Nombreux sont les freins à la réalisation des travaux de rénovation des particuliers : le prix, mais également l'anxiété face à l'opacité du monde des travaux, la sélection du bon interlocuteur, le choix des produits, les garanties, les délais, etc. Toutes ces raisons expliquent qu'un projet de travaux sur deux n'aboutit pas.
En toute logique, quand les chantiers ne se font pas, les négoces ne vendent pas. Alors que le marché du neuf déçoit, les distributeurs concentrent une partie de leurs efforts à lever les freins. Les particuliers sont l'élément clé de cette équation. Ce n'est pas sans poser problème pour des acteurs qui visent historiquement les professionnels. Dans le secteur de la rénovation, face aux grandes surfaces de bricolage (GSB) et aux marketplaces pour qui bricoleurs et particuliers sont le cœur de la clientèle, le négoce doit élaborer différentes stratégies afin de séduire les clients finaux.
1. Nourrir la relation artisans-particuliers
Les artisans tirent leur force de leur métier, leurs faiblesses peut-être de l'administration et de la vente. Partant de ce constat, certains négoces se sont déjà organisés afin d'accompagner les pros dans leurs démarches auprès de leurs clients pour faciliter la transformation de devis en chantiers. De longue date, les showrooms mettent en valeur les produits. Comme l'explique Arnaud Tractere, directeur du marketing de Point. P, « le showroom est un instrument à destination des professionnels. On estime que plus de la moitié des particuliers qui viennent le font sur le conseil d'un pro ». Que ce soit chez Point. P, Artipôle pour les coopératives artisanales de l'Orcab ou encore le distributeur alsacien spécialisé dans la salle de bains Forgiarini, il s'agit de séduire les consommateurs et d'aider les artisans dans la conception du projet de leurs clients.
Cette approche passe de plus en plus par la mise en place d'outils digitaux dans les showrooms ou sur les sites Internet destinés aux particuliers. L'un des freins fondamentaux à la transformation d'un devis en chantier tient à la difficulté des clients à se projeter, et le digital apparaît comme un bon moyens pour y remédier. Pour ce faire, l'enseigne Décocéram a développé un simulateur 3D afin de visualiser les différents carrelages. De même, Caséo propose un configurateur 3D de cuisine sur son site où les clients peuvent aller jusqu'à prendre rendez-vous en magasin.
Dans les points de vente, les espaces d'inspiration se multiplient dans les showrooms de Point. P, en collaboration avec Miliboo, concepteur et fabricant de meubles sur Internet, ou dans ceux d'Envie de Salle de Bain.
Par ailleurs, le showroom peut aussi faire office de salle de formation, comme chez Real avec son concept SmartSolutions, lauréat des Trophées du Négoce en 2018. Il s'agit là de domotique, ou de « smarthome », et, dans ce cas précis, même si les particuliers sont bienvenus, ce sont avant tout les professionnels qu'il s'agit de séduire et de convaincre puis d'orienter vers les offres nouvelles. « Nous sommes là pour aider les électriciens à davantage intégrer la domotique dans leur offre et leurs pratiques », expliquait Hervé Galmiche, directeur de SmartSolutions by Real à Pringy (Seine-et-Marne), lors du reportage de Négoce.
Toujours dans cette optique d'aide aux artisans, et sans jamais les déposséder de leur relation client, certains négoces les encouragent et les accompagnent grâce à certains dispositifs. En créant Génération Artisans (également lauréat des Trophées en 2018), Saint-Gobain Distribution Bâtiment France a voulu faire naître une communauté d'artisans et mettre à disposition des outils qui facilitent la transformation de projets en chantiers, comme Solu+ pour le chiffrage ou Tolteck pour les devis. Primée aux Trophées du Négoce en 2017, la Quincaillerie aixoise a créé un club Qualité Artisan, dont l'objectif est de favoriser la qualité et la montée en compétences de ses membres en leur faisant découvrir des usines lors de visites, tout en valorisant les produits les plus techniques. Ici, il s'agit d'inciter les artisans à réaliser des chantiers de rénovation plus qualitatifs.
2. Se placer comme un intermédiaire
Depuis quelques années, une nouvelle stratégie émerge : certains négoces ne cachent plus leur ambition de se rapprocher des projets, donc de parler directement au grand public sans passer par les artisans. En déployant des showrooms et des points de vente accessibles aussi bien aux pros qu'aux particuliers, ces négoces deviennent de facto des créateurs de projets que les artisans n'ont qu'à mettre en œuvre. La relation commerciale est alors totalement maîtrisée par le négoce.
Cette intermédiation s'observe notamment dans les showrooms spécialisés dans la salle de bains, comme Envie de Salle de Bain ou Carrelage et Bain, le nouveau nom de Carrélia. Ce changement de nom est significatif d'une volonté d'être « identifié par sa cible, le particulier à projet », expliquait à Négoce il y a quelques semaines Vincent Rappaport, directeur du négoce au nouveau visage. L'enseigne Carrélia s'est remise en cause pour pouvoir s'affirmer sur le marché comme une vraie marque avec une identité perceptible, autrement dit devenir un levier marketing pour influencer le choix du client final. »
Cela passe aussi, bien évidemment, par les nouvelles plates-formes d'inter médiation, comme Homly You pour Saint-Gobain ou Quotatis pour le nouveau venu d'Adeo, Probox. Ces nouveaux outils captent les projets et maîtrisent la prospection. De plus, ils sont mis en avant par les distributeurs : dans les showrooms Envie de Salle de Bain, les conseillers peuvent aussi bien proposer des artisans que rediriger les particuliers vers Homly You. Dans les « bases-vie » de ProBox, une tablette Quotatis est présentée aux artisans pour leur permettre d'aller au-devant des chantiers repérés dans leur zone d'activité.
3. Proposer une prestation fourni/posé
Le dernier pas est franchi lorsque le distributeur choisit de devenir un acteur direct du marché de la rénovation, comme le disait Thierry Chambost, président du négoce multispécialiste et indépendant Chambost, dans un entretien à Négoce en octobre 2018 (n° 447) : « Notre ambition est de développer la rénovation auprès des professionnels mais également des particuliers. »
Pour ces derniers, Chambost a choisi de s'appuyer sur le concept Ligne & Lumière. Du choix des matériaux de menuiserie à la prise de mesure, le négoce s'occupe de tout, missionnant à la fin un artisan partenaire pour la pose. Chambost dit observer un taux de transformation en augmentation grâce à cette stratégie.
Pour Ludovic Bonnet, directeur de la communication et du marketing du groupement BigMat, interrogé par Négoce au mois de décembre 2018, « cette stratégie repose sur la double volonté de fidéliser les artisans et de séduire les particuliers ». L'objectif du nouveau concept menuiserie de BigMat est donc de faire d'une pierre deux coups. Cependant, le secteur de la salle de bains n'est pas en reste dans cette stratégie, comme le montre Vita Confort, qui propose de s'occuper du projet des particuliers, de sa conception à sa réalisation.
C'est donc une véritable intégration de services qui s'opère au sein de certains négoces : les artisans ne gèrent plus la relation client, ce sont les distributeurs qui maîtrisent tout. Cependant, cette stratégie reste compliquée à mettre en place, car il faut le rappeler, ces entreprises n'ont jamais eu (jusqu'à présent) vocation à parler au grand public…