Entre pros et projets, le grand écart des spécialistes du carrelage

Séduire toujours plus et mieux le grand public tout en renforçant les liens avec artisans et professionnels du bâtiment. Ces deux objectifs pas toujours évidents à concilier s'annoncent pourtant comme deux défis de taille pour les négoces spécialistes. Les mutations s'accélèrent.

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Même si certaines régions comme Provence-Alpes-Côte d'Azur semblent relever le niveau avec des évolutions franchement positives, le marché du carrelage ne se porte pas très bien. Pour 2018, les estimations de l'activité moyenne oscillent au plan national entre - 3 % et + 0,5 % en valeur.

« Il faut prendre et interpréter ces estimations avec précaution », affirme d'emblée l'auteur de l'une d'entre elles : « Du point de vue du négoce, il n'y a pas un, mais plusieurs marchés du carrelage. Il faut distinguer un marché de volume - la construction neuve -, qui se porte globalement mal, voire très mal. D'abord parce que, depuis au moins une dizaine d'années, le neuf n'a pas été à la hauteur des espérances et des besoins. Ensuite parce que, en termes de produits, ce marché correspond à des références très bataillées, avec des prix moyens en baisse par rapport à ceux d'il y a dix ans. Cela se ressent évidemment au niveau des marges. » L'auteur de l'une de ces estimations, par ailleurs négoce dans la région toulousaine, enchaîne : « Et puis, il y a le marché de la rénovation, beaucoup plus réceptif en termes d'innovations, comme les dalles de grandes tailles, mais fondé sur la capacité du négoce à se rapprocher et à favoriser la concrétisation des besoins du grand public. Mais cette capacité ne correspond pas vraiment au cœur de son savoir-faire - la vente aux professionnels. »

Faire rêver

Pour le négoce, de ces deux segments, c'est évidemment le deuxième - la rénovation - qui semble a priori le plus séduisant. C'est ainsi que le marché a assisté à une véritable mutation des salles d'exposition ces dernières années. D'abord conçues pour permettre aux particuliers de faire leur choix dans le cadre d'un projet de rénovation avec une entreprise ou un artisan, elles ont peu à peu évolué vers la proposition d'ambiances globales, pour la salle de bains notamment. Elles témoignent d'une volonté de remonter en amont des projets, et de tenter de les concrétiser par l'émotion. Il en va ainsi des showrooms Question d'Ambiance. « À mi-chemin entre le rêve et la réalité, on se plaît à déambuler au milieu de différentes mises en scène à la fois élégantes et originales afin de faire naître l'inspiration », affirme le site de cette marque de la Quincaillerie aixoise. Du côté de l'offre, à côté du carrelage, la robinetterie et l'ameublement sont aussi à l'honneur.

L'évolution est la même chez Torchio, acteur historique du carrelage en Normandie, dont les showrooms se veulent « des lieux d'inspiration » et qui, au-delà du carrelage, proposent robinetterie, lavabos et vasques, baignoires, douches, sanitaires, accessoires et même éclairage. Une approche d'ensemblier qui prétend offrir une solution globale.

Il est possible de multiplier les exemples, à rapprocher des initiatives de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, de Téréva ou d'Algorel (entre autres) qui, ces dernières années, ont lancé les enseignes Envie de Salle de Bain, Grandbains et Au fil du bain.

Lever les obstacles

Pareille évolution suppose la capacité de ces enseignes à « parler » au grand public. Le problème a déjà été posé en 2018, lors des États généraux de la salle de bains, avec la présentation de l'étude « Le Futur de la salle de bains - Qui gagnera la bataille du client final ?» réalisée par Sociovision. L'étude insistait sur l'impatience des clients finaux, leur refus de la complexité, leur demande d'immédiateté, et donc le stress étroitement associé à un projet de salle de bains - de rénovation en général, d'ailleurs. Ledit stress est bien sûr responsable de l'abandon de nombre de ces projets. Mais l'étude insistait aussi sur les évolutions à attendre du côté des stratégies pour y répondre : d'un côté, les acteurs centrés sur le produit et son prix ; de l'autre une approche dite du contact unique, avec prise en charge complète des projets des clients finaux et ce, de façon fluide, rapide, personnalisée et agréable. Pronostic des auteurs de l'étude : l'accroissement du nombre d'acteurs positionnés sur le contact unique. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette approche est moins centrée sur le prix, beaucoup plus riche du côté de l'offre, donc génératrice de plus de marge.

À regarder l'évolution des showrooms et des services associés, au nombre desquels figure la visualisation en 3D des projets, il semble bien que le négoce spécialiste du carrelage ait choisi ce chemin. Au passage, ce dernier permet de souligner les différences existant entre l'offre d'un spécialiste et celle d'un négoce de matériaux, et, a fortiori, celle des grandes surfaces de bricolage qui peinent pour monter en gamme mais proposent déjà des services de pose.

