Que reste-t-il de l'énorme agitation politico-architecturale autour de cet « Ouni » (objet urbain non identifié) dénommé « Grand Paris » (et ceci en dehors de l'intelligentsia avisée institutionnelle et professionnelle) ?
- Le Francilien moyennement informé, inquiet pour son emploi, souffrant des dysfonctionnements du RER ou de la ligne 13, souhaitant un logement abordable bien situé et des services publics de qualité : il n'est pas concerné par le super-métro Blanc-Sarkozy et se sent vaguement inquiet de l'augmentation du coût des transports prévisible.
- L'élu municipal de la petite couronne qui suit le mieux possible les affaires de son département et de la région, qui vient de passer quatre ans à « se faire concerter » sur le Sdrif, et qui vient d'achever le Scot, le PLH et le PLU après moult débats avec ses « administrés » : il comprend assez vite que tout est à refaire, qu'il va devoir augmenter les impôts, et que la mixité sociale et fonctionnelle dont il s'est fait l'ardent défenseur risque d'être sérieusement mise à mal dans les mois à venir.
- L'entreprise chinoise qui fabrique des semi-conducteurs et cherche à s'implanter sur le marché européen : elle va s'installer près de Roissy, parce qu'on lui a dit que l'aéroport serait mieux relié (ses cadres adorent Paris et son directeur général est un fou d'opéra), que les conditions de prix étaient correctes, que des centres de recherche travaillant sur des sujets similaires existaient à proximité, et qu'on allait réaliser des logements pour son personnel à côté.
Projet territorial « hors sol »
On doit donc se demander si toute cette démarche (Sdrif, consultation d'architectes, projet de loi, Paris Métropole.) va déboucher sur une meilleure réponse aux défis auxquels l'Ile-de-France est confrontée et une meilleure qualité de vie pour ses habitants. La réponse est malheureusement : non ! Pour au moins quatre raisons structurelles :
lPas de diagnostic stratégique partagé. Dans une démarche de planification, la phase de diagnostic et d'identification des enjeux est essentielle. Or, prenons quelques exemples. Au discours sur le déclin de l'Ile-de-France s'oppose une enquête mettant en évidence une métropole dynamique résistant à la crise. Aux propositions de répondre aux besoins de mobilité par un réseau métropolitain améliorant l'accessibilité de polarités urbaines entre elles et avec les portes de la région à l'international, le secrétariat d'Etat met l'accent sur la nécessité d'une desserte en transport collectif rapide des pôles d'excellence économique.
lPas d'intégration en amont des exigences de mise en œuvre. Tous les aménageurs du territoire savent qu'il faut, dès l'amont, insérer les éléments de la mise en œuvre dans la conception même du plan. Si l'on ne cadre pas assez rapidement les outils opérationnels à mettre en place avec le système d'acteurs, les équations économiques et financières, l'articulation entre les divers niveaux concernés (de l'Europe au local.), on court le risque d'un schéma d'aménagement ou d'un projet territorial « hors sol » n'ayant qu'un faible pouvoir prescriptif. Le projet de loi actuel laisse de côté plusieurs questions majeures comme celle du financement, de l'évaluation, du traitement des conflits d'usage.
lDes apports professionnels insuffisamment exploités. Beaucoup de littérature a été produite pour vanter la richesse de la consultation des architectes ou pour en souligner les limites. Pour l'instant, en dehors du discours et d'actions de communication, rien de concret n'a encore été tiré de ces travaux hétérodoxes, et surtout pas au niveau du projet de loi qui en contredit joyeusement les apports en matière de mobilité ou qui les néglige en matière d'organisation spatiale. Quant aux autres travaux (Apur, IAU, débats du Pavillon de l'Arsenal, aux contributions de nombreuses équipes de recherche ou de Clubs professionnels hors consultation), ils ont été assez largement sous-utilisés.
lPas de processus politique à la hauteur des enjeux. Ce qui frappe, c'est la fragilité de la commande politique par rapport à ces travaux : on lance une recherche-action dont on n'indique pas l'utilisation des résultats et les suites qui en seront données. On réalise sur le Sdrif un énorme travail d'élaboration et de concertation mis à mal par des compromis finalement inutiles du fait de l'attitude prévisible de l'Etat, et qui souffre d'un énorme manque de lisibilité vis-à-vis des habitants et des entreprises.
Chance historique
On est en train de passer à côté d'une chance historique de « parler au monde » pour un territoire prestigieux : un nouveau type de planification territoriale intégrée sur des enjeux à la fois spatiaux, économiques, écologiques, culturels et sociaux, combinant satisfaction des besoins les plus immédiats et une vision ambitieuse à long terme. Tout reste à faire ! Plusieurs propositions en ce sens sont sur la table. Si chacun parvient à dépasser la vision étroite et égoïste de ses intérêts immédiats, c'est encore possible. -