Grands équipements À l’export Les architectes français s’épanouissent en Chine

Gares, ponts, musées, morceaux de villes… les Chinois confient aux Français la conception de grandes réalisations. Leur présence sur le terrain, leur inspiration et la qualité de leurs concepts architecturaux sont particulièrement appréciées. Le dynamisme économique chinois et la liberté d’expression architecturale aiguisent l’appétit des Français.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - Archi98 chine 1projet1.eps

Opéras et gares de Pékin et Shanghai, aéroports de Shanghai et Canton, aménagements de quartiers, voire de villes nouvelles dans leur intégralité, stades, résidences, centres d’exposition, hôpitaux, universités, ponts… On ne compte plus à l’heure actuelle le nombre de projets réalisés en Chine par des architectes français. Organisée à Pékin du 5 au 23 avril, puis à Shanghai et Chongqing en mai et juin, l’exposition « Visions françaises » dresse un bilan salutaire de ces années d’action française en Chine, et présente des ouvrages conçus non seulement par de grandes agences d’architecture tels Arep (filiale de la SNCF), ADP Ingénierie (filiale d’Aéroports de Paris) ou Arte Charpentier, mais également par des architectes moins connus, qui sont de plus en plus nombreux à s’aventurer dans l’empire du Milieu.

Les Français convoitent en effet le marché chinois, ses 8 % de croissance annuelle et les 30 milliards de mètre carrés de bâtiments dont la construction est prévue dans les quinze prochaines années. Mais il semble que l’attrait de la Chine soit moins financier que créatif : « On fait des projets en équilibrant le budget. On ne gagne pas des fortunes, mais ce sont des projets intéressants, qui nous changent des cahiers des charges monotones en France », constate Bruno Hubert, du bureau Hubert & Roy Architecture, auteur en Chine de trois concepts résidentiels, pour l’instant restés lettre morte (voir encadré p. 64).

Libre cours à l’imagination. Alors que la France construit timidement des bâtiments de taille réduite avec des contraintes légales et architecturales souvent très restrictives, la Chine tend à adopter des projets futuristes et gigantesques qui laissent libre cours à l’imagination des architectes. Concepteur de la nouvelle préfecture de police de Shanghai, située dans le district de Pudong, Pierre Chambron, architecte d’Arte Charpentier basé en Chine, ne peut que s’en féliciter : « Nous avons présenté un projet ambitieux et cher, je ne suis pas sûr qu’il serait passé en France, explique-t-il. Les Chinois sont très ouverts en ce moment. » Le design particulièrement osé du Théâtre national de Pékin, conçu par l’architecte Paul Andreu et alternativement surnommé « le gros œuf » ou « le petit pain » par les Pékinois, n’est que l’exemple le plus controversé de cette volonté chinoise d’innovation qui régale les Français. Mais qui fait parfois aussi grincer les dents des architectes chinois : « Quand les architectes français font des projets en Europe, ils travaillent avec de nombreuses contraintes ; ils les gèrent pourtant avec beaucoup d’adresse. En Chine, on leur donne tellement de liberté dans leur travail créatif que leurs designs tendent à se détacher de la culture locale », déclarait ainsi Ren Lizhi, vice-président de l’Institut de design et recherche architecturale de l’université Tongji à Shanghai, au cours d’un débat entre architectes chinois en mars dernier.

Une représentation pas seulement commerciale. Le gigantisme est la deuxième caractéristique des projets auxquels se mesurent les Français en Chine. L’architecte Christian de Portzamparc lui-même a été impressionné par la taille du quartier Logistic Port de Pékin – un million de mètres carrés ! – dont il a finalement conçu le schéma directeur, après avoir refusé la commande trop peu ambitieuse à l’origine sur le plan qualitatif. Mais ce ne sont pas nécessairement les agences les plus imposantes qui remportent la manche dans ces projets à grande échelle. Ainsi AP3, une toute jeune agence créée par trois architectes français naviguant entre Pékin et Paris, s’est vue confier par un promoteur privé le soin d’élaborer le schéma directeur d’une ville nouvelle de 14 kilomètres carrés, « l’équivalent de deux ou trois arrondissements parisiens », selon Pascal Ternier, l’un des protagonistes français du projet. Le facteur décisionnaire dans cette collaboration conclue en commande directe : la connaissance du pays et la présence sur place de la partie française. « Il est important que les Français aient des représentations en Chine, qui ne soient pas seulement commerciales, mais avec des architectes de haut niveau », explique Ding Wenjiang, le client d’AP3 dans ce projet d’Ile du savoir, situé entre Pékin et Tianjin. « Cela facilite grandement la compréhension et l’échange. »

