«Nous avons fait tout ce qu'il ne fallait pas faire. » Si Jean-Denis Mege, directeur développement de la SA d'HLM Le Foyer rémois (17 000 logements sociaux), ose une telle franchise, c'est que le chantier de l'immeuble « La Clairière » aura finalement tenu ses promesses. D'abord celle d'aboutir au premier immeuble de logements sociaux « passifs » en France, avec à la clé une double labellisation PassivHaus et BBC-Effinergie. Celle aussi d'avoir été une opération pilote émaillée de ratés et d'imprévus, mais riche d'enseignements pour les projets à venir.
Isolation extérieure renforcée
Construit à Bétheny (Marne), une commune limitrophe de Reims, l'immeuble « La Clairière » et ses treize logements constituent une suite logique à la cité-jardin « Les Aquarelles », un programme HQE (haute qualité environnementale) de 111 maisons achevé en 2008.
« Aller plus loin et envisager un immeuble dans lequel on se passerait de système de chauffage, cela nous intéressait tout particulièrement », explique Anne Reychman, associée avec Laurent Debrix au sein de BCDE Architecture, l'agence qui avait déjà coordonné le projet « Les Aquarelles ». Attentif aux notions d'habitat durable, « Le Foyer rémois » à soutenu la démarche des deux architectes, lesquels se sont attelés à la conception de cet immeuble avec le bureau d'études Synapse Energie pour la partie simulation thermique. D'emblée, l'objectif visé est d'obtenir le label Passiv-Haus. Moyennant une isolation extérieure renforcée, une conception bioclimatique et l'installation d'équipements - tels qu'un puits canadien, des capteurs solaires et une ventilation double-flux - les calculs aboutissent à une consommation de 8 kWh/m2.an d'énergie finale. De quoi satisfaire le label PassivHaus qui en tolère au maximum 15. Les choix architecturaux et techniques sont faits sur cette base et le chantier commence en mars 2008.
Le gros œuvre bat son plein lorsque le maître d'ouvrage décide de faire valider l'installation d'un point de vue thermique par les ingénieurs de Luwoge Consult (groupe BASF), un bureau d'études rompu à l'exercice du bâtiment passif.
Le couperet tombe. En l'état, la simulation de consommation délivre une estimation de 28 kWh/m2.an, soit 3,5 fois plus que prévu initialement. Pourquoi un tel écart ?
« Le logiciel réglementaire RT 2005 n'est pas adapté aux bâtiments passifs car il fait trop d'approximations, explique Quentin de Hults, ingénieur chez Luwoge Consult. Nous avons repris le calcul avec le logiciel PHPP (voir encadré ci-contre) utilisé pour la certification du standard passif et là, ça ne passait plus. » Le chantier fait donc une pause et le bailleur appelle finalement Luwoge Consult à la rescousse pour reprendre l'étude thermique à zéro afin de corriger ce qui peut encore l'être.
Garantir l'étanchéité à l'air
Une nouvelle méthode de travail est alors établie. « Nous avons défini le volume chauffé au sein de l'immeuble, puis nous nous sommes intéressés à son enveloppe et à tout ce qui pouvait générer des ponts thermiques, explique Jean-Denis Mege. Il a fallu reprendre le détail de chacune des solutions pour garantir l'isolation et l'étanchéité à l'air. C'est comme cela que nous avons réalisé que le manque d'isolation des conduits d'air de la ventilation double-flux faisait chuter le rendement réel de l'installation à 40 % au lieu de 85 %. Avec les capteurs solaires, le rendement du circuit primaire d'eau chaude s'effondrait même à 10 % pour les mêmes raisons et du fait que les canalisations faisaient le tour de l'immeuble. » En l'espèce, la solution aura consisté à redimensionner l'épaisseur de l'isolant et à gagner de la place à l'intérieur de l'ouvrage pour y faire passer conduits et canalisations.
Problèmes de menuiseries
La menuiserie aluminium retenue cause également des soucis : malgré une certification BBC, les performances espérées ne sont pas au rendez-vous. « Nous avons compensé avec l'utilisation d'un triple vitrage pour mieux piéger l'énergie solaire, explique Quentin de Hults. Si le compte y est d'un point de vue thermique, le confort reste toutefois un point faible quand le soleil n'est pas au rendez-vous. » L'étanchéité est également retravaillée autour des fenêtres et des coffres de volets roulants. Au final, le bâtiment devrait bien être certifié PassivHaus avec, malgré tout, un surcoût lié à la mission de Luwoge Consult (prise en charge pour moitié par BASF), à la mise en place de quatre capteurs solaires thermiques supplémentaires et à l'installation du triple vitrage. « Nous avons pu vérifier qu'il était plus rentable d'investir dans l'enveloppe que dans les équipements », souligne Jean-Denis Mege. En l'occurrence, l'isolation extérieure a été réalisée par un système de la société Sto fabriqué à partir de plaques de 30 cm d'épaisseur constituées de billes de polystyrène graphité expansible Néopor (fabriquées par BASF et transformées par Placo). Ces plaques ont été posées par la Sape, une entreprise locale.
Bâtiment cobaye pour EDF
Le Foyer rémois souhaite désormais industrialiser les processus mis au point avec, en ligne de mire, le projet d'aménagement du quartier, dit de la 12e Escadre d'aviation, à Reims, lequel ne comptera pas moins de 1 400 logements. « Une partie sera construite selon le standard passif pour continuer à progresser, l'ensemble étant par ailleurs BBC, précise Jean-Denis Mege. Avant cela, nous réhabiliterons 1 200 logements en BBC avec un financement Anru. Les travaux commenceront début juin. »
Pour autant, l'immeuble « La Clairière » ne quitte pas encore son rôle de cobaye. Pendant trois ans, EDF R & D va analyser le comportement énergétique du bâtiment (notre encadré ci-contre). Pour garantir la confidentialité des informations recueillies, le retour auprès du bailleur se fera de façon globale et non logement par logement. A leur entrée dans les lieux, les locataires recevront une formation relative aux usages économes. A leur sortie, ils répondront à une enquête de satisfaction.
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