L'évolution se heurte à un mur apparemment infranchissable, la « pose comprise » justement. « Jamais nous ne ferons de fourni-posé », affirment la grande majorité des négoces contactés. Le plus souvent, ils avancent comme explication majeure le refus de concurrencer artisans et entreprises de pose, leur clientèle historique. Ainsi, si tous conviennent assez facilement de la nécessité de travailler dans le sens d'une prise en charge plus complète des clients grand public, tous ou à peu près se refusent à introduire un mode de fonctionnement - tel le fourni-posé - qui pourrait déstabiliser leurs autres activités.

Risques du fourni-posé

Chez Wendel, adhérent Careso [branche carrelage d'Algorel qui s'est réunie à Bordeaux (Gironde) début avril dans le cadre de la 11e édition des Ateliers du Commerce], l'histoire est différente : le fourni-posé a été expérimenté mais pas pérennisé. « La prestation génère trop de contraintes. Nous cessons d'être distributeur pour nous transformer en chef de chantier. C'est un autre métier, avec, de plus, la prise en charge de la garantie décennale », justifie Anthony Lecole, directeur général de Wendel, qui compte 9 agences autour des métiers du carrelage et du sanitaire-chauffage de Bordeaux à Toulouse et qui vient d'inaugurer à La Teste-de-Buch (Gironde) un showroom. Particularité de l'agence voisine de Mérignac, elle teste la mise en relation, avant l'achat des produits, entre les particuliers et un club d'artisans sélectionnés.

Compétences des artisans

La problématique de l'intégration ou non de la pose et les initiatives comme le club d'artisans semblent au moins montrer que négoces et artisans auraient tout intérêt à concevoir ensemble un nouveau mode opératoire qui permettrait aux premiers d'aller plus loin dans la recherche d'une prestation complète et définitivement différenciante par rapport aux grandes surfaces de bricolage et aux généralistes matériaux, aux seconds de se concentrer sur ce qu'ils savent faire le mieux : poser du carrelage tout en restant indépendants.

Sociovision, toujours dans l'étude « Futur de la salle de bains », poursuivait en prédisant, le plus souvent en conséquence d'un défaut de formation, l'émergence de deux populations d'artisans : d'un côté les compétents extrêmement qualifiés ; de l'autre les exécutants plus ou moins condamnés à l'entrée de gamme. L'évolution semble déjà ressentie par le négoce, beaucoup de représentants pointant la raréfaction d'artisans compétents. Une vraie bombe à retardement pour la distribution spécialisée, qui a absolument besoin de technicité de haut niveau pour la réalisation des projets qu'elle désire vendre.

Le négoce en coordinateur ?

« Tout le problème des marchés de rénovation, donc celui du carrelage, tient dans la transformation des projets en chantiers. Le vrai réservoir de croissance pour le négoce spécialisé est là. Il y a plusieurs années déjà, avec ses showrooms pensés comme des déclencheurs de projets, il a, de fait, déjà pris le relais des artisans en tant que promoteur des innovations porteuses - en l'occurrence les grands formats. Peut-être doit-il franchir un nouveau cap aujourd'hui en devenant un coordinateur entre les industriels et les artisans pour la promotion technique des produits et l'amélioration des savoir-faire ? », s'interroge un négoce. Les formes d'une coordination sont, pour partie, bien connues, à l'image des visites d'usines avec sessions de formation associées.

À en croire plusieurs témoignages, en général, les formations ne sont pas sans effet sur les courbes de vente dans les semaines et les mois qui suivent. Le reste appartient sans doute aux clubs d'installateurs en train de naître ici et là.

L'un des plus anciens est peut-être celui de la Quincaillerie aixoise, né en 2010 en même temps que les showrooms Question d'Ambiance. « Actuellement, notre club Qualité réunit 74 adhérents, plombiers, carreleurs et “ bainistes ”, et devrait en compter un peu plus d'une centaine en fin d'année », note Jean-Laurent Marletto, directeur de la marque Question d'Ambiance, responsable de la division métiers de l'eau à la Quincaillerie aixoise, et, enfin, responsable du recrutement pour le club. « Ce recrutement qualitatif a pour but de s'assurer que nous n'allons pas envoyer n'importe qui chez les particuliers. L'objectif est simple : que les artisans travaillent bien et beaucoup en maintenant les carreleurs comme les autres à un niveau élevé de compétences et de savoir-faire. » Et Jean-Laurent Marletto de rappeler un point essentiel : ce sont les particuliers qui choisissent leurs artisans, non la Quincaillerie aixoise qui procède à la répartition des affaires. C'est in fine toujours grâce aux artisans que les projets aboutissent… ou pas.

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