Ces deux éléments ne sont pourtant pas toujours au rendez-vous entre clients chinois et architectes français. Car les premiers font appel aux seconds pour des raisons souvent très commerciales, et les projets, une fois réalisés, sont parfois bien éloignés des concepts initiaux. « Le recours aux architectes étrangers est un moyen, pour les autorités de Teda, de montrer qu’elles sont ouvertes sur le monde. C’est un signe positif pour les investisseurs étrangers », explique ainsi Liu Chengyin, ingénieur en chef de la zone de développement technologique et économique de Teda ouest, à proximité de Tianjin. Le centre financier de Teda, conçu par Arep et dont la deuxième phase devrait être achevée courant 2006, ainsi que les trois ponts dessinés par l’architecte et ingénieur Marc Mimram s’inscrivent donc dans cette logique de marketing à l’usage du marché chinois et étranger. Un avis qui n’est pas toujours partagé par les jeunes architectes chinois. Ainsi, Emmanuel Liviadotti, ingénieur du bureau d’études MaP3, rapporte d’une conversation avec certains d’entre eux qu’ils « se sentent dépossédés des commandes passées à leurs confrères français et surtout qu’ils veulent revenir à des réalisations à taille plus humaine ».

Mais les architectes français sont surtout appréciés en Chine pour leur capacité innovante, leur créativité, et leur « romantisme ». « Ils réfléchissent beaucoup sur les projets, peut-être parce qu’ils ont plus de temps pour travailler que leurs homologues chinois, explique ainsi Liu Chengyin. L’autre atout des Français est qu’ils cherchent l’originalité, alors que les Chinois ont tendance à imiter. » L’attention portée par les Français à la culture traditionnelle et à son intégration dans des concepts modernes est également l’une des qualités recherchées par les clients chinois, notamment dans les villes à fort héritage patrimonial, telle Pékin. Mais la contrepartie de cet attachement à la force créatrice des Français est que ceux-ci sont en général privés du droit de suivre les travaux. Les Français assurent la conception, mais tout le suivi des chantiers est confié aux instituts d’architecture locaux, prisés pour leur savoir-faire technique et leur rapidité d’exécution. « Les architectes français ne sont jamais aussi rapides que les Chinois lorsqu’il s’agit de dessiner des plans », expliquait ainsi Xu Hua, architecte rattachée à l’atelier de Portzamparc. « Les Français sont considérés comme brillants pour les concepts, mais les architectes chinois sont plus efficaces pour gérer les chantiers », renchérit Bruno Hubert.

Modifications de dernièreminute. « La conséquence de ce système, c’est que les réalisations des projets français sont rarement conformes aux vœux des concepteurs », poursuit-il. « Par exemple pour la gare qu’Arep construit à Pékin, il n’y a aucun Français sur le chantier pour veiller à la bonne réalisation du projet. En France, il y en aurait entre vingt et trente. » Le concepteur ne maîtrise donc pas l’ouvrage, et la partie chinoise se réserve toute liberté de modifications de dernière minute. « Les plans de l’un des étages de la préfecture ne nous ont pas été communiqués », reconnaît ainsi Pierre Chambron, d’Arte Charpentier. « Les Chinois ont fait des modifications sans nous les notifier. » Quant à Bruno Hubert, son projet résidentiel à Tianjin a été tellement dénaturé qu’il n’en revendique plus la paternité conceptuelle.

« Le marché chinois a amené de bons architectes dotés d’inspiration pour la création artistique à se tourner vers la commercialisation pure », regrettait ainsi Chen Guang, vice-directeur du département numéro 8 de l’Institut de design architectural de Pékin, lors de la rencontre entre architectes chinois. L’erreur à ne pas commettre, pour les architectes français qui tentent l’aventure chinoise, serait donc de chercher la rentabilité à tout prix, au détriment de leur originalité. Car ce sont la créativité et l’innovation qui font toute leur force de séduction en Chine.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Archi98 chine 1projet1.eps PHOTO - Archi98 chine 1projet1.eps
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires