Remontons dix années en arrière, début 2009. Le volet européen de la crise financière n'en est qu'à ses débuts, et personne ne se doute qu'une récession économique de long terme va frapper le Vieux Continent. La France baigne dans l'euphorie écologiste. À l'automne 2008, l'Assemblée nationale, alors dominée par l'UMP, adopte à l'unanimité le projet de , porté par le ministre d'État Jean-Louis Borloo. Le bâtiment est en première ligne dans cette ambition nationale nouvelle. Le label Bâtiment basse consommation (BBC) prend son envol pour la construction neuve, et tout le monde en est sûr, l'heure est à la rénovation énergétique.
Qui plus est, en mai 2008, le baril de pétrole avait atteint un record, dépassant les 141 $. Les journaux télévisés ont ouvert sur ces familles en situation de détresse avec des factures de fioul de 4 000 €. Les pouvoirs publics et l'écosystème de la construction diffusent à longueur de discours un chiffre choc : 31 millions de logements à rénover. Et rappellent que la construction neuve ne représente que 1 % du parc existant. L'avenir s'annonce radieux pour les acteurs de la rénovation énergétique.
Dix ans plus tard, l'espoir est retombé. Non seulement la rénovation énergétique n'a pas décollé, mais le marché de la rénovation des logements dans son ensemble reste à un niveau relativement bas. La conjoncture y est certainement pour quelque chose, les années de crise ayant détourné les Français de travaux importants, faute de perspectives d'avenir. L'effondrement du cours du pétrole a également joué un rôle, la facture énergétique du logement ayant considérablement décru.
La rénovation énergétique n'a pas pris
Mais les quelques années de croissance retrouvée entre 2016 et 2018 n'ont pas suffi à inverser significativement la tendance. Quelque chose coince, et ce blocage devient d'autant plus gênant que le moteur de la construction neuve, qui a porté l'activité du BTP ces dernières années, est désormais à l'arrêt.
« Le constat est simple, la rénovation énergétique n'est pas autoportée, estime-t-on à la Fédération française du bâtiment (FFB). Des travaux significatifs, qui feraient passer une maison individuelle de la classe D à la classe B sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), se chiffrent à 80 000 €, alors que la plus-value à la revente s'élève au mieux à 3 %. » Seuls des consommateurs militants consentiront une telle dépense - mais cette part du marché est pour le moins restreinte. S'y ajoutent les clients qui avaient déjà un projet de travaux lourds et embarqueront la performance énergétique, comme la loi les y oblige désormais.
L'association Thermorénov, créée en 2007 par des constructeurs de maisons individuelles, dresse le même bilan de cet engouement pour la rénovation énergétique. « Ce n'est pas un argument de vente », explique Giovanni Lecat, son délégué général. L'association, qui fédère plusieurs constructeurs dans le sillage de LCA-FFB, n'a pas renoncé, mais cherche désormais une approche plus globale de la rénovation, qui ne parle pas seulement du volet énergétique.
L'expérience de Corinne Blanc confirme ce constat. Salariée de Saint-Gobain, dans différentes industries, elle évolue à la fin des années 2000 au sein du groupe, avant de rejoindre la branche distribution pour y développer une offre standardisée sur la rénovation énergétique. L'aventure se termine finalement par une création d'entreprise, Optiréno, que Saint-Gobain accompagne. L'idée d'origine était de proposer une offre clés en main de travaux d'amélioration énergétique, mais « nous avons évolué vers une offre de rénovation globale, parce que la rénovation seulement énergétique s'est avérée une vue de l'esprit », explique Corinne Blanc.
La rénovation déçoit
Ainsi donc, il suffirait d'embarquer la dimension thermique de la rénovation dans une offre plus globale. « Aujourd'hui, il faut parler confort, embellissement, valorisation patrimoniale, pour vendre un projet de rénovation, pas seulement thermique », explique Giovanni Lecat.
Sauf que, là encore, le bât blesse. La phase de reprise accélérée de la construction neuve entre 2015 et 2018 ne s'est pas accompagnée d'une embellie significative sur le marché de la rénovation. Du côté des organisations professionnelles, on tempère.
« La rénovation n’accélère pas, mais elle tient et représente plus de 55 % de l’activité des entreprises du bâtiment, toutes tailles confondues », nuance-t-on à la FFB. Sabine Basili, vice-présidente de la Capeb, objecte pareillement : « Heureusement, on rénove en France, et nos entreprises sont tous les jours sur des chantiers de rénovation. »
Reste que la hausse dépasse rarement 2 %, et qu’elle ne devrait pas dépasser 0,5 % cette année, selon la FFB. Quant aux crédits de travaux, ils sont en baisse constante, selon les données de l’Observatoire des crédits au ménage. Le taux de détention de crédits de travaux est ainsi passé de 6,7 % en 2009 à 5,9 % en 2017 – sans qu’une hausse équivalente des crédits non affectés ait été observée.
Des prix de l'immobilier pénalisants
« Lorsque l'immobilier était en panne, je n'étais pas étonnée que la rénovation ne décolle pas, explique Corinne Blanc. Mais il est fortement reparti, et nous n'avons pas observé de croissance significative. » Ce phénomène pourrait en partie s'expliquer par les niveaux records atteints par les prix de l'immobilier. En effet, pour acquérir leur bien, les ménages auraient investi au maximum de leurs capacités et ne disposeraient donc plus de marge de manœuvre - ce qui expliquerait le recul des crédits pour les travaux.
