Amplifiée par la guerre en Ukraine, la crise des matériaux bouscule l’immobilier logistique, dépendant de l’acier dont le prix flambe. « L’acier représente environ 30% du coût de construction d’un entrepôt, témoigne Nicolas Camus, directeur technique de l’entité française de P3 Logistic Parks, propriétaire de plus de 6 millions de m² en Europe. On le retrouve dans le béton renforcé, les dallages fibrés, les structures, la toiture, les façades mais aussi dans les portes ou encore les portiques contre les chocs d’exploitation causés par les caristes… »
Problème : le manque d’alternatives à l’acier pour ne pas ralentir les projets engagés ni reporter ceux en gestation est criant, selon les professionnels rencontrés au Parc des Expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis), à l’occasion de la Semaine de l’innovation du transport et de la logistique, du 5 au 8 avril.
« Le marché n’est pas préparé à l’hybridation des matériaux »
Une accélération de l’hybridation des matériaux, synonyme de maîtrise des coûts, n’est pas pour tout de suite, selon Lionel Jehoulet, directeur des opérations de Mountpark France : « Le marché n’est pas préparé à l’hybridation, qui n’a été poussée ni par la R&D ni par la règlementation, et préfère les matériaux éprouvés depuis longtemps comme le béton armé et l’acier. Mais il est possible que si la tendance haussière se poursuit, des évolutions par touches se produisent, en faisant entrer des produits recyclés et du ciment bas carbone par exemple. Le bois est une alternative mais il est touché par la pénurie et il faudra du temps pour reconstituer les stocks. »
Sur cette dernière alternative, Nicolas Camus, de P3 Logistic Parks, développe : « Le bois prend une place de plus en plus importante. Des projets avec des charpentes mixtes ont été lancés en France et en Allemagne avant la pandémie. Par ailleurs, mettre du bois a du sens que s’il provient de forêts exploitées durablement. Or, la filière ne serait pas capable de répondre à la demande si demain tous les développeurs en réclamaient. »
Nicolas Camus n’oublie pas les équipements en acier. « Prenons la porte coupe-feu, dont il a fallu un temps de développement avec des expérimentations dans les laboratoires pour obtenir des labels. Changer ses composants, cela veut dire que les fabricants la développent à grande échelle en s’y retrouvant économiquement, puis la certifient. Cela prendra plusieurs années. »
Coût, résistance et conformité
De son côté, Olivier Barge, directeur des projets et de l’innovation du fonds américain Prologis en Europe du Sud, ne croit pas au plan B métal : « Contrairement à d’autres pays, le métal est très peu utilisé pour la structure car sa stabilité d’une demi-heure à une heure est jugée trop faible en France, où nous sommes soumis au régime Seveso. Les systèmes d’encoffrement renchériraient la facture finale. »
« Quant au dallage, il existe d’autres techniques comme les enrobés percolés à base de bitume notamment. Mais cela suppose un recours au pétrole dont le prix augmente, donc ce n’est pas l’idéal. Par ailleurs, ces enrobés sont perçus comme bas de gamme par les investisseurs. Les sensibiliser demande du temps. Or, la crise actuelle se gère dans l’urgence », relève-t-il.
Pragmatique, Salvi Cals, directeur général en France du développeur américain Panattoni, liste le manque de plans B : « Pour les canalisations, rien à faire. Pour les portes de quai de chargement, organes essentiels dans le bâtiment, il y a très peu de fabricants, très peu de modèles… Le recours à des matériaux composites engendrerait des coûts trop élevés et des problèmes de résistance. Le bardage bois, utilisé actuellement à titre décoratif sur de petites surfaces, ne répond pas aux enjeux de coûts, de résistance et de conformité à la règlementation. »
Mais la France n’est pas à plaindre, selon lui : « En Pologne où nous sommes très présents, des Ukrainiens employés sur les chantiers se sont engagés du jour au lendemain dans l’armée ukrainienne. Les projets sont au ralenti faute de matériaux mais aussi de main d’œuvre. »