Infrastructures et investissements : comment Elisabeth Borne s'empare du rapport du COI

Le document du Conseil d’orientation des infrastructures, remis le 24 février à la Première ministre, dégage trois scénarios d’investissements dans les mobilités pour les cinq prochaines années et au-delà. Dans sa recommandation centrale, et déjà privilégiée par l'exécutif, il vise à dessiner un chemin entre deux injonctions a priori contradictoires : la contrainte budgétaire et l’ambition.

Réservé aux abonnés
COI-Elisabeth-Borne
COI-Elisabeth-Borne

Installé par la loi d'orientation des mobilités (LOM) de manière pérenne auprès du ministre des Transports et actuellement présidé par le député des Vosges, David Valence, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) vient de rendre sa copie au gouvernement.

Le défi lancé à cette structure collégiale, regroupant responsables politiques et experts, était le suivant : dessiner une trajectoire d’investissements dans les infrastructures de mobilité françaises pour les 20 prochaines années. Mais pour y parvenir, il lui fallait d’abord détailler la feuille de route des 5 ans à venir, le tout dans un cadre budgétaire borné à l’avance. Un véritable exercice d’équilibriste en ces temps où le « quoi qu’il en coûte » a cédé la place à un pilotage au plus serré des deniers publics. Après maints reports et versions successives, le fameux rapport à valeur consultative, qui avait fuité mi-janvier, a donc finalement atterri sur le bureau de la Première ministre Elisabeth Borne, le 24 février dernier.

Désormais « officiel », le document se décline en trois scénarios. Le premier respecte le cadrage budgétaire fixé d’une participation de l’Afit France (Agence de financement des infrastructures de transport) à hauteur de 8,6 Mds d’autorisations d’engagements pour 2023-2027, pour aboutir à un investissement total sur la période de 54,8 Mds€. Bien insuffisant aux yeux du conseil. C'est pourquoi « sans sous-estimer les difficultés économiques de la période actuelle, le COI propose de ne pas le retenir ». Le conseil d’orientation n’en oublie pas pour autant de le détailler, comme pour mieux justifier la recommandation faite à l’exécutif de s’en détourner et de lui préférer le deuxième.

Un message semble-t-il bien reçu par la cheffe du gouvernement qui a déclaré : « C'est à partir du scénario de planification écologique que nous conduirons nos échanges avec les collectivités. Ce dialogue [...] ce n'est pas un passage obligé, c'est une impérieuse nécessité pour que chaque euro dépensé ait la plus grande efficacité. »

Vers une « nouvelle donne ferroviaire »

Présenté, dans le rapport, comme devant être réalisé « au minimum », ce scénario central auquel fait référence Elisabeth Borne suppose une augmentation de moitié des crédits apportés par l’AFIT France. L'enveloppe totale passerait ainsi à 84,3 Mds€ sur 5 ans alloués à l’entretien, la modernisation et au développement des infrastructures de mobilités pour accompagner la transition environnementale.

Sa philosophie consiste à se concentrer d'abord sur l'existant et à insister sur la nécessaire régénération-modernisation de la route, du fluvial et du rail, avec un accent marqué sur le dernier cité. « Nous faisons le choix d’investir en priorité dans les infrastructures qui nous permettront de réussir la transition écologique, à commencer par le ferroviaire, qui est la colonne vertébrale des mobilités », a commenté la Première ministre avant d'annoncer que « l’État souhaite s’engager, aux côtés de la SNCF, de l’Union européenne et des collectivités locales, pour réussir une « Nouvelle donne ferroviaire », de l’ordre de 100 milliards d’euros d’ici 2040 ».  

Priorité à la transformation de l'existant

Durant le premier quinquennat d'investissements prévus par le scénario de planification écologique, l'effort en matière ferroviaire serait particulièrement porté sur la régénération avec une montée en puissance conduisant à y consacrer 1Md€/an supplémentaire à l'horizon 2026, tandis que 500 M€/an de plus seraient également injectés dans sa modernisation à la même échéance.

Pour autant le développement du réseau resterait bien présent avec la volonté de favoriser le report modal, notamment au travers des projets de RER métropolitains. Ces derniers bénéficieraient d'un budget de 75 M€/an jusqu’en 2027, puis 300 M€ par an pendant toute la seconde décennie. A noter que le gouvernement entend mandater la Société du Grand Paris pour être à la manœuvre sur ce sujet. « Aux côtés de la SNCF, la SGP mettra ses compétences au service des régions et entamera dès le mois de mars des discussions avec les exécutifs locaux concernés pour déterminer le calendrier, les modalités opérationnelles et de financement pour les nouveaux projets de RER métropolitains », a détaillé Mme Borne.

Reste la problématique des grands projets de développement du réseau ferré. Les LGV Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Béziers souffriraient d’un décalage « de deux ans environ », tandis que les accès ferroviaires français au tunnel du Lyon-Turin seraient eux renvoyés à des engagements de travaux entre 2038 et 2042, à en croire les recommandations du COI. Néanmoins, Matignon se veut rassurant et assure une « poursuite des projets ».

Coup d'arrêt sur le développement routier ?

La route, quant à elle, bénéficierait d'une augmentation de 100M€/an des crédits dévolus à l'entretien, mais qui s’accompagnerait d’une baisse marquée des financements au développement du réseau national (-130 M€/an).

Sur la question de l'expansion du réseau routier, Elisabeth Borne ne se départie pas des recommandations du conseil : « Le COI nous invite à réinterroger chaque projet d'extension du réseau routier. Nous le ferons. » Dans ce contexte, le conseil d'orientation préconise tout de même de mener à bien la Route Centre-Europe Atlantique (RCEA). L’A31 Nord comme l'A31 centre resteraient d’actualité. Le passage en 2x3 voies de l'A63 ferait l'objet d'études complémentaires en vue d'une concession, tandis que les projets de contournement de Rouen A28-A13, d'A154-A120 Allaines-Nonancourt et de contournement de Nîmes seraient réexaminés, et que la déviation d'Arles et de la liaison Est-Ouest d'Avignon phase 3 feraient l'objet d'études approfondies. Le projet A147 Poitiers-Limoges serait, quant à lui, abandonné et les grands projets autoroutiers stoppés lors des prochains quinquennats.

Le fluvial sur la bonne voie

Le fluvial, enfin, certes moins gourmand en crédits, ne se verrait pas contraint à des compromis. Le manque d’investissements identifié sur la période 2023-2027 serait « partiellement » comblé avec pour objectif de maintenir environ 300 millions d’euros de crédits annuels. De quoi poursuivre les objectifs d’entretien et de modernisation du réseau, en même temps que progressera le grand projet du Canal Seine-Nord Europe puisque, ni la mise au gabarit européen de l’Oise (Mageo), ni le projet de mise au gabarit de Bray-Nogent, ne semblent devoir être remis en question.

De la parole aux actes

La stratégie d'investissements privilégiée et ses grandes composantes sont désormais sur la table et détaillées par le menu. Place désormais à la mise en oeuvre de cette planification écologique des infrastructures de mobilité, largement conditionnée aux discussions avec les collectivités et aux négociations des volets mobilités des contrats de plan Etat-Région attendus d'ici l'été.

En l’état des comptes publics, personne n'imagine plus le gouvernement piocher dans les propositions associées au troisième scénario dit de « priorité aux infrastructures ». La Première ministre l'a bien rappelée : « cette planification supposera immanquablement de garder le cap de la responsabilité budgétaire et de nos grands équilibres financiers ».

Une condition bien entendue par les professionnels du secteur qui attendent désormais une traduction législative rapide de ces orientations. « Cette place [donnée aux infrastructures] doit maintenant être consacrée dans une loi de programmation financière permettant d’inscrire les engagements du gouvernement à la hauteur des ambitions annoncées et de mobiliser massivement les collectivités territoriales », appelle le vice-président du COI et président de la FNTP, Bruno Cavagné.

Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires