Interview

« Je dénonce une situation absurde, qui empêche les jeunes de montrer leur talent et qui annihile le savoir-faire français », Marc Mimram

Revenant sur le cas de l’attribution du marché du pont Anne-de-Bretagne, à Nantes, l’architecte s’insurge contre un contexte « kafkaïen » qui favorise les groupements de maîtrise d’œuvre internationaux. Selon lui, ce modèle s’avère non seulement dommageable pour les agences locales, mais aussi pour la pérennisation des compétences du BTP français.

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MIMRAM Marc
MIMRAM Marc, ingenieur et architecte DPLG français, photographié dans son bureau, à Paris

Début juin, la métropole de Nantes a rendu publics les noms des trois équipes de maîtrise d’œuvre retenues pour répondre à la consultation organisée dans le cadre de l’attribution du marché pour la transformation du pont Anne-de-Bretagne, à Nantes

Les trois groupements désignés devront proposer un avant-projet sur lequel le maître d’ouvrage s’appuiera en partie pour désigner le lauréat.

Les groupements retenus ont tous désigné des architectes internationaux au sein de leurs équipes. Une situation dont s’émeut l’architecte Marc Mimram, qui dénonce une situation ubuesque et défavorable pour les jeunes agences locales.

Pourquoi vous saisissez-vous du sujet de la présence d’équipes internationales de maîtrise d’œuvre dans les marchés publics ?

Je n’ai aucune raison de m’opposer à ce qu’il y ait des équipes internationales dans les marchés publics en France, puisque je construis moi-même des ouvrages à l’étranger.

Je ne cherche pas à faire de protectionnisme, ce n’est pas l’objet de mon propos. Mais il faut reconnaître que sur les projets sur lesquels je travaille hors de l’Hexagone, que ce soit sur le Danube en Autriche ou à Guangzhou en Chine, nous avons toujours été en partenariat avec des maîtres d’œuvres locaux dans nos groupements, et ces derniers restaient majoritaires.

Or, la situation actuelle dans laquelle s’inscrit l’attribution du marché du pont Anne-de-Bretagne à Nantes n’est, selon moi, pas acceptable. Nous assistons aujourd’hui aux dérives du mode de sélection des équipes de maîtrise d’œuvre tel qu’imaginé dans le cadre de la loi MOP ou des PPP.

Si le décisionnaire privilégie des équipes internationales au détriment d’équipes locales, alors cela signifie soit qu’il n’existe pas de compétence "architecte et ouvrage d’art" en France, ou alors que nous ne souhaitons pas encourager cette compétence. Par conséquent, nous n’invitons pas les jeunes équipes à montrer leur talent et nous n’entretenons pas notre savoir-faire.

Il me semble que, compte tenu de ma position - et parce que je suis privilégié - je devais me saisir de ce message. Si je ne le fais pas, qui le fera ?

Avez-vous présenté votre candidature à cette consultation ?

Non, tout simplement parce que je n’ai pas eu l’occasion de concourir. Lorsque l’annonce de la consultation pour transformer le pont Anne-de-Bretagne a été faite et que j’ai voulu présenter ma candidature, on m’a répondu que le choix des équipes avait déjà été effectué.

Mais encore une fois, je ne m’élève pas contre une situation qui m’est défavorable personnellement, je ne suis pas là pour défendre mon pré carré. Je dénonce une situation absurde, kafkaïenne, qui empêche les jeunes architectes de se présenter à ce type de concours.

Comment expliquez-vous un tel engouement pour les équipes internationales ?

Il me semble qu'il s'agit d'une dérive snob. Ou alors, il reste plus facile de choisir un maître d’œuvre qui sera à la botte du décisionnaire et qui ne sera pas contestataire.

Aujourd’hui, pour certains marchés, il peut y avoir jusqu’à 100, parfois 200 candidats pour construire une piscine ou un stade. C’est une situation contradictoire d’aller chercher des équipes à l’international alors que les compétences existent en France. Qui plus est, si ces dernières n’existaient pas, ce serait une bonne raison de les développer.

Par ailleurs nous ne parlons pas d’un ouvrage exceptionnel comme le viaduc de Millau. Il existe beaucoup de jeunes intéressés par les structures constructives et il ne faudrait pas les exclure du marché.

Si une agence nantaise s’avère compétente pour ce travail, alors pourquoi aller chercher ailleurs ? Aujourd’hui, s’il faut choisir un groupement de maîtrise d’œuvre, visiblement la simple présence d’une agence locale n’est pas suffisante pour remporter un marché.

Dans un tel contexte, je ne vois pas comment nous pouvons constituer et pérenniser nos savoir-faire. J’en appelle à la responsabilité des maîtres d’ouvrages et à l’intelligence collective. J’invite aussi nos entreprises à faire preuve de davantage d’ouverture, car ce sont elles qui constituent les équipes de maîtrise d’œuvre qui se présentent à ces consultations.

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