Que reprochez-vous à ce décret ?
A notre sens, le décret viole plusieurs principes constitutionnels. Tout d’abord, en permettant de traiter de manières différentes des situations identiques, il méconnaît le principe d’égalité devant la loi. Les raisons d’intérêt général qui peuvent justifier une atteinte à ce principe ne sont pas suffisamment définies par le décret, ce qui implique que le droit de l’environnement, entre autres, ne sera pas garanti de la même manière sur l’ensemble du territoire.
Ensuite, le texte viole le principe de séparation des pouvoirs. Par le truchement de la réglementation, le gouvernement offre aux préfets la possibilité de neutraliser l’application d’une loi, ce qui pose un vrai problème puisque le chef du gouvernement, conformément aux articles 21, 34 et 37 de la Constitution, est censé assurer l’exécution des lois, non empêcher leur application. Avec ces dérogations, un préfet peut tout à fait dispenser un projet du champ d’application d’une étude d’impact au cas par cas. Le gouvernement aurait dû définir avec précision les règles qui peuvent faire l’objet de dérogations. Or, en confiant ces dérogations à l’entière discrétion des préfets, il a subdélégué la définition des raisons d’intérêt général justifiant une différence de traitement. On se trouve face à un dispositif peu orthodoxe sur le plan des fondamentaux du droit administratif.
Enfin, le principe de clarté et d’intelligibilité de la norme n’est pas davantage respecté. On ne sait pas précisément sur quoi peuvent porter les dérogations, à qui elles peuvent bénéficier et les motifs d’intérêt général qui les justifient. Les préfets peuvent donc prendre des dérogations tous azimuts, cette faculté est laissée à leur libre appréciation. Il ne s’agit pas de leur faire un procès d’intention mais on ne peut que constater, que dans la pratique, de nombreuses dérogations ont été accordées, non pour alléger les démarches administratives mais pour contourner la réglementation. Le préfet de Vendée a par exemple dérogé à l’obligation de réaliser une étude d’impact pour permettre à une SEM souhaitant exploiter un parc éolien terrestre, de candidater à un appel d’offres dans les délais.
De plus, le projet de décret, adopté en pleine crise sanitaire, n’a pas été soumis à consultation du public et le rapport d’évaluation de l’expérimentation (qui devait être remis par les préfets au gouvernement deux mois avant la fin de l'expérimentation, NDLR) n’a pas été publié. Ce qui en dit long sur l’opacité qui a entouré la généralisation de ce droit de dérogation.
Les dérogations accordées pourront être contestées devant les tribunaux. N’est-ce pas une garantie suffisante ?
Je ne pense pas cela soit de nature à sécuriser les projets. Du point de vue du maître d’ouvrage, bénéficier d’une dérogation aux bases fragiles n’est pas satisfaisant et peut même, en cas de recours, être contreproductif par rapport à l’objectif affiché d’accélération des démarches administratives.
Pour accélérer ces procédures justement, ne serait-il pas préférable d’assouplir la réglementation plutôt que d’accorder des dérogations au cas par cas ?
Non. C’est une chimère de croire qu’en libéralisant la réglementation et en accordant des dérogations, on produira plus d’autorisations. Ce n’est pas de nature à sécuriser les projets, ni à rassurer les opposants. Il faut avoirbeaucoup plus de flexibilité dans la gestion des dossiers, accorder plus de moyens aux agents pour qu’ils puissent instruire rapidement les dossiers, et améliorer le dialogue entre les parties prenantes. Quand on est de bonne composition de deux côtés – maîtres d’ouvrage et administration –, on arrive à accélérer les choses. La complexité de la réglementation actuelle est stressante mais elle offre des garanties. Faites un urbanisme simple, vous aurez des villes horribles !
A vouloir trop simplifier les règles, n’assiste-t-on pas à une régression du droit de l’environnement ?
Certainement. Le décret du 8 avril est d’ailleurs un élément assez topique du bilan gouvernemental sur la conception du droit de l’environnement. Ce dispositif est une pierre de plus dans le détricotage des garanties qui ont été acquises au fur et à mesure des années pour assurer la meilleure protection possible de l’environnement.