Décryptage

« En France, la gestion des ponts pose davantage problème au niveau communal que national », Christian Tridon, président du Strres

Cela fait plusieurs années qu’il tente d’alerter sur la situation en France. Mais au lendemain de l’effondrement du viaduc de Gênes, son discours est davantage entendu. Christian Tridon, président du Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et renforcement des structures (Strres), souhaite que les gestionnaires prennent (enfin) conscience de la nécessité d’un bon suivi et entretien des ouvrages d’art.

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Christian Tridon, président du Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et renforcement de structures (Strres).
Christian Tridon, président du Strres.

L’effondrement du pont Morandi, à Gênes, force le dé​bat sur l’état des ouvrages d’art. Quelle est la situation en France?

Christian Tridon. Nous comptons 200 000 ponts au total dans l’Hexagone. Environ 12 000 se situent sur les routes nationales non-concédées, 15 000 sur les autoroutes, le reste dépend des réseaux départementaux et communaux. En France, environ 1 pont par jour est fermé ou fait l’objet d’une diminution de charge à cause de son état jugé préoccupant. Ce qui ne représente finalement pas grand-chose sur l’ensemble du patrimoine.

Un audit remis au gouvernement à l’automne dernier, mais dont une synthèse a été publiée début juillet, montre que 7% des ouvrages d’art présentent une situation inquiétante. Que faut-il comprendre ?

C.T. Attention, cet audit ne rend compte de la situation que de 6% du patrimoine global ! Il ne faut pas croire que la situation est similaire pour tous les ouvrages d’art en France. Cette étude montre que 30% des 12 000 ponts du réseau national non-concédé doivent faire l’objet de réparation, 7% sont jugés dans un état très inquiétant. Ils intègrent la catégorie 3U dans la classification Iqoa (image qualité des ouvrages d’art, qui compte 6 classes de 1 à 3U). Cela signifie qu’ils ne correspondent plus aux normes et montrent des pathologies sérieuses. Leur mise en service est difficile à justifier. Pour des mesures de sécurité, il faudrait les fermer ou en diminuer la charge.

Ponts sur routes nationales non concédées

Infogram

Qu’en est-il du réseau géré par les collectivités locales ?

C.T. Quelque 170 000 ponts appartiennent aux réseaux départementaux et communaux. Les départements se sont en grande partie structurés et ont mis des moyens de gestion patrimoniale qui leur permettent d’avoir un suivi et un entretien à peu près corrects. Le problème vient plutôt des communes. En dehors des grandes agglomérations, les mairies abritent rarement les compétences nécessaires en leur sein. Avant, elles s’appuyaient sur les directions départementales de l’équipement (DDE) qui leur signalaient où il fallait investir, au moment de la préparation des budgets. Aujourd’hui, elles n’ont plus personne, et commandent parfois des audits à des bureaux d’études spécialisés.

Savez-vous combien de ponts au total présenteraient un danger ?

C.T. A mon sens, il est possible d’extrapoler en reprenant le chiffre de l'audit, 7%, et en le transposant à l’ensemble du réseau [soit 14 000 ouvrages, NDLR].

Que préconisez-vous pour éviter qu’un drame comme celui de Gênes se produise en France ?

C.T. Les gestionnaires doivent prendre conscience des moyens nécessaires au suivi et à l'entretien des ouvrages d'art. Cela a déjà commencé grâce aux Assises de la mobilité, l’an dernier. La ministre des Transports a déjà promis un effort supplémentaire [l’enveloppe consacrée à l’entretien et à la modernisation du réseau national non-concédé doit passer de 800 millions d’euros cette année à 1 Md d’ici à 2020, NDLR]. Peut-être que la catastrophe de Gênes déclenchera des crédits en plus.

Mais  on ne parle ici que du réseau national non-concédé…

C.T. Effectivement, alors qu'encore une fois, la gestion des ponts pose davantage problème au niveau communal que national. Nous préparons un carnet de gestion à l’attention des maires, afin de les aider à mieux connaître et appréhender l’entretien courant de leurs ouvrages. Il faut cependant aller plus loin encore : nous devons arriver à tenir un carnet d’entretien pour chaque pont en France. Un peu comme un carnet de santé, il permettrait de conserver une trace pour savoir ce qu’il faut faire, comment et quand.

Quelle enveloppe budgétaire faut-il prévoir en moyenne pour assurer le bon entretien d’un ouvrage d’art ?

C.T. Pour un pont, le coût de l'entretien courant est estimé à 1% ou 1,5% de sa valeur à neuf. Soit entre 25 et 30 euros/m2 et par an. En revanche, pour les ouvrages classés 3U, il est nécessaire de les remettre d’abord en état. Dans ce cas, il faut compter entre 100 et 150 euros/m2, en une fois.

La mise en cause par le gouvernement italien du gestionnaire autoroutier dans la catastrophe de Gênes soulève une autre question. Est-il nécessaire de contrôler davantage le travail des concessionnaires?

C.T. En France, les sociétés d’autoroutes sont soumises à des règles très strictes, inscrites dans leurs contrats. Elles doivent assurer un suivi régulier de tous les ouvrages de leur réseau et en rendre compte. Dans tous les cas, elles n’ont pas intérêt à passer outre ce suivi car il s’agit de leur outil de travail. Globalement, elles sont plus réactives et leurs réseaux sont mieux entretenus.

Croyez-vous par ailleurs au défaut de conception du pont Morandi, évoqué par de nombreux médias ?

C.T. Ce viaduc a tenu 50 ans. S’il y avait un réel problème de conception, il serait tombé depuis longtemps. Les raisons sont sans doute multiples. La météo peut être une des explications, des secousses sismiques auraient aussi été perçues dans le centre de l’Italie le 14 août. La rivière qui passe sous le pont est très torrentielle, elle a peut-être joué un rôle dans le déchaussement des fondations. Par ailleurs, ces dernières années, le port de Gênes a grossi de manière démesurée et le trafic a considérablement augmenté dans la région. Cela a pu accélérer le processus de vieillissement. Alors, avant d’établir une quelconque responsabilité dans l’effondrement du pont Morandi, attendons de connaître les véritables causes de la catastrophe.

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