Née voici plus d’un siècle et symbole du savoir-faire d’une région tout entière, l’industrie de la dentelle à Calais, jadis florissante, est passée en cinquante ans de 50 000 à 2 000 emplois et ne concerne plus désormais que la haute couture. Ironie du sort, l’activité sombre dans les oubliettes de l’Histoire au moment même où naît son musée, la Cité internationale de la dentelle et de la mode (CIDM), imaginée comme un lieu vivant, ouvert aux créateurs chargés d’offrir un avenir à la dentelle…
Pour y parvenir, les architectes parisiens Alain Moatti et Henri Rivière, lauréats du concours en 2004, ont procédé à la rénovation-extension d’une ancienne usine de fabrication, l’usine Boulart, pour y loger des espaces d’exposition et un auditorium de 250 places.
Voiler-dévoiler
Thème force du projet, « les matières oxymores », à savoir, aux dires des architectes, « ces voiles impalpables et ces matières raffinées créées avec des métiers à tisser en fonte de douze mètres de long – les fameux Leavers anglais – par les gueules noires, mécaniciens et tullistes, qui les font fonctionner ». D’où une muséographie, signée de Pascal Payeur et Sylvie Jausserand, où les éléments choisis « semblent étonnés d’être les uns avec les autres et coexistentdans une complémentarité qui mène vers un territoire poétique particulier ». Sur 2 500 m2, le parcours de l’exposition permanente articule ainsi cinq séquences : la dentelle à la main, l’aventure industrielle, les métiers de la dentelle mécanique et l’atelier de production, la dentelle aux XXe et XXIe siècles, enfin la dentelle au présent… et au futur.
Programme et thématique se traduisent en termes architecturaux entre, d’une part, l’ancienne usine conservée « dans son jus » et, d’autre part, l’extension habillée de sa façade à double courbure en verre sérigraphié, « la seule matière capable de capter et de restituer les gris multiformes des ciels calaisiens, pour inventer une nouvelle lumière », s’extasient les architectes.
« Nous avons donc simplement ajouté à l’usine Boulart, dont la structure souple en bois avait été pensée pour supporter les trépidations des Leavers, un objet ultra-technologique. » L’usine conserve ainsi les traces du temps et ses cicatrices – ainsi que cinq métiers en fonctionnement régulier à destination des visiteurs – tandis que prend place, sur le canal, la façade verrière en rupture avec l’usine qu’elle masque.
Et plus exactement deux façades en fait, l’une en creux et l’autre en relief, sérigraphiées à base d’un émail métallisé qui reproduit les percements des cartons Jacquard utilisés dans les Leavers. Un jeu de « voiler-dévoiler étroitement lié à la dentelle, comme les courbes et contre-courbes d’un corps de femme », expliquent allusivement les architectes. « Il n’y a d’autre rapport entre l’usine et cette façade, que celui qui oppose la douceur de la dentelle à la brutalité de l’industrie », complètent-ils. Moatti & Rivière ont travaillé sur cet objet du désir avec le bureau d’études RFR : « Leurs ingénieurs sont des prodiges et font en sorte que la structure d’acier ne soit pas un événement tel qu’il en cacherait le projet. » Mise au point et posée par l’entreprise Viry, sérigraphiée à plat et bombée à chaud en Chine, l’ouvrage verrier comporte deux parois de verre feuilleté entre lesquelles un opérateur peut se glisser pour son entretien.
A l’intérieur de l’édifice, sous cette dentelle, prend place l’espace d’exposition temporaire, une galerie également ouverte aux défilés de mode et reliée au petit auditorium. Et, si « la technique s’efface dans ce projet nourri d’imaginaire et de tradition », c’est bien pour « que la curiosité s’éveille », aiment prophétiser les architectes, pariant sur le succès de l’établissement auprès du public.