessaire. Quand on veut installer une usine dans une région, il faut s'assurer que les riverains nous accueilleront en bons voisins. La concertation nous a permis de présenter le projet, de lever les inquiétudes, notamment sur les questions de ressources en eau, préoccupation majeure pour la population et de l'ajuster en conséquence. » Car une concertation ou un débat public a aussi cette vertu de permettre au maître d'ouvrage d'améliorer sa copie dans 60 % des cas, souligne Marc Papinutti.

Sérénité pour le maître d'ouvrage. Suffisamment pour éviter les contentieux ? Quentin Untermaier, avocat en droit de l'environnement, associé du cabinet Adaltys, n'en est pas convaincu. « Quelles que soient les procédures de participation, il y aura toujours des opposants et des recours, constate-t-il. Ne donnons pas à la CNDP un rôle qu'elle n'a pas. » Ce qui est certain en revanche, c'est que le débat ou la concertation oblige le maître d'ouvrage à être bien préparé et très en amont, ce qui lui permet de poursuivre les procédures plus sereinement.

Pour Pascal Nicolle, président de l'association Cinov Concertation qui accompagne les maîtres d'ouvrage sur ces sujets, « le travail d'acculturation à la réglementation et aux pratiques de la commission est important ». Parfois, « il faut leur expliquer ce que le débat peut apporter », commente Julie Dumont, garante [du bon déroulement de la participation du public, NDLR] en Nouvelle-Aquitaine, évoquant « une sorte de non-considération de la part de quelques maîtres d'ouvrage pour le public devant la complexité de certains projets ».

La première étape consiste donc à bien circonscrire « les objectifs du débat à venir à travers une étude de contexte », pose Dominique Pacory, garant en Normandie. Pour le parc éolien offshore en Bretagne Sud, l'un des enjeux était d'« intégrer dans la réflexion, outre les parcs proprement dits, la question du raccordement, qui est une pièce essentielle, moins visible, mais plus impactante notamment par ses aspects terrestres », explique Bertrand Bourdon, pilote RTE de projet de raccordement.

Il faut aussi « bien appréhender quels publics doivent participer au débat », poursuit Dominique Pacory. Et pour que ce ne soit pas « toujours les mêmes » qui s'expriment, la CNDP a plus d'une corde à son arc. « L'installation de stands sur les marchés locaux et la visite de la centrale pour le projet d'EPR 2 à Penly (Seine-Maritime) ont permis des échanges plus privilégiés avec le grand public », se remémore Antoine Ménager. Tout comme l'organisation il y a trois ans à La Rochelle (Charente-Maritime), dans le cadre du débat public sur le parc éolien au large de l'île d'Oléron, « d'un festival sur deux journées avec des jeux, des spectacles, des conférences où chacun pouvait venir défendre ses arguments dans un climat festif », relate Julie Dumont. Preuve que « quand on donne au citoyen la possibilité de comprendre le dossier, de s'exprimer, il le fait avec bienveillance, écoute et compréhension. Si on exclut cette étape, il se révoltera au plus mauvais moment », prévient Marc Papinutti. Revoir les modalités de l'intervention de la CNDP ? Son président se dit prêt à y travailler, mais il veut d'abord dialoguer.

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« Les projets industriels du XXIe siècle doivent être exemplaires », Quentin Untermaier, avocat en droit de l'environnement, cabinet Adaltys

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Exclure les projets d'équipements industriels du champ de la CNDP ne risque-t-il pas de porter atteinte au principe de non-régression ?

Il s'agit en effet d'une régression procédurale mais qui ne serait vraisemblablement pas sanctionnée par le juge administratif. Le Conseil d'Etat a une approche plutôt restrictive de ce principe, qu'il applique seulement aux régressions directes de la protection accordée à l'environnement. Cette position est très discutable dès lors que la participation du public a une valeur constitutionnelle, et que ces garanties procédurales visent, in fine, à prévenir les atteintes susceptibles d'être portées à l'environnement.

Que pensez-vous alors du projet de décret ?

Le message envoyé par le gouvernement n'est pas très positif. Les projets dont il est question sont de grande envergure. Leur coût est supérieur à 300 millions d'euros, avec des impacts environnementaux. Considérer que par souci d'accélération, il faut désormais les exclure du champ de la CNDP est peu responsable. Les projets industriels du XXIe siècle doivent sortir par le haut, en démontrant leur exemplarité environnementale. Cela passe par le respect des procédures de participation du public, notamment celles organisées par la CNDP.

Quant à l'argument de faire gagner du temps, il est discutable. Certes, ces procédures sont exigeantes.

Mais rappelons qu'elles interviennent bien en amont du dépôt des demandes d'autorisation, donc en partie en temps masqué par rapport aux études que doit réaliser le maître d'ouvrage.

Et puis, réduire les exigences de participation, c'est aussi inviter les citoyens à emprunter des voies non démocratiques. Le gouvernement semble avoir oublié qu'à la suite des affaires Sivens et Notre-Dame-des-Landes, l'Etat a souhaité renforcer les procédures de concertation pour les projets à forts impacts environnementaux. On ne voit pas pourquoi la donne aurait changé aujourd'hui…

Dans la note de présentation du texte, le ministère de la Transition écologique assure que cette exclusion n'empêchera pas la tenue d'une concertation préalable…

Certes, mais si le projet n'entre plus dans le champ de la CNDP, la concertation ne sera pas systématique. Par exemple, pour des projets soumis à évaluation environnementale dont le coût est supérieur à 5 M€, le maître d'ouvrage doit publier une déclaration d'intention qui ouvre la possibilité de demander au préfet l'organisation d'une concertation préalable. Mais ce droit d'initiative est très peu exercé en pratique et le préfet joue un rôle de filtre en décidant de l'opportunité de l'organiser ou pas.

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