Cette raison ne paraît pas suffisante pour expliquer l'atonie du marché de la rénovation. Présentant à Négoce et au Moniteur du BTP, au mois de mars 2018, le nouveau site saint-gobain.fr, censé inspirer les particuliers dans leurs projets de rénovation, Patrice Richard, président de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, avançait un chiffre issu d'études internes : un projet de rénovation sur deux n'aboutit pas. Les consommateurs manqueraient de repères, tant en termes d'interlocuteurs que de prix de référence. À cela, il faut encore ajouter une certaine défiance nourrie par les contre-références circulant dans les repas de famille comme dans les reportages télévisés aux heures de grande écoute.
Retrouver la confiance
C'est sur la base de ce constat que les nombreuses réflexions sur l'interlocuteur unique se sont fondées, ce professionnel qui coordonnerait les travaux pour simplifier la vie des particuliers. C'est un rôle que l'architecte endosse naturellement, mais cette profession n'est pas toujours identifiée sur la rénovation. L'Union nationale des syndicats français d'architecture (Unsfa) a lancé une initiative, Architectes de la Rénovation. Son site Internet répertorie ceux qui proposent des missions en ce domaine. L'initiative intéresse la Capeb. « Les Architectes de la Rénovation se sont rapprochés de nous, explique Sabine Basili. Nous travaillons ensemble pour imaginer une sorte de contrat de conception-réalisation en groupement et à l'échelle de la rénovation. » Cette approche rejoint celle des constructeurs qui, à l'image de Corinne Blanc avec Optiréno, visent le marché de la rénovation. Mais alors que le modèle du constructeur repose avant tout sur la sous-traitance, le sujet est plus complexe dans l'ancien, où il faut analyser le bâti existant, d'autant que les clients ne sont pas toujours prêts à payer pour cette approche, explique Corinne Blanc. Il est difficile de vivre d'une marge de maîtrise d'œuvre uniquement. »
Outre la marge produit et les gains sur la sous-traitance, Optiréno a développé une autre activité, Optitravaux, qui intervient à la fois sur les petits chantiers et en urgence lorsqu'un sous-traitant manque à l'appel. De quoi équilibrer le modèle. Plusieurs autres constructeurs regardent de très près ce marché de l'ancien, à commencer par le leader Maisons France Confort, avec sa filiale Rénovert.
Cet intérêt croissant des constructeurs pour la rénovation n'est pas unique. Les coopératives d'artisans, fédérées au sein de l'Union française des coopératives artisanales de construction (Ufcac), historiquement très actives sur le marché de la construction neuve, s'y mettent elles aussi. Depuis 2018, elles disposent d'un modèle de contrat proche du CCMI, qui leur sert à aborder le marché de la rénovation avec des éléments participant à rassurer les particuliers en termes de prix et de délais.
Des formes plus souples de groupements se développent également, encore faut-il parvenir à rémunérer ce rôle de coordinateur que l'entreprise chef de file de l'opération ou du groupement endosse.
Faire rêver
Une autre facette du problème concerne le marketing de l'offre. « Les travaux de rénovation constituent une enveloppe financière importante, et entrent en concurrence avec les vacances ou la nouvelle voiture dans le budget des ménages », souligne Giovanni Lecat. Sabine Basili partage cette analyse : « Après l'instauration de la TVA à 5,5 %, en 1999, le marché a enregistré une hausse continue de la rénovation. Tout s'est arrêté avec la crise, mais, depuis, les comportements ont changé. Nous avons basculé dans une économie de l'offre, il faut faire rêver les consommateurs. Or, si la cuisine ou la salle de bains peuvent faire rêver, ce n'est pas le cas des travaux de rénovation en général. C'est à nous de packager ces travaux, de les rendre visibles, et sans doute de travailler avec des moyens modernes de visualisation des projets. »
En effet, configurateurs et simulateurs facilitent beaucoup l'acte de vente. Les fabricants de produits de la construction en ont beaucoup développé, notamment dans le secteur de la décoration : dans la peinture, mais aussi dans le bardage et même dans l'appareillage mural, les artisans peuvent s'équiper d'applis qui, à partir d'une photo de l'existant, montreront aux clients ce que leurs logements seront devenus une fois les travaux réalisés. Des outils plus avancés existent, dont la promotion immobilière notamment s'empare pour proposer des visites virtuelles avec des lunettes 3D, alors que les programmes sortent à peine de terre. Une piste prometteuse pour dynamiser le marché de la rénovation en instillant de l'imagination et de la technologie.
Pouvoirs publics
Une introspection dans la construction en France ne serait pas complète sans un regard vers les pouvoirs publics, le marché étant extrêmement sensible aux variations du politique. Tous les acteurs ne demandent qu'une chose, de la stabilité, pour gagner en lisibilité dans un contexte où la confiance des consommateurs est déjà fragile. C'est vrai dans la rénovation énergétique, où les atermoiements sur le Crédit d'impôt transition énergétique (Cite) ont jeté le trouble. Mais, souligne-t-on à la FFB, le moindre débat sur les taux de TVA, déjà complexes à comprendre pour les particuliers, fragilise le marché. Le message adressé à l'État est clair : ne touchez plus à